Bien entendu, Kissinger vote Poutine…

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Bien entendu, Kissinger vote Poutine…

Notre ami et excellent chroniqueur M K Bhadrakumar, ancien diplomate indien, nous fait rapport d’une rencontre très récente, à Saint-Petersbourg, entre le président russe Poutine et le vénérable Henry Kissinger, “vieille canaille” devant l’Eternel. C’était au cours du “Davos russe”, le Forum Economique International de Saint-Petersbourg qui se termine. Bien entendu, l’accord entre les deux hommes (Poutine et Kissinger) fut parfait et M K Bhadrakumar peut titrer son article «Putin, Kissinger can agree on Syria».

(Qui s’en étonnerait, au reste ? Nous-mêmes écrivions, le 11 juin 2012, à propos de Brzezinski et de Kissinger : «[O]n peut conclure sans crainte d’erreur qu’un Brzezinski, cet Américain d’origine polonaise et viscéralement anti-russe, est aujourd’hui bien plus proche de la politique syrienne de la Russie que de la politique du bloc BAO ; quant à Kissinger, plus encore, lui qui n’a jamais caché un penchant cynique pour le réalisme rationnel des politiques russe et chinoise, particulièrement musclées du temps du communisme…»)

Voici donc, essentiellement sur ces relations et proximités d’esprit entre Poutine et Kissinger, quelques extraits de l’article de M K Bhadrakumar, du 22 juin 2012 dans R&IR (Russia & India Report) :

«The point is, there is a remarkable proximity between the Russian position on Syria and Kissinger’s own opinion on the subject of the “Arab Spring”.

»A long-awaited visitor to Russia met President Vladimir Putin on Thursday – former United States secretary of state Henry Kissinger. The venue was the St. Petersburg International Economic Forum (dubbed as “Russia’s Davos”). Energy is a key topic at the conference in St. Petersburg and the Kissinger Associates, Inc., as a consulting firm cannot miss such an important occasion to assist its clients in identifying strategic partners and investment opportunities. […]

«Kissinger was “long-awaited” as he hasn’t so far met Putin after the latter’s return to the Kremlin as president for a third term. The two statesmen have cultivated a friendly personal relationship over the years, which also seems to play a useful role in smoothening the rough edges of the Russian-American relationship. Kissinger, of course, has a very profound background of Soviet-American relations and could bring into the contemporary US thinking a great deal of realism.

»The setting is also poignant. Putin’s foreign policy strategy has evolved over the years in a wide arc and suffice to say, at the core of it today it is bereft of any ideology or dogma and is instead an all-consuming ambition to make Russia strong. As a master tactician, he is constantly on the lookout for opportunities; and being a highly trained mind, challenges do not deter him. His preferred way of relentlessly promoting Russian interests and robustly defending them will be by essentially balancing among the big players in a polycentric world while Russia remains a strategically independent actor. He and Kissinger would have a lot in common.» […]

»Enter Kissinger. Significantly, at yesterday’s meeting in St. Petersburg between Putin and Kissinger, there was also a third participant – former Russian prime minister and foreign minister Yevgeny Primakov, who happens to be Russia’s iconic ‘Arabist’. It is likely that Middle Eastern questions figured in Putin’s conversation with Kissinger.

»The point is, there is a remarkable proximity between the Russian position on Syria and Kissinger’s own opinion on the subject of the “Arab Spring”. As a lengthy essay by Lavrov in the Huffington Post last weekend titled “On the Right Side of History” underscores, there is a far-reaching geopolitical dimension to the Syrian crisis that goes well beyond the US’ current objective of bringing about a regime change in Damascus with a view to deprive Tehran of its key regional ally and to “isolate” it in its region. […]

»Where there is potential meeting point between Kissinger’s thinking and the Russian concerns lies in the following, as he recently wrote: “Regime change, almost by definition, generates an imperative for nation-building. Failing that, the international order itself begins to disintegrate. Blank spaces denoting lawlessness may come to dominate the map, as has already occurred in Yemen, Somalia, northern Mali, Libya and northwestern Pakistan, and may yet happen in Syria. The collapse of the state may turn its territory into a base for terrorism or arms supply against neighbors who, in the absence of any central authority, will have no means to counteract them.” Kissinger shares Russia’s apprehensions on this score albeit his emphasis is on realpolitik ensuing from the “diplomacy generated by the Arab Spring” replacing the Westphalian principles of equilibrium in the contemporary world order – principles which have been riveted on the canon that states built on national and cultural units are deemed sovereign within their borders and international politics will be confined to their interaction across established boundaries…»

Certes, et cela dit une fois de plus pour montrer que rien ne doit échapper aux éléments qui forment le jugement, et ce jugement assumant par conséquent tout le poids de la dimension historique de la chose jugée, – certes, Kissinger est cet homme qu’on sait, diplomate impitoyable, cynique, avec sur la conscience la mise en place et l’exécution d’opérations illégales et sanglantes, et un service incontestable en faveur d’une puissance qui est désormais toute entière le cœur du Système entré dans sa phase d’autodestruction. Qu’importe, l’homme n’est nulle part et en rien parfait, et l’urgence des temps devenus métahistoriques appelle une position objectivée pour dégager l’essentiel de l’accessoire, pour la juste manufacture du jugement. (Au reste, si l’on voulait rester sur le terrain, aujourd’hui irresponsable, du jugement vertueux, Poutine ne passerait pas plus que Kissinger le test suprême de l’acquittement. Mais le “jugement vertueux” est un luxe impossible et surtout affreusement trompeur et faussaire dans ces temps déchaînés, et seuls y parviennent les robots du bloc BAO, asservis au Système et totalement immergés dans leur narrative terrorisée et hallucinée ; on en mesure l’effet, – c’est-à-dire la vertu, n’est-ce pas...)

Cela pour dire que la position de Kissinger, et la rencontre Kissinger-Poutine, outre d’être des évènements rassemblant des esprits de durs à cuire du réalisme politique, contiennent également une part de vérité qui nous importe. Cela renvoie à notre conception du sapiens, chez qui le Mal n’est que par proximité due à sa faiblesse et non par substance, ce qui conduit à conclure que même chez les plus compromis peut ressurgir la perception et le besoin de vérité. C’est dans ce sens que nous plaçons cette rencontre et cet accord Poutine-Kissinger, qui ont une valeur symbolique d’une très grande force, – puisqu’enfin, elle n’est pas loin de faire de Kissinger, comme d’ailleurs de son compère-concurrent Brzezinski, une sorte de système antiSystème. (Poutine, lui, l’est depuis longtemps, “système antiSystème”.) Le symbole, bien sûr, se trouve dans cette poignée de mains, dans cet entretien chaleureux, dans cet accord presque complet entre le Russe et l’Américain américaniste, sur une politique russe considérée par les autorités-Système de l’américanisme comme une politique inacceptable, fourbe, ennemie, pas loin d’être d’une hostilité active jusqu’à potentiellement ménager l’hostilité effective de l’affrontement sur le terrain, par rapport à ce qui tient lieu de politique des USA. C’est un symbole et un événement considérable parce que les élites américanistes ont toujours suivi la politique officielle américaniste, les yeux fermés, pour ce qu’ils étaient nécessairement conduits à considérer comme les intérêts de l’ensemble américaniste. A cette lumière, Kissinger pourrait passer pour un “traître”, rien de moins, parce que la rencontre de Saint-Petersbourg ressemblerait à une façon indubitable de “pactiser avec l’ennemi”. D’ailleurs, puisqu’on l’a étiqueté plus haut, dans tous les cas pour la circonstance présente, de système antiSystème, le rouge est mis. L’homme a trahi, – ou faut-il dire avec allant “la vieille canaille” ?, – honte sur lui (sur elle) s’exclame le Système. Salut, donc, à “la vieille canaille”.


Mis en ligne le 23 juin 2012 à 09H06