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1009Le mouvement politique autour de la catastrophe du Golfe du Mexique se concentre de plus en plus dans une nouvelle sorte d'attaques officielles et de commentateurs contre BP. Ces attaques ne sont plus liées aux seules circonstances de la catastrophe mais mettent en cause le fonctionnement très capitaliste de la société par rapport aux réalités catastrophiques de la situation.
• The Independent, le 5 juin 2010, publie un long article de son correspondant aux USA, David Usborne, sur le sujet. Usborne détaille les réactions des uns et des autres, y compris la mention de “certains hommes politiques US” qui demandent une intervention sur les bénéfices de BP au profit des sinistrés du Golfe («The company offered no firm guidance on plans for dividend payments to shareholders. Some US politicians have called for these to be suspended while BP addresses the needs of residents of the Gulf…»). Obama lui-même joue de plus en plus cette carte, qui implique que la mise en cause de BP passe des attaques personnelles contre ses dirigeants, notamment son CEO Tom Hayward, à des attaques contre le fonctionnement même de la société.
«No sooner was Mr Obama in the region than he was again hitting out at BP over dividends and its self-image management. "My understanding is that BP has contracted for $50 million worth of TV advertising to manage their image during the course of this disaster," Mr Obama said.
»“In addition, there are reports that BP will be paying $10.5 billion – that's billion with a ‘B’ – in dividend payments this quarter. Now I don't have a problem with BP fulfilling its legal obligations, but I want BP to be very clear they've got moral and legal obligations here in the Gulf for the damage that has been done.” He went on: “What I don't want to hear is, when they're spending that kind of money on their shareholders and spending that kind of money on TV advertising, that they're nickel and diming fishermen or small businesses here in the Gulf.”»
• A remarquer, la chronique de William Pfaff, l’historien et grand commentateur indépendant, publiée le 4 juin 2010 et largement reprise sur divers sites US. Dans cette chronique, Pfaff met en cause l’inaction, ou l’impotence de BHO, malgré les affirmations du président qu’il est “in charge”, essentiellement contre la puissance de BP. Veut-il redevenir populaire ? Veut-il être réélu ? Alors, il doit s’affirmer dans son rôle et attaquer BP avec toute la puissance du gouvernement qu’il représente. Pfaff imagine le discours qu’Obama devrait faire à cette occasion. Voici l’essentiel du discours, avec les décisions qu’Obama devrait prendre sans attendre :
«“This is the latest in a series of major accidents produced in this company’s American operations, causing loss of lives among its workers, unforgivable human suffering by private citizens, and great damage to private and public interests, continuing today in the Caribbean. This company has repeatedly given evidence of incompetence, disregard for the public interests of Americans, and for the national interest of the United States.
«“I have therefore today given orders that the American functions of this company be seized by the American government, as in recent months we have been forced to seize banks and corporations devastated by economic crisis, such as General Motors, AIG, and certain financial institutions.
» “BP’s American management will be placed under public authority and will be instructed to terminate this oil emergency as rapidly as possible and in disregard of whatever costs must be incurred by the company.
»“This effort will be conducted by BP by its own unrestricted best efforts, supervised by officers of the United States Coast Guard and U.S. Navy, the Energy and Treasury Departments of our government, and will be accompanied by an investigation by the Justice Department and its executive agencies, including the FBI, for any possible evidence of fraud, malfeasance or profiteering, contributing to this disaster. None of these agencies of government will incur any responsibility whatever for the decisions and actions of BP while conducting its operations to terminate this oil blow-out.
» “In no circumstances will company, proprietary, or stockholder interest be given priority over measures to terminate this emergency and to safeguard the assets or interests of the United States public or government. No funds of this company shall be expended on political lobbying intended to influence Congress or the executive agencies of federal government until this emergency has formally been determined to have been ended.
»“In no circumstances will company, proprietary, or stockholder interest be given priority over measures to terminate this emergency and to safeguard the assets or interests of the United States public or government. No funds of this company shall be expended on political lobbying intended to influence Congress or the executive agencies of federal government until this emergency has formally been determined to have been ended.
»“I am instructing that all BP assets within the United States, or in its surrounding waters, including funds immediately at its disposal, and all other BP funds accessible to the United States government, be seized and immediately sequestered so as to prevent the transfer of any funds or assets of this company outside United States jurisdiction and access. The disposition of those assets will eventually be determined by the courts, with priority given to the reimbursement of U.S. persons, property-holders, and redressment of damage or destruction to public assets and municipal, state and national interests for which the British Petroleum corporation is deemed by the courts to have been responsible”…»
@PAYANT Il est vrai qu’il y a une évolution dans le domaine concret des réactions politiques et du commentaire direct, peut-être très importante en un sens, c’est à voir. Dans tous les cas, elle marque une différence de substance… Nous parlons de l’attitude des pouvoirs publics, ou de tout ce qui s’en rapproche, ou de tout ce qui en est partisan, face à BP et contre BP. Jusqu’alors, les attaques se concentraient contre l’action en la circonstance de BP et, surtout, contre l’“action de communication” de BP et contre un homme (le CEO de BP). Il s’agissait de la mise en cause de méthodes, d’individus, d’une “politique”, à l’intérieur d’un système qui n’était pas, lui, remis en cause pour autant. Cette fois, on s’oriente vers la mise en cause de ce système dans certains de ses aspects les plus fondamentaux de fonctionnement.
Le discours qu’imagine Pfaff ressemble à un discours d’un chef socialiste révolutionnaire annonçant la nationalisation d’une société étrangère dont le comportement est jugé comme celui d’une structure ploutocrate et apatride d’exploitation de la population indigène et de ses intérêts. Les remarques d’Obama se rapprochent de cette ligne de pensée puisqu’elles concernent le domaine sacro-saint du capitalisme postmoderne, qui est le caractère immuable et absolument prioritaire de la répartition des bénéfices aux actionnaires, et le domaine complémentaire, favorisant d’abord l’intérêt de l’entreprise, de l’entretien de son “image” dans cette période catastrophique. Aujourd’hui, les attaques contre Hayward, le CEO de BP, sont surtout le fait de ceux qui veulent protéger à tout prix les principes du capitalisme postmodernistes en choisissant la tactique du bouc émissaire, et l’on n’est pas étonné d’y retrouver le Wall Street Journal comme le New York Times. Le “quatrième pouvoir” aux USA s’est depuis longtemps, – depuis toujours pour l’essentiel, – assigné comme mission la défense des fondements du capitalisme d’entreprise, aujourd’hui devenu corporate power. Voilà une bonne mesure du principe de la liberté de la “presse officielle”.
Mais dans cette crise, c’est l’unité du système qui est fortement ébranlée, et elle l'est de plus en plus à mesure que les pressions populaires consécutives à la pression de la crise grandissent. Bien sûr, ces pressions grandissent effectivement, non par des manifestations de contestation ou d’une violence quelconque qui donneraient des arguments aux partisans jusqu’au bout de l’“ordre capitaliste” mais par le seul spectacle des conséquences de la crise tel que le système de la communication, sensible par son fonctionnement naturel aux situations émotionnelles et humaines de crise, nous le restitue. Outre ce qu’on en a dit plus haut sur son interprétation politique potentielle, le discours qu’imagine Pfaff, commentateur indépendant et grand esprit mais en aucun cas porté à l’extrémisme, représente une réaction naturelle de l’esprit face au scandale quotidien que nous offre cette crise, qui résume toutes les contradictions d’un système aux abois. On y voit l’effet du contraste difficilement supportable entre les règles de sa propre sauvegarde du corporate power et les dévastations environnementales et humaines auxquelles conduit son fonctionnement échevelé. Obama, tout prudent qu’il est, est de plus en plus nerveux parce qu’il constate ces dévastations, qu’il mesure son impuissance face à elle, qu’il en est sincèrement touché autant qu’il en mesure les effets politiques pour sa propre position. (Tous les acteurs, effectivement, mélangent dans leur comportement des réactions sans calcul et des calculs constants autour de leurs réactions.)
“Populisme”, pourraient dire les intégristes du système devant les remarques d’Obama et les diverses suggestions, plus radicales, d’actions structurelles contre BP, comme l’illustre le discours imaginaire de Pfaff. Mais l’étiquette est un peu faiblarde, un peu trop sollicitée face à la puissance des réalités, c’est-à-dire la puissance de la catastrophe, alors que ceux qui manifestent leur indignation n’on rien pour justifier ce que cette étiquette pourrait avoir d’infamant (et qu’elle n’a pas en l’occurrence). C’est là la limite du système général, qu’on mesure avec la trahison en cours du système de la communication, – établi et développé pour servir et défendre le système général et qui, en la circonstance, alimente par ses nécessités capitalistiques de fonctionnement (“le sensationnel fait vendre”, par exemple) la mise en cause de plus en plus radicale de ce système général. C’est dire si l’étiquette qui se voudrait infamante de “populisme” est un bien faible argument contre l’évolution en cours.
Encore une fois, ce qui caractérise la gravité de cette crise, c’est sa durée et la montée des pressions qu’elle exerce avec la durée, sans aucune manipulation nécessaire, simplement parce que ses effets apparaissent de plus en plus monstrueux et insupportables sur la durée. En ce sens, cette crise est effectivement un “perfect Storm”, parce qu’elle résume toutes les tares fondamentales du système : successivement, son action brutale, destructrice de l’univers, ses réactions inadéquates et cyniques, ses effets d’abord dissimulés puis de plus en plus visibles, de plus en plus catastrophiques. Aujourd’hui, l’aspect catastrophique de ces effets est en train d’amener à une situation où les effets deviennent le centre de la crise, quoi qu’il en soit de sa source (BP arrivera-t-il ou non à contrôler la fuite ?). Effectivement, il y a de quoi envisager de plus en plus de devenir socialiste ou populistes, ou nationaliste anti-capitaliste dans les deux sens considérés, au cœur même de la citadelle du capitalisme. Cela ne résout pas la crise mais contribue pour l’instant à en prendre un peu plus conscience de ses dimensions tragiques.
Mis en ligne le 4 juin 2010 à 07H43