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166827 juillet 2009 — A lire l’interview de Joe Biden au Wall Street Journal (WSJ) du 25 juillet 2009, on se trouve devant deux options, – outre celle d’un séjour de désintoxication dans un hôpital psychiatrique, pour apprendre à ne pas mal réagir devant les leçons d’histoire de nos dirigeants américanistes:
• Ou bien l’interview date de quelque part entre 1991 et 1993, au temps de l’effondrement de l’URSS.
• Ou bien, Joe Biden s’est trompé de sujet et nous parle des Etats-Unis d’Amérique, en des termes d’une inhabituelle franchise.
On pourrait penser que le but du vice-président des Etats-Unis pourrait avoir été de chercher à convaincre les plus “durs” dans l’establishment washingtonien (le WSJ est idéal pour ça) que la politique de l’administration Obama de “redémarrage” des relations avec la Russie est une bonne politique, et la politique habile des USA au sommet de leur puissance, dictant aimablement leur loi à une Russie obligée de s’aligner. Pourquoi? Parce que la Russie ne cesse de s’affaiblir, qu’elle voit son rôle international s’affaiblir à mesure, et que les USA, qui doivent être finauds en l’occurrence, ont intérêt à ne pas trop profiter de leur écrasante supériorité, encore plus écrasante depuis la crise du 15 septembre 2008 comme chacun sait (voir les profits de Goldman Sachs), pour amener la Russie à résipiscence en ménageant sa susceptibilité, ou si l'on veut à coopérer (à l’avantage des USA). «It won't work if we go in and say: “Hey, you need us, man; belly up to the bar and pay your dues,”. It is never smart to embarrass an individual or a country when they're dealing with significant loss of face. My dad used to put it another way: Never put another man in a corner where the only way out is over you.» Pour le reste, l’affaire est faite: la Russie est trop faible pour résister à la puissante et amicale pression des USA.
• Ainsi, Biden nous dit-il que la Russie a une économie qui va mal, un secteur financier pas du tout brillant, qu’elle se trouve devant un monde qui change rapidement devant ses yeux et qu’elle est totalement paralysée dans un système dépassée. («“Russia has to make some very difficult, calculated decisions,” Mr. Biden said. “They have a shrinking population base, they have a withering economy, they have a banking sector and structure that is not likely to be able to withstand the next 15 years, they're in a situation where the world is changing before them and they're clinging to something in the past that is not sustainable.”»)
De quel pays parle donc ce vice-président? Biden vice-préside à un pays dont le gouvernement s’est engagée à hauteur de $23.000 milliards pour sauver son système financier qui s’est effondré au travers de divers établissements “too big to fall”; dont le chômage officiel approche 10%, et le chômage réel 20%; dont les dépenses de défense approchent 60% des dépenses militaires du monde avec près de $700 milliards et qui n’est pas capable de déployer plus de 50.000 hommes en Afghanistan en plus des 120.000 qui lui restent en Irak, et cela pour enfiler deux raclées successives, sous des formes différentes; dont l’infrastructure est couramment comparée à celle d’un pays du Tiers-Monde par des gens aussi peu suspects de non-conformisme qu’un Dominique Moïsi; dont la structure politique est décrite comme totalement bloquée.
• Biden «also argued that Russia's domestic struggles have made it less able to influence events in its so-called near abroad – the former Soviet republics that, to varying degrees, are seeking increased independence from Moscow.
»Russia maintains thousands of troops in the northern Georgian provinces of Abkhazia and South Ossetia, and has shut off gas flows into Ukraine twice in the last three years. Despite such shows of power, Mr. Biden said, even a close Russian protectorate such as Belarus has shown signs of bucking Moscow recently.»
De quel pays parle le vice-président? Il décrit une Russie incapable d’influencer ses voisins les plus proches, dont il semblerait croire qu’ils (Géorgie, Ukraine, etc.) se moquent ouvertement d'elle, la narguent à volonté, éventuellement l’attaqueraient bien quand il leur plairait. Biden vice-préside-t-il au pays qui n’a pas levé le petit doigt pendant que l’armée russe se baladait autour de Tbilissi en août-septembre 2008, en toute impunité? L’homme qui a ce mot stupéfiant, qui montre un esprit brutal, totalement borné dans son addulation pour l’emploi de la force, tel qu’il l’a exprimée devant ses divers interlocuteurs géorgiens: «It's a sad certainty but it is true, there is no military option to réintégration.» (Traduction: “C’est triste, les gars, mais on ne peut plus cogner.”)
• De quel pays Biden se moque-t-il, lui qui a du changer un certain nombre de fois de versions, à Tbilissi, pour n’avoir pas l’air de refuser les armes que lui demandait son “sonovabitche” de service, et qu’il lui refusa, évidemment, – parce que la Russie, tout de même, il ne faut pas trop jouer avec…? Comme l’écrit obligeamment le Guardian, que nous citions le 24 juillet 2009: «Any request for arms is likely to embarrass the White House at a time when it is attempting to reset relations with Russia…» (Description de l’incident par le quotidien britannique: «The stern warning from Moscow came after US officials indicated that Georgia's president, Mikhail Saakashvili, had asked Biden for US help to rebuild his armed forces following last year's crushing defeat by Russia. He had allegedly requested anti-tank and anti-aircraft weapons. Another US official later denied the request had formally been made. Any request for arms is likely to embarrass the White House at a time when it is attempting to reset relations with Russia. US officials also disowned earlier comments that Saakashvili asked Washington to send monitors to the tense border regions with South Ossetia and Abkhazia.»)
• De quels pays Biden parle-t-il? De la catastrophe russe, dont ses plus zélés alliés et serviteurs disent qu’elle n’est pas si catastrophique que ça, et même au contraire, jusqu’à mériter d’être un modèle pour le capitalisme face à la crise? De la faiblesse russe, qui s’étale dans le monde, lui dont le pays qu’il vice-préside se précipite à Pékin, sébille à la main, pour vérifier qu’on est toujours amis, ne cesse de faire des excuses dans tous les coins de la planète, pour les diverses sottises criminelles et américanistes, et vilennies accumulées pendat les dernières décennies…
• De quel “empire” parle-t-il, ce vice-président-là, lorsqu’on l’écoute pontifier, en véritable émule de Gibbon, – «“It's a very difficult thing to deal with, loss of empire,” Mr. Biden said. “This country, Russia, is in a very different circumstance than it has been any time in the last 40 years, or longer.”»? Ce personnage politique, dont le pays à mis la Russie à l’ancan, d’une façon inimaginable et insupportable, entre les années 1991 et 1998, en jouant avec la marionnette alcoolique Eltsine, accélérant jusqu’à une indescriptible horreur le pourrissement d’un vieux pays chargé d’histoire, de culture et de souffrances? (Voir les pages 266-317 de Stratégie du choc, de Naomi Klein. Il est possible que, par l’argent, les USA aient réussi sur le terme à faire plus de mal, dans certains domaines, aux structures de la population russe que n’en fit le communisme, – mais l’hypothèse, n’étonnera finalement personne. On devrait l’étudier, cette hypothèse selon laquelle le déclin dramatique de la population russe avec la dévastation sociale qui va avec n’est pas la conséquence directe du traitement que la cupidité religieuse des bandes US imposa à la Russie entre 1991 et 1998; ce serait une sorte de démarche génocidaire qui pourrait se définir, en référence aux périodes d’hystérie liquidatrice de l’Ingénieur des Âmes, comme du “stalinisme postmoderniste”.)
“Surréaliste”, Biden? Nous devrions ajouter: pressant dans son propos jusqu’à vous faire passer votre réaction et votre jugement de l’esprit à l’estomac, pour vous donner la nausée, devant le déploiement d'une telle grossièreté de l’esprit, d'une telle inculture, d'un tel cynisme inconscient et gratuit, tout en lourdeur et en absence de dessein, simplement par vanité. Nous avons eu souvent la nostalgie d’un mépris assez fortement figuré dans le langage pour pouvoir, par écrit, caractériser le sentiment qu'on devrait éprouver devant l’inculture, l’ignorance, la pauvreté de l’esprit que montrent le monde politique postmoderne, et, particulièrement, le monde politique washingtonien dans ses prétentions; cela remonte, notamment et par exemple, à ce jour de 1996, où nous apprîmes que le sénateur Bob Dole, candidat républicain à la présidence, sollicitant un soutien quelconque (allait savoir lequel), avait écrit une belle lettre au Goethe Institute, en Allemagne, commençant par ces mots très polis: “Dear Mister Goethe…”
Il est possible que, lors de l’interview, Biden, qui aime bien les confidences expansives, ait quelque peu arrosé son retour à Washington (l’interview eut lieu dans l’avion, lors de son voyage de retour de Géorgie). Cela se comprend, il lui fallait se lâcher pour récupérer de l’épuisante retenue qu’il avait observée à Kiev et à Tbilissi, la semaine dernière. Une autre hypothèse trouve sa source dans une remarque, récemment faite par un commentateur britannique, selon laquelle Biden joue, dans le couple qui préside à ce pays, au “sale type” (“bad cop”), tandis que BHO fait le “brave gars” (“good cop”). C’est peut-être faire beaucoup d’honneur à la capacité d'imagination du système; peut-être que le plan “Laurel et Hardy” suffirait, comme explication.
Pourtant, une parole doit nous rester à l’esprit: «It's a very difficult thing to deal with, loss of empire.» Personne ne le contredira, c’est une rude tâche, pour lui et pour BHO. Le comportement de Biden nous montre, effectivement, que c’est une rude tâche d’affronter une situation qui met votre vanité à si rude épreuve; effectivement, il ne faut pas douter un instant que Joe a fait un lapsus linguae, comme il en est coutumier, et que, parlant de “loss of empire”, il parle des USA. Cela nous conduit à explorer, une fois de plus, la psychologie américaniste, car c’est bien là la seule démarche intéressante que nous suggère cette interview débridée...
Le vice-président US montre tous les caractères de l’inculpabilité et de l’indéfectibilité US, cette attitude psychologique consistant à écarter toute référence à soi-même (aux USA), lorsqu'il est question d'une possible culpabilité, d'une comparaison désavantageuse, lorsqu’on juge d’autrui, – et alors on le fait à partir d’une position mythique des USA, ignorant tout de la culpabilité, du déclin, de la noirceur morale et des responsabilités. Celui qui juge semble être hors du standard, bénéficiant d’une sorte de statut de “free-zone”, où le jugement courant ne s’exerce pas plus que les taxes locales, où les lois humaines n’ont pas cours. Il dispose, par définition, d’une position qui n’est pas soumise aux règlements terrestres courants, qui est d’une autre essence. Sa critique se pare d’une complète objectivité et s’apparente à une sorte de jugement sans appel, d’essence supérieure.
Ces jugements ne s’embarrassent nullement de la moindre référence à la réalité. Qu’importe que le vice-président soit allé en Ukraine et en Géorgie dire aux marionnettes de service, d’une façon à peine déguisée: calmez-vous, parce que nous ne prendrons aucun risque pour vous s’il vous arrive quelque chose avec les Russes. La conclusion qu’il en tire est que cette retenue US est bien la preuve que les Russes sont en complète déconfiture; il faut noter qu’il réserve cela au Wall Street Journal, qu’il s’est bien gardé de le dire à Kiev ou à Tbilissi, – ce qui lui aurait valu quelque succès auprès de son ami Misha.
L’illusion et la rhétorique de l’inculpabilité grandissent à mesure qu’il s’agit d’influer d’autant plus fortement sur la présentation des événements dans le but de maquillage qu’on devine; l’une et l’autre étant considérables jusqu’à la nausée avec Biden, on en déduit que le maquillage nécessaire est d’une lourdeur considérable; on en déduit ensuite que les événements nécessitant un maquillage sont également d’importance, par rapport aux normes admises par la vanité US, par conséquent que cette administration et les USA sont lancés dans un exercice où ils sont prêts à faire pas mal d’efforts pour arriver à un arrangement avec la Russie. Cela s’explique d’ailleurs assez bien, si l’on considère qu’effectivement le pays dont parle Biden est plutôt les USA que la Russie; quand un pays est dans cet état, il n’a plus du tout les moyens de l’absurde politique expansionniste que les USA poursuivent, notamment en Europe. La péroraison de Biden est le signe paradoxal que les USA vont aller assez loin dans leur désengagement de certaines positions, notamment en Europe, parce qu’ils n’ont plus moyens de les soutenir.
Pour la psychologie du vice-président, on observera qu’elle est fortement conforme à celle des robots américanistes formés pendant la Guerre froide, agressive, prétentieuse, diffamatoire. Il semble bien que cette attitude donne raison à Stephen F. Cohen, lorsqu’il définit l’entourage de BHO de la sorte: une mentalité de Guerre froide et rien d’autre, et rien n’a changé depuis. Il est absolument impensable d’envisager que de tels esprits puissent concevoir une politique constructive, enrichissante et stabilisatrice de désengagement. Seule la contrainte de l’état dévasté des réalités américanistes les y conduiront.
On ne sait ce qu’en pense BHO sur le fond et s’il en pense quelque chose d’ailleurs. On ne sait si BHO est l’“hérétique” que Cohen, en désespoir d’hypothèse, envisagerait qu’il soit, – comme nous-mêmes l’avons déjà fait. («Therefore, all hope rides with Obama himself, who is not tied to these old policies. He has to become a heretic and break with orthodoxy.») On sait au contraire quelle sorte d’hommes est Joe Biden; quelles que soient les explications, aménagements et interventions de “damage control”, il faut être absolument persuadé que Biden, parlant au Wall Street Journal, a dit ce qu’il pensait vraiment... Cela ne veut pas dire que les USA vont dicter leur loi à Moscou, simplement, eh Joe, parce qu’ils n’ont plus, ni les moyens, ni les tripes, ni le reste, pour le faire.
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