BHO, Kadhafi et les amis saoudiens

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Nous nous sommes arrêtés à l’article de Robert Fisk sur “le plan secret US pour armer les rebelles libyens”, paru dans The Independent du 7 mars 2011. Un article de Fisk est toujours intéressant à lire, surtout lorsque Fisk n’est pas trop embarrassé par son penchant affectif pour Israël, et encore plus lorsqu’il délaisse son travail de reporteur sur le terrain pour aborder des domaines plus politiques. La notoriété du journaliste lui donne en effet accès à des sources intéressantes, et celles-ci (celles de cet article) le sont d’autant plus que Fisk, actuellement, “travaille” surtout l’Arabie Saoudite, point stratégique central de la chaîne crisique en plein développement au Moyen-Orient.

Le commentaire de l’éditeur du site WarNews, qui présente également cet article, est certainement judicieux : «There is a lot of intelligence information and analysis in this report .... and is a must read. What was my first impression when reading this article .... someone in the administration or intelligence community is providing the Independent with a lot of information that should not be made public .... but public it is.» Simplement, nous aurions tendance à apporter un correctif ; les sources de Fisk nous paraissent moins venir de «someone in the administration or intelligence community…» (US, cela va sans dire mais disons-le tout de même), – que de sources chez les Saoudiens eux-mêmes. (Au reste, Fisk travaille aujourd’hui en Arabie, ce qui renforce une hypothèse qui prend en compte l’hostilité complète des autorités US à l’encontre de Fisk, rendant tout contact d’un fonctionnaire US avec lui très dangereux pour ce fonctionnaire.)

Voici l’information principale apportée par Fisk, qui concerne des pressions de Washington sur l’Arabie pour que ce pays se fasse le pourvoyeur de ravitaillement en armes pour les forces anti-Kadhafi…

«Desperate to avoid US military involvement in Libya in the event of a prolonged struggle between the Gaddafi regime and its opponents, the Americans have asked Saudi Arabia if it can supply weapons to the rebels in Benghazi. The Saudi Kingdom, already facing a “day of rage” from its 10 per cent Shia Muslim community on Friday, with a ban on all demonstrations, has so far failed to respond to Washington's highly classified request, although King Abdullah personally loathes the Libyan leader, who tried to assassinate him just over a year ago.

»Washington's request is in line with other US military co-operation with the Saudis. The royal family in Jeddah, which was deeply involved in the Contra scandal during the Reagan administration, gave immediate support to American efforts to arm guerrillas fighting the Soviet army in Afghanistan in 1980 and later – to America's chagrin – also funded and armed the Taliban.

»But the Saudis remain the only US Arab ally strategically placed and capable of furnishing weapons to the guerrillas of Libya. Their assistance would allow Washington to disclaim any military involvement in the supply chain – even though the arms would be American and paid for by the Saudis.

»The Saudis have been told that opponents of Gaddafi need anti-tank rockets and mortars as a first priority to hold off attacks by Gaddafi's armour, and ground-to-air missiles to shoot down his fighter-bombers. Supplies could reach Benghazi within 48 hours but they would need to be delivered to air bases in Libya or to Benghazi airport. If the guerrillas can then go on to the offensive and assault Gaddafi's strongholds in western Libya, the political pressure on America and Nato – not least from Republican members of Congress – to establish a no-fly zone would be reduced…»

Puisqu’il y a tout lieu de croire que ces informations viennent de bonnes sources, certainement et infiniment plus crédibles que les déclarations officielles US, sans parler des silences saoudiens, et qu’elles sont diffusées par un journaliste d’excellente qualité, certainement et infiniment plus crédible en cette circonstance que tous les “experts” et sources diverses de provenance US et travaillant pour les intérêts US, on lui accordera tout le crédit qui importe. Cela nous conduit à faire une première remarque, paradoxalement d’ordre restrictif celle-là, concernant l’analogie que présente Fisk plus que l’information elle-même. Lorsque Fisk compare l’éventuelle coopération USA-Arabie sur la Libye à celle qui exista effectivement dans les années 1980 avec l’Afghanistan, il se réfère à des contextes complètement différents qui ramènent l’analogie au simple constat de la permanence des rapports USA-Arabie dans l’organisation des subversions. Dans les années 1980, la coopération avec l’Arabie commença alors que les livraisons d’armes à la résistance afghane, effectuées directement par la CIA ou par l’intermédiaire de l’ISI pakistanais, avaient débuté depuis longtemps. On sait que la décision d’agir dans ce sens, prise en juillet 1979 par Brzezinski, alors conseiller de sécurité nationale du président Carter, précéda même l’intervention soviétique en Afghanistan. Dans ce cas, les USA était extrêmement offensifs, sinon provocateurs, avec Reagan poursuivant et accentuant la politique Brzezinski-Carter ; l’Arabie était plutôt demanderesse, étant extrêmement intéressée par une coopération avec la CIA dans ce cas à cause de son penchant irrésistible à soutenir toutes les résistances islamistes, et particulièrement celle d’Afhganistan (ce qui nous valut Ben Laden, comme chacun sait).

Aujourd’hui, c’est tout le contraire… L’Amérique est sur la défensive et suit une politique “mi-figue mi-raisin”, à l’image du caractère d’Obama autant que de sa situation stratégique plongée dans l’incertitude angoissée d’un effondrement accéléré. Dans ce cas, l’appel aux Saoudiens répond simplement à la crainte très marquée de l’administration Obama de se trouver impliquée directement et quasi officiellement dans le conflit en cours en Libye, aux côtés des anti-Kashafi libyens, contre ce qui est encore le régime officiel du pays. D’autre part, le politicien Obama se sent pressé d’intervenir, notamment en raison de sa rhétorique dans la partie cosmétique de communication humanitaire et moralisante de sa politique, et, surtout, à cause des pressions des républicains qui commencent à l’accuser de “mollesse”. (Panique générale sur ce point : rien qu’un démocrate, et un BHO en plus, ne craigne plus que d’être accusé de “mollesse” ; c’est ancré dans la psychologie culpabilisée par rapport au Système de cette fraction du “parti unique” US que constituent les démocrates.)

C’est en effet tout le contraire (suite)… De leur côté, les dirigeants saoudiens n’ont plus rien de leur état d’esprit des années 1980. Ils sont en mode paniquard, devant le climat interne et les menaces de poussées déstabilisatrices, voire révolutionnaires de leurs contestataires. Ils occupent une place de choix dans la succession des pays devant être encore touchés par la chaîne crisique. Ce que leur demandent les USA ne leur plaît qu’à demi, sinon qu’à un quart, sinon pas du tout… En aidant les anti-Kadhafi, ils renforcent objectivement, tant matériellement que du point de vue de la légitimité, un mouvement contestataire d’un pouvoir établi, selon le même schéma qu’ils craignent de voir se répéter chez eux, eux-mêmes sous la pression, disons pour schématiser, de la “branche saoudienne” de la dynamique contestataire de la chaîne crisique. En aidant les rebelles libyens sous la contrainte des USA, les dirigeants saoudiens semblent justifier le principe de la contestation dont ils craignent d’être eux-mêmes victimes. Connaissant l’extraordinaire couardise qui semble la marque de fabrique de la direction saoudienne, on imagine les affres où ils se trouvent.

…Cela, d’autant plus que les USA ne leur font aucun cadeau. Les USA prétendent défendre leurs “amis du Golfe”, mais ils le font comme d’habitude, d’une façon absolument sommaire et irresponsable. Aveuglés par leurs propres problèmes internes, de comptabilité et de quincaillerie politicienne, ils se fichent des problèmes saoudiens dès lors qu’ils proclament leur soutien aux Saoudiens et qu’ils leur fournissent des armes à un prix défiant toute concurrence pour ce qui est de la cherté de ces choses. Leurs exigences sont donc sans mesure ni limites et ne tiennent strictement aucun compte des fragilités et vulnérabilités internes des “amis”. Ils les aident donc en accentuant les risques de déstabilisation… Le schéma n’a rien d’original, même si l’information de Fisk est effectivement originale par son exclusivité.


Mis en ligne le 8 mars 2011 à 05H14