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4897... « Comme c’est bizarre », poursuivait Louis Jouvet sur un ton coupant comme lui seul savait avoir, devant un Michel Simon bredouillant comme lui seul savait faire. “Bizarre” se dit notamment “Weird” en anglo-américain, et donc “Weirder” signifiant “plus bizarre” comme dans “de plus en plus bizarre”. C’est Caitline Johnstone qui utilise ce mot dans son texte du 1ernovembre 2019 intitulé « Les choses vont être de plus en plus bizarres » (« Things Are Only Going To Get Weirder »).
Ce texte est à placer dans la catégorie des réflexions des commentateurs critiques (antiSystème ? dissidents ?) de l’évolution catastrophique actuelle (la Grande Crise de l’Effondrement du Système ), qui font depuis des années le tour des symptômes de cet effondrement et décident pour ce cas, et ils le feront de plus en plus souvent parce que les Derniers Temps nous pressent, de décrire le processus de l’effondrement dans la perspective de l’au-delà de l’effondrement. Nous-mêmes, nous abordons assez régulièrement ce thème puisque désormais l’idée des suites et des conséquences de l’effondrement ne peut que prendre une place centrale dans la réflexion.
Johnstone décrit une réflexion concentrée autour de la notion de pattern (que nous traduisons par “modèle” et que nous pourrions également désigner sous le mot de “structure”/[“structure principielle”] accordé à notre propre arsenal dialectique), selon l’idée de la nécessité pour les êtres humains de s’inscrire dans des “modèles” pré-existant pour vivre en société, mais aussi désormais de la pressante nécessité (très difficile, voire inconsciente) de détruire certains de ces “modèles” parce qu’ils s’avèrent faussaires et mauvais, et en un sens absolument mortels et porteurs d’entropisation. Ce que Johnstone qualifie de “bizarres”, ce sont tant d’événements stupéfiants, inexplicables, incompréhensibles qui défilent sous nos yeux ; Johnstone en promet encore bien d’autres, parce qu’il s’agit justement d’événements qui signalent la destruction de ces “modèles” “faussaires et mauvais, et en un sens absolument mortels et porteurs d’entropisation”.
Les conceptions de Johnstone se rapprochent de celles que nous avons trouvées si séduisantes et si correspondantes aux nôtres pour comprendre la situation crisique générale présente dans le livre de de Mircea Marghescu (Homunculus, Critique dostoïevskienne de l’anthropologie), représentant un “modèle dostoïevskien” de critique radicale de la modernité. De même que nous faisons en diverses occasions sans pouvoir en préciser plus, Johnstone en appelle dans son raisonnement, pour soutenir son jugement général qui est celui de l’effondrement/post-effondrement du Système, à des “références irrationnelles”, – ou plutôt que la raison-subvertie qualifierait avec horreur d’“irrationnelles” dans le langage-PC : « Il y a une intelligence qui dirige les choses derrière les bruits des narrative bavardes auxquelles nous sommes sensibles...[...] ...cette mystérieuse intelligence directrice qui anime la scène du monde bien au-delà des diarrhées verbales... »
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Les choses deviennent de plus en plus étranges. Si vous aviez dit à quelqu'un, il y a dix ans, que Dennis Rodman aiderait un jour à négocier la paix entre la Corée du Nord et le président Donald Trump, il aurait cru que vous décriviez un film bizarre conçu par Mike Judgeou les gars de South Park. Mais dans ce cas, il s’agit d’une vraie nouvelle.
Tout ce qui s'est passé ces dernières années a été bizarre. Le comportement des médias de masse a été bizarre, Russiagate c’était bizarre, Ukraingate c’est bizarre, un ancien candidat présidentiel accusant un candidat présidentiel actuellement président de travailler pour le Kremlin c’est bizarre, les gens accusant constamment des étrangers sur Internet d'être des agents russes c’est bizarre, les factions du gouvernement américain divulguant constamment des informations contre les autres factions du gouvernement américain c’est bizarre, le DNC se faisant prendre à manipuler leurs primaires c’est bizarre, La défaite d'Hillary Clinton aux élections c’est bizarre, l'empoisonnement au Skripal c’est bizarre, les représentants du gouvernement américain tweetant ouvertement sur leur coup d'État au Venezuela c’est bizarre, la narrative-simulacre de l’effondrement syrien c’est bizarre, l'arrestation d'Assange c’est bizarre, la campagne pour censurer Internet c’est bizarre, – et je ne vous cite que les choses que j’ai en tête dans mes propres domaines de spécialisation étroite. N'importe qui d'autre pourrait énumérer des douzaines d'autres nouveaux développements bizarres à partir de leur propre domaine de l’information.
J'entends souvent des gens dans mon métier me dire : “On se remémorera toutes ces conneries et on pensera à quel point c'était bizarre !"
Non, cela ne se passera pas comme ça. Parce que ça va devenir encore plus bizarre.
Ça va devenir encore plus bizarre, parce que c’est ce à quoi ressemble la scène du monde quand les vieux modèles commencent à s’effondrer.
L’esprit humain est conditionné à rechercher des modèles afin d’établir une base structurelle à partir de laquelle on peut envisager des actions futures. Ce cadre perceptif existe pour nous donner la sécurité et la sûreté, de sorte que les perturbations dans les modèles sur lesquels il est basé nous apparaissent comme si bizarres, voire menaçantes sinon effrayantes. Ces perturbations nous donnent un sentiment d'insécurité, parce que notre outil cognitif permettant de rester en contrôle de nous-mêmes semble être devenu inopérant.
Cependant, lorsqu'il s'agit d'une espèce qui a été constamment orientée vers sa propre destruction, une perturbation des modèles est une bonne chose. Nos tendances écocides et bellicistes nous ont amenés à un point où nous nous trouvons aujourd'hui engagés dans la tendance de notre propre extinction, et c'est vers là que nous nous dirigerons certainement si nous continuons à conformer notre comportement sur la trajectoire que nous avons suivie jusqu’ici. Seul un changement radical des modèles peut changer cette trajectoire. Et nous assistons à un changement de modèle.
Bien sûr, l’événement est aussi furieux que l’enfer. La perturbation et la destruction le sont toujours. Montrez-moi seulement quelqu’un qui se sortirait d’une grave dépendance aux drogues dures avec douceur et facilité, sans changement majeur dans sa vie à part l’absence de toxicomanie ; montrez-moi quelqu'un qui s’est débarrassé d’une relation abusive à long terme dont la vie n’en a pas été bouleversée. Les gens voient la sécurité dans les modèles, même les modèles malsains, et ils construisent leurs propres modèles sur les modèles de ceux qui font partie de leur vie. Lorsque certains de ces modèles disparaissent des références des personnes impliquées, la situation peut sembler extrêmement dangereuse pour nombre de ces personnes.
Lorsque les modèles commencent à disparaître, on peut avoir l'impression que les choses empirent. Parce qu’un modèle disparu est une absence de quelque chose et non une chose en soi, les gens ne le voient pas parce que l’esprit humain est naturellement attiré vers les choses et non vers l’absence des choses. Ainsi, leur attention sera attirée sur tout ce qui commence à se passer en l'absence de l'ancien modèle, ce qui ne sera pas nécessairement une chose agréable ou attirante, et ils diront “Oh non ! Les choses empirent maintenant !” Ce n’est pas vraiment le cas. Un modèle malsain a disparu et, en son absence, quelque chose de désagréable s'est mis en place pendant un certain temps. Mais l'absence de l'ancien modèle malsain est une bonne chose et, à long terme, mènera à de bons résultats, tout comme le fait de quitter un mariage violent peut entraîner des difficultés financières et du désarroi psychologique à court terme mais mènera à une prospérité à long terme.
Je suis devenu convaincuedans ma vie personnelle que les humains sont beaucoup plus capables de briser les modèlesqu'ils ne le pensent. Il y a une intelligence qui dirige les choses derrière les bruits des narrative bavardes auxquelles nous sommes sensibles, dont la plupart d'entre nous ne sont pas conscients mais dont je suis convaincue qu’elle fait disparaître les anciens modèles de comportement de notre espèce, à la fois collectivement et individuellement.
Nous sommes tous conscients mentalement que les choses doivent changer par rapport aux modèles dans lesquels nous nous sommes engagés collectivement, mais nous n'avons pas été en mesure d'apporter ces changements parce que nos efforts pour le faire découlent des mêmes modèles de conditionnement qui nous ont mis dans ce pétrin au départ. Nos modèles nous ont conduits à des révolutions violentes, mais ces révolutions ont mené ont simplement à des gouvernements qui finissent par perpétuer les mêmes vieux modèles que nous voulions liquider. Nos modèles ont conduit à des mouvements politiques non-violents, mais ceux-ci ont fini par être récupérés et leur énergie a servir à renouveler la même modélisation. Bien qu'on nous ait dit au long des siècles que le véritable ennemi est le Roi ou l’Empereur ou l’aristocratie ou les juifs ou les communistes, le véritable ennemi dissimulé a toujours été notre propre tendance conditionnée à répéter les mêmes modèles de comportement collectif.
C'est ce qui semble s'évaporer. Non pas parce que quelqu'un a eu l'idée de l’Idéologie Politique Suprême, non pas parce qu'un révolutionnaire intelligent a élaboré le Plan Décisif pour pulvériser le statu quo, non pas parce que des tueurs expérimentés ont liquidé ceux qui étaient au pouvoir et les ont remplacés par eux-mêmes, mais parce que cette mystérieuse intelligence directrice qui anime la scène du monde bien au-delà des diarrhées verbales fait disparaître nos modèles d’une façon telle que nous ne voyons rien se faire parce que nous n’avons pas la capacité de nous préoccuper des absences (celles des modèles qui sont détruits).
L'observation du fait évident que l'humanité est profondément conditionnée est ce qui a conduit à des débats philosophiques à travers les âges à propos de l'existence du libre arbitre. Comment une espèce aussi redevable à ses modèles pré-conditionnés peut-elle avoir la liberté de choix dans ses actions ? D’après mon expérience, la réponse est qu’il y a quelque chose d’actif en chacun de nous qui offre la possibilité de se défaire des vieux modèles. Nous n'avons aucun libre arbitre quant à la façon dont un comportement conditionné donné se déroulera tant que nous le conserverons, mais il y a quelque chose en chacun de nous qui est capable d’ouvrir la porte de l’esprit pour en expulser complètement une habitude mentale. C'est la seule mesure dans laquelle on peut dire que le libre arbitre existe.
Parfois je me demande si le monde tel que nous le connaissions s'est vraiment terminé en décembre 2012 comme l'avaient prédit tant de mystiques, de médiums et de psychonautes. Pas dans un holocauste nucléaire ou un météore géant évidemment, mais par le début de la destruction de la colle qui maintient les modèles de comportement humain en place. Il n'y a certainement pas eu d'élection présidentielle américaine normale depuis cette date, et il ne semble pas y en avoir à l'horizon dans un avenir prévisible. Les choses sont devenues de plus en plus étranges depuis, et cette tendance semble s'accélérer plutôt que de ralentir.
Les choses sont bizarres, et elles vont devenir de plus en plus bizarres. Bouclez vos ceintures, camarades.