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1343Le 9 mai 2013, l’universitaire et commentateur de politique extérieure Stephen M. Walt, signait sur son blog de Foreign Policy un article où il fait un portrait favorable (de son point de vue) de la politique extérieure du président Obama. Il ne qualifie pas ce président d’“isolationniste”, mais nous le faisons généreusement pour lui, simplement en ajoutant le qualificatif “cool” pour éviter une condamnation au bûcher en montrant qu’il ne peut s’agir que de l’icône-Sainte de nos chaumières germanopratines, Sa Majesté Barack Yes, I can. (“Isolationnisme” est un de ces mots, avec d’autres comme “protectionnisme” ou “étatisme”, qui vous font risquer gros, à l’écrire sans le qualifier aussitôt d’ignominie, – oui bien de lui arranger un mot complémentaire pour faire passer la pilule.) Walt définit Obama de cette façon : «He's not an isolationist or even someone who favors drastic retrenchment; he’s just the first president in a long while who understands that the United States is already remarkably secure and just doesn't have that much to gain by interfering in the world's trouble spots.»
Pour Walt, Obama a reconnu que les USA sont, par eux-mêmes, complètement assurés de leur sécurité face à des attaques et à des menaces fondamentales, sans concurrent capable de les menacer effectivement. Par ailleurs, en raison de leurs moyens limités et de leurs problèmes intérieurs, ces mêmes USA sont conduits par Obama à une position d’un certain retrait calculé des affaires du monde, et c’st une chose excellente (selon Walt).
«I think I have finally figured out the essence of Barack Obama's approach to foreign policy. In a word, he is a "buck-passer." And despite my objections to some of what he is done, I think this approach reveals both a sound grasp of realpolitik and an appreciation of America's highly favorable geopolitical position.
»In particular, the bedrock foundation of Obama's foreign policy is his recognition that the United States is very, very secure. That statement doesn't mean we have no interests elsewhere, but none of them are truly imminent or vital and thus they don't require overzealous, precipitous, or heroic responses. There's no peer competitor out there (yet) and apart from the very small risk of nuclear terrorism, there's hardly anything that could happen anywhere in the world that would put U.S. territory or U.S. citizens at serious risk. We will inevitably face occasional tragedies like the recent Boston bombing, but the actual risk that such dangers pose is far less than many other problems (traffic fatalities, industrial accidents, hurricanes, etc.), no matter how much they get hyped by the terror industry and our over-caffeinated media.
»Instead, the greatest risk we face as a nation are self-inflicted wounds like the Iraq and Afghan wars or the long-term decline arising from a failue to invest wisely here at home. Recognizing these realities, Obama has reacted slowly and in a measured way to most international events. He takes his time, remains calm, and prefers to pass the buck to others whose interests are more directly affected. Unrepentant neocons and liberal imperialists scorn this approach, because they never lose their enthusiasm for new and costly crusades, but most Americans don't seem to mind. Why? Because they recognize what the foreign policy establishment can't admit: What happens in Syria, Mali, most of Central Asia, and even the Korean peninsula just doesn't matter that much to the United States, and the outcome in most of these places won't make Americans poorer or less safe unless Washington does something stupid (like intervening with military force).»
Bien sûr, Walt reconnaît certaines exceptions à ce portrait politique général qu’il propose, notamment la politique des drones et des assassinats ponctuels qui s’effectue généreusement à bonne distance des USA. Il observe qu’il a lui-même de fortes réserves sur cette politique, dans divers domaines, mais il estime que c’est pour Obama le moindre des maux par rapport aux pressions bellicistes et interventionnistes qui s’exercent sur lui à Washington. Enfin, un autre aspect où Obama ne va pas au terme de ce que Walt juge être sa véritable politique, c’est l’aspect de sa communication : le président US ne l’annonce pas comme telle et prétend au contraire poursuivre une politique d’interventionnisme.
«... Indeed, I wish he could give one of his trademark speeches explaining this logic to the American people. He probably can't, alas, because this sort of realism cuts against the rhetoric of “global leadership” that has been part of the Establishment echo-chamber for decades, not to mention the self-conceit of American exceptionalists. So Obama will continue to sound like his predecessors when he talks about America's global role; he just won't do most of the foolish things that most of them would have. Good for him, and for us.»
Que vaut le raisonnement de Walt ? Mettons de côté nos réactions humanistes et morales (les drones) et restons-en à l’aspect du réalisme et du pragmatisme. La thèse de Walt est alors à considérer, voire comme éventuellement séduisante. Pourtant, nous ferons quelques remarques, soit pour la compléter, soit pour la réfuter...
• La description du militarisme expansionniste en retrait, voire presque absent de la politique extérieure de BHO pourrait être vigoureusement réfutée par la présence des forces US partout dans le monde, essentiellement dans un monstrueux complexe d’un millier (plus ou moins, on ne sait...) de bases militaires dans le monde. Nous ne retiendrons pas cet argument. Ces bases ne représentent pas pour nous une dynamique (expansionniste et militariste) mais une structure inerte et de plus en plus ossifiée. Elles pèsent d’un poids monstrueux sur le budget militaire US et n’apportent rien au zèle de ceux des dirigeants qui ont déjà fait complètement allégeance aux USA. (L’Égypte de Moubarak n’avait pas besoin d’une base US sur son territoire pour être l’allié arabe le plus fidèle des USA au Moyen-Orient, peut-être encore plus fidèle que l’Arabie, — dans tous cas, moins agaçant...) Elles n’empêchent en rien des politiques locales qui, malgré toutes les précautions prises et les moyens militaires de pression, se résument à un bras d’honneur aux USA (cas de l’Irak où les USA possèdent un nombre substantiel de bases, et où le Premier ministre mène une politique d’alliance active avec l’Iran et avec la Syrie). Ces bases n’ont aucune utilité politique fondamentale, au sens postmoderne du mot qui exclut la dimension géopolitique devenue mineure, et rassemblent par contre, par leur présence, les oppositions antiaméricanistes. En un mot, leur existence ne contredit pas la thèse de Walt.
• Par contre, certaines situations spécifiques handicapent gravement l’analyse de Walt. La première d’entre elles, Walt la connaît bien puisqu’il fut le co-auteur en 2007 d’une analyse remarquablement objective du poids d’influence du Lobby AIPAC pro-israélien à Washington. Le Congrès est la principale cible d’AIPAC ; mais plus encore, le Congrès souffre d’une pathologie belliciste extraordinaire, allant bien au-delà de l’influence de l’AIPAC, et s’expliquant par des éléments constitutifs spécifiques de la chose, par son irresponsabilité et son hubris, par les avantages de corruption (auprès de diverses industries, notamment de l’armement), par des avantages électoraux, etc. La conséquence de cette étrange constitution est, notamment, une hostilité furieuse et belliciste contre l’Iran. Cette hostilité rencontrant par ailleurs une situation politique et de communication fondamentale qui fait de l’Iran la puissance montante et quasiment dominante du Moyen-Orient, Obama ne peut faire l’impasse sur cet antagonisme. Il évite de la porter au point de fusion mais reste prisonnier de la nécessité d’une pression constante sur l’Iran, parfois au bord de l’antagonisme armé, et cela avec des répercussions sur la situation du Moyen-Orient qui sont de moins en moins favorables aux USA, – rendant d’autant plus sujet à critique cet “isolationnisme-cool” selon Walt...
• La question principale, et la critique principale, concerne ce qu’Obama fait de cette “isolationnisme-cool”. En profite-t-il pour améliorer la situation intérieure US, par exemple comme le fit FDR durant la Grande Dépression ? On peut en douter grandement, tant du point de vue socio-économique que du point de vue de la cohésion nationale, que du point de vue des libertés constitutionnelles, tous ces sujets qui sont autant de crises ouvertes. Si bien que cette “sécurité extérieure” dont parle Wall semble curieusement produire une “insécurité intérieure” grandissante, aggravée par des situations “intérieures-extérieures” qui ne sont pas traitées et qui ne cessent de s’aggraver, comme la situation sur la frontière mexicaine. L’on en arrive au paradoxe que, pour lutter contre cette dégradation intérieure, on est épisodiquement amené à ranimer des menaces extérieures, brisant ainsi avec l’avantage supposé de cet “isolationnisme-cool”. C’est alors qu’apparaît la principale faiblesse d’Obama : s’il pratique la politique qu’observe Walt, il ne le dit pas et tient au contraire un discours interventionniste («I wish he could give one of his trademark speeches explaining this logic to the American people. He probably can't, alas...») ; ce discours alimente la pathologie psychologique de la direction américaniste du type-global leadership, – et tout se passe alors comme si rien de ce que décrit Walt n’existait...
• Cela conduit à la dernière critique de son analyse. Les USA restant pour tout le monde, au niveau de la communication, cette puissance à la prétention interventionniste, elle est à la fois critiquée pour ses engagements supposés, et pour la façon dont elle ne garantit pas ses “engagements supposés”. Il reste alors que les USA continuent à être considérés comme une nuisance interventionniste et impérialiste globale, sans plus le respect et la crainte qui accompagnaient cette perception quand la puissance des USA s’exerçait effectivement. Cela se renforce de certaines attitudes de blocage ou d’interférence des USA dans des problèmes globaux (lutte contre le réchauffement climatique, irrespect du principe de souveraineté, etc.)... Même si les USA sont en position d’“isolationnisme-cool”, ils sont plus que jamais perçus comme omniprésents, et plus que jamais appréhendés comme la puissance à repousser, à dénoncer, etc.
Ainsi, le principal argument qu’on peut opposer à l’appréciation de Walt est bien de l’ordre de la communication, – domaine essentiel de notre époque, – et revient à ceci, qui est la mal inhérent de toutes les directions politiques du Système : l’impossibilité ou/et l’incapacité de dire la vérité de la situation. Si vraiment Obama est cet “isolationniste-cool” qui refuse les engagements (et on pourrait l’admettre si l’on considère sa position vis-à-vis de la Syrie), son principal travers est de ne pouvoir ou de ne vouloir le dire. Ainsi tout se passe-t-il comme s’il ne l’était pas, avec tous les désavantages que l’on comprend et sans guère des avantages de cette situation...D’autre part et pour en finir avec cette thèse, il faut bien envisager ce qui est justement, selon nous, la “vérité de la situation” : ce pseudo-“isolationnisme” ne serait ou n’est en fait qu’un faux-nez pour déguiser le déclin accéléré, sinon la chute de la puissance US. (“Pseudo-isolationnisme” par conséquent parce que l’isolationnisme n’est nullement une position de faiblesse mais une position de repli à partir d’une évaluation des intérêts en cause, ceux des USA en l’occurrence, et pour renforcer ces intérêts.) Cela, bien entendu, – déclin et chute, – Obama, si seulement il l’a réalisé, ne peut le dire.
Mis en ligne le 14 mai 2013 à 10H52
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