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256917 octobre 2024 (15H00) – Laissez-moi d’abord reprendre pour exposer mon propos un texte de Andrew Korybko de ce jour sur les rapports USA-Russie concernant les risques d’un affrontement nucléaire. Je ne manque pas de citer Korybko pour sa logique claire à partir d’une appréciation complètement rationnelle ; je ne manque pas, par ailleurs, d’accompagner parfois sinon souvent mes citations d’une critique à peine voilée sinon tout à fait directe pour cette croyance inconditionnelle dans la raison.
Ici, il s’agit d’un texte, citant d’ailleurs le site ‘Politico’, très proches des autorités américanistes, comme l’on dirait pour enfoncer des portes ouvertes en réinventant le fil à couper le beurre. C’est-à-dire qu’on découvre devant nos yeux éblouis les stratagèmes et autres “trucs” de l’un et de l’autre des partenaires-adversaires du domaine stratégique nucléaire pour avertir son vis-à-vis que l’on risque une escalade vers le nucléaire stratégique justement et qu’il veille au grain de son côté pour ne pas perdre le contrôle de la situation.
Je cite donc...
« Les États-Unis craignent une escalade incontrôlable avec la Russie bien plus qu’avec l’Iran
» Selon Politico, qui cite un haut responsable du Sénat et deux sources de l’administration Biden, les États-Unis craignent bien plus une escalade incontrôlable avec la Russie qu’avec l’Iran en raison des capacités nucléaires du premier. Pour preuve, les États-Unis n’ont aucun scrupule à abattre les missiles iraniens lancés contre Israël, mais n’envisagent pas d’abattre les missiles russes lancés contre l’Ukraine, ce qui a contrarié Zelenski et certains de ses compatriotes, qui se sentent ainsi des alliés de seconde zone.
» La différence entre Russie/Ukraine et Iran/Israël à cet égard explique l’approche différente des États-Unis envers chaque paire. Comme cela a été expliqué le mois dernier dans cette analyse sur les raisons pour lesquelles “Poutine a explicitement confirmé ce qui était déjà évident à propos de la doctrine nucléaire russe”, les décideurs politiques comparativement plus pragmatiques qui ont toujours le dernier mot en Russie et aux États-Unis ont jusqu’à présent réussi à éviter la séquence d’escalade incontrôlable souhaitée par leurs rivaux bellicistes respectifs. Voici comment ils ont procédé :
» “Les rivaux [des faucons américains], comparativement plus pragmatiques, qui continuent de mener la danse, signalent toujours leurs intentions d’escalade bien à l’avance afin que la Russie puisse se préparer et ainsi être moins susceptible de “surréagir” d’une manière qui risquerait de déclencher une troisième guerre mondiale. De même, la Russie continue de se retenir de reproduire la campagne “shock & Awe” des États-Unis afin de réduire la probabilité que l’Occident “surréagisse” en intervenant directement dans le conflit pour sauver son projet géopolitique et risquer ainsi une troisième guerre mondiale.
» “On ne peut que spéculer sur le fait de savoir si cette interaction est due au fait que les bureaucraties militaires, de renseignement et diplomatiques permanentes de chaque pays (“DeepState”) se comportent de manière responsable compte tenu de l’énormité des enjeux ou si elle est le résultat d’un “gentlemen’a agreement”. Quelle que soit la vérité, le modèle susmentionné explique les mouvements inattendus ou l’absence de mouvements de chacun, qui sont les États-Unis qui télégraphient en même temps leurs intentions d’escalade et la Russie qui n’augmente jamais sérieusement la même chose”.
» Il n’y a pas d’équilibre équivalent en termes de puissance nucléaire entre les États-Unis et l’Iran, le maximum que l’Iran puisse faire est de lancer des frappes de saturation contre les bases américaines dans la région, et non de le menacer existentiellement comme le fait la Russie. Si les représailles potentielles de l’Iran à la frappe attendue d’Israël nuisent ou tuent certains des quelque 100 membres de l’équipe américaine qui opère le THAAD dans l’État juif autoproclamé, alors les États-Unis pourraient soit encaisser le coup, soit riposter contre les groupes de résistance alignés sur l’Iran dans la région, soit frapper la République islamique.
» Quoi qu’il arrive, l’Iran, qui n’est pas doté de l’arme nucléaire, est incapable de menacer les États-Unis sur le plan existentiel, comme le ferait la Russie, qui possède l’arme nucléaire, si cette dernière ripostait à l’interception de ses missiles en frappant des cibles au sein de l’OTAN, ce qui pourrait facilement déclencher une séquence d’escalade potentiellement apocalyptique. Il y a bien sûr des faucons américains qui veulent risquer ce scénario et celui, relativement moins conséquent, mentionné ci-dessus en Asie occidentale, mais leurs rivaux plus pragmatiques sont encore capables de les arrêter pour l’instant. »
Ce qui est énoncé dans ces lignes est une évidence qui vaut depuis 1949 (explosion de la première bombe atomiques soviétique). Dès 1950 les Russes se gardaient bien de proclamer, et les USA de dénoncer, la présence de pilotes soviétiques dans les nouveaux MiG-15 livrés par l’URSS à la Corée du Nord, lors des premiers mois du conflit de Corée. On ne tenait en aucun cas à laisser s’établir un casus belli avec l’autre puissance atomique, et bientôt nucléaire.
Depuis, à chaque occasion, lors d’un paroxysme de crises, c’est aussitôt ce mécanisme qui s’est répété, avec les deux super-puissances bien consciente de l’évidence, et chaque fois lorsqu’il y avait un ou plusieurs autres acteurs (un ou des ‘proxies’), montrant à suffisance leur capacité totale de contrôle des autres. Ce qui est différent, cette fois, c’est l’affirmation répétée de cette capacité de contrôle (de soi-même et des autres) comme si l’on voulait s’en convaincre soi-même alors qu’on ne cesse ainsi d’alimenter en nous la crainte du contraire.
Contrairement à ce qui est énoncé comme une fausse évidence, la situation n’est pas plus grave en Ukraine qu’en Israël sous le prétexte de l’engagement plus ou moins direct de l’une ou/et l’autre superpuissances nucléaires. Ce qui est en cause en vérité, c’est bien la capacité de contrôle des divers proxies impliqués et, au-delà, la stabilité et la discipliné des pouvoirs des deux superpuissances. On sait bien que, dans les deux cas, les USA donnent les plus vives inquiétudes :
• Dans le cas de l’Ukraine, en approuvant la ligne de conduite de Zelenski qui est une victoire complète sur la Russie, assortie ici et là d’hypothèses sur une parcellisation de la Russie vaincue, ce qui fait l’impasse totale sur la puissance nucléaire russe qui sera évidemment employée, de quelque façon que ce soit, contre quelque adversaire que ce soit, pour empêcher la défaite existentielle de la Russie. Le fait des USA de souscrire à cette ‘Fantasy’ de stratégie-bouffe constitue une très grave préoccupation, une préoccupation majeure sinon absolue des Russes dans ce conflit.
• Dans le cas de l’Iran (et d’Israël), l’incapacité plusieurs fois démontrée de l’absence d’influence des USA sur Israël, de l’incapacité des américanistes à imposer à Israël certaines politiques et certaines restrictions de leurs politiques. La situation iranienne est potentiellement bien aussi, sinon plus dangereuse que l’ukrainienne parce qu’on peut tenir pour très probable le fait, dans le plus extrême des cas, que la Russie ne laissera pas quiconque écraser l’Iran, qu’elle interviendra directement pour empêcher cela, et qu’elle sera ainsi directement impliquée comme le sont les USA de leur côté avec Israël.
En d’autres mots, cette façon de nous vouloir rassurés par de telles évidences de logique et de raison a toutes les raisons de nous inquiéter grandement, – et de mettre en doute logique et raison comme seules garantes des certitudes. Lorsqu’on vous répète comme une évidence que “tout va bien” dans la tête des principaux adversaires, alors que l’un des deux nous a affirmé mordicus pendant deux ans et contre tous les constats de l’observation que l’Ukraine donnait une raclée mémorable à la Russie et se retrouverait bientôt à Moscou, alors nous ne sommes pas rassurés du tout.
Korybko : https://korybko.substack.com/p/the-us-fears-an-uncontrollable-escalation
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