Blair et Cie, Plutôt Chamberlain que Churchill — Rubrique de defensa, Vol18, n°13, 25 mars 2003

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Blair et Cie, Plutôt Chamberlain que Churchill, — Rubrique de defensa, Vol18, n°13, 25 mars 2003


On a vu récemment sur ce site le grand cas que nous faisons de récentes déclarations de Tony Blair sur l’organisation des relations internationales, son rejet de la multipolarité, son embrassement enthousiaste, — ou son enthousiasme contraint pour embrasser c’est à voir —, de l’unipolarité, impliquant un alignement sur les USA.

Cette analyse rejoint une première analyse sur ce thème faite dans notre Lettre de defensa du 25 mars, à partir de déclarations assez similaires de Jack Straw, au début mars. La thèse à laquelle nous conduisent ces remarques est simplement d’avancer que, plutôt qu’un nouveau Churchill d’un danger qui n’existe pas, Tony Blair serait le nouveau Chamberlain d’une capitulation qu’il expérimente chaque jour. Son brio se situe essentiellement dans la façon de camoufler cela derrière des théories grandioses et ronflantes sur l’empire (britannique) reconstitué ou qui pourrait le sembler ; en plus, l’hypothèse qu’à force de ce brio, Tony Blair doit finir par y croire.

Voici donc l’extrait de notre rubrique de defensa, Volume 18, n°13, du 25 mars 2003.


@SURTITRE = R.I.P., Grande Alliance

@TITREDDE = Les cendres de Winston

@SOUSTITRE = Sous nos yeux s'éteint, dans un fracas lourd de mensonges médiatiques blanchis et essorés par le virtualisme, un grand projet de l'histoire anglo-saxonne : la Grande Alliance

La référence de Blair, c'est Churchill. C'est aussi celle de GW comme celle des neo-Cons américains et des néo-impériaux hégémonistes britanniques (la paléo-droite du parti tory, sous le regard intransigeant de Lady Thatcher). Bref, c'est la référence universelle. Tous, ils partent en guerre au nom d'un concept mis en forme en 1877 par Cecil Rhodes et appliqué sous une forme dégénérée en 1941, sous la forme d'une Charte de l'Atlantique, très vague, très fumeuse, pleine d'arrière-pensées et de lecture à faire entre les lignes. C'est la “Grande Alliance”, de Churchill bien sûr. C'est la Grande Alliance qu'on enterre, dans les sables irakiens, sables virtuels ou pas, et avec elle les grands desseins de domination anglo-saxonne qui hantent les esprits des paléo-impérialistes britanniques.

En 1877, donc, Sir Cecil Rhodes constitua une société semi-secrète d'influence formée de membres de l'élite conservatrice britannique (exemple : le rédacteur en chef du Times membre permanent de plein droit). L'un de ses buts affirmés, quasiment statutaire, était « the ultimate recovery of the United States of America as an integral part of British Empire ». C'est un peu ambitieux, — mais l'idée resta en se transformant : manipuler les USA pour protéger la puissance de l'Empire britannique, puis du Royaume-Uni lui-même lorsque l'Empire eut disparu (tiens, —  en grande partie sous l'impulsion américaine ; l'esprit tory n'y a jamais vu la moindre contradiction). Churchill fut le héraut de cette soi-disant stratégie, qu'il justifiait par la perspective d'une domination anglo-saxonne du monde.

La Guerre froide fit bon usage de ce montage. La présence d'un danger commun perçu comme étant d'une extraordinaire puissance impliquait que les nécessités et les subtilités de la souveraineté nationale fussent moins pressantes qu'en temps normal. Le Royaume-Uni profita de cette période, cultivant l'illusion de la puissance annexe presque à l'égal de la puissance souveraine, et de la souveraineté limitée exercée comme une souveraineté pleine et entière. Le contraste avec le choix français était complet, à l'image des deux tirant la leçon inverse de la crise de Suez en 1956, où ils avaient dû reculer de conserve devant l'ultimatum US : les Britanniques rentreraient dans le rang pour n'être plus jamais mis à l'index des Américains, les Français tiendraient leur rang (leur indépendance nationale) plus ferme que jamais, jusqu'à devenir une puissance nucléaire autonome pour ne pas plier devant l'index américain. On retrouve ces positions aujourd'hui.

L'analogie avec Suez est souvent évoquée pour cette crise irakienne, principalement pour caractériser telle ou telle hypothèse à propos du sort de Blair (sera-t-il emporté par cette guerre impopulaire, comme Anthony Eden en 1956 ?). Mais il y a une analogie bien plus intéressante à faire.

• Une analogie contradictoire : Eden partait en guerre contre la volonté US, Blair est en guerre par la volonté US.

• Une interrogation analogique : les USA vont-ils recourir à la menace contre leurs alliés, comme en 1956 ?


Le résultat de la Grande Alliance, est-ce ceci : un Royaume-Uni suspendu aux décisions US et aux vapeurs de violette de l'illusion impériale ?

La crise actuelle est, pour Tony Blair, l'achèvement de l'exercice de “grand écart” qu'on a souvent signalé dans ces colonnes. La terrible hargne anti-française des Britanniques, pleine de fureur et de dépit, mesure la déception que l'exercice soit devenu si dommageable aux divers attributs britanniques. La France a privé Blair de l'onction d'une deuxième résolution ONU, ce qui l'aurait gardé complètement du côté intérieur ; les Britanniques ont du mal à croire que les Français ont agi selon le respect des principes, ce qui prouve que les Britanniques, malgré le cousinage et dix siècles de guerres, ont toujours tout à apprendre des Français.

(Bien sûr, les Français ont agi selon le respect des principes, imaginer autre chose n'a pas le moindre sens et c'est croire à sa propre propagande, à ses propres mensonges. Aucun homme politique français n'aurait tenu une telle politique, si audacieuse, si ferme, dans une époque de débilité si complète où les politiciens français sont trempés plus qu'à leur tour, s'il n'y avait ce respect rationnel et impératif pour les principes. Les Anglo-Saxons ont multiplié les erreurs de calcul à cause de cela, ce petit point, qu'ils auraient pourtant dû comprendre à la fréquentation de De Gaulle et des gaullistes pendant la guerre. D'autre part, autre erreur suprême qui montre la faiblesse et l'angoisse intérieure des Anglo-Saxons, d'avoir cru que ce respect des principes est une question de vertu et que, pour cela, les hommes politiques français ne s'y tiendraient pas. Chez les Français, le respect des principes n'est pas une question de vertu, c'est une question de raison, et les Britanniques n'ont toujours pas compris que si le plus grand écrivain français, pourtant anglophile, traite le plus grand diplomate français d'image même du “Vice”, les deux sont tout autant nécessaires à la France, — question de mesure, qui caractérise mieux Chateaubriand et Talleyrand que le débat sur le vice et la vertu.)

Cette incompréhension britannique des Français, notamment et essentiellement dans cette crise, est aussi l'effet direct des illusions britanniques, — celle de Blair et de son “grand écart” quand il s'avère n'être qu'une réfection de façade, sous l'ivresse du rêve impérial, d'une servilité transformée en fanfaronnade. Aujourd'hui, l'extrême de cette logique britannique de la servilité habillée des refrains chamarrés de l'ivresse impériale se trouve dans un Andrew Anderson qui ne médite pas moins qu'un « regime change » à Paris, à-la-Saddam. Tout cela, écrit presque au fil de la plume, avec une arrogance tranquille de club londonien, et qu'il faut citer texto, en écoutant le soupir désabusé de celui qui porte le « white man's burden » (cette fois au profit des indigènes du continent, qu'il sauvera malgré eux) : « Awaiting regime change in Paris, the UK will have to content itself with convincing America that not all Europeans are Frenchmen, and that there will eventually be new diplomatic opportunities for EU/US co-operation. »

En d'autres termes, dans ces derniers jours avant la guerre, la direction inspiratrice du Royaume-Uni s'est enfoncée dans les vapeurs impériales, ces vapeurs d'opérette. On comprend pourquoi, — puisqu'il ne s'agit rien moins que de justifier une guerre.


@TITREDDE = On est le Chamberlain qu'on peut

@SOUSTITRE = Quelques phrases de Jack Straw, dites dans la fièvre de jours incertains et pressants, éclairent la réalité de la situation du monde.

Le 4 mars, le secrétaire au Foreign Office Jack Straw déposa devant la Commission des affaires étrangères des Communes. Il fit une intervention passionnée, pressante, où l'on peut relever précisément ceci : « What I say to France and Germany and all my other EU colleagues is “take tare” because just as America helps to define and influence our politics, so what we do in Europe helps to define and influence American politics. And we will reap a whirlwind if we push the Americans into a unilateralist position in which they are the centre of this unipolar world. ». Le 10 mars, dans une chronique du site WSWS.org, Julie Hyland qualifiait d'« extraordinaire » cette déclaration de Jack Straw, et elle précisait aussitôt que ce qualificatif était mérité, « dans la mesure où l'essentiel de la propagande du gouvernement britannique contre les anti-guerre est de les accuser d’“apaisement” en se référant aux accords de Munich ». Il s'agit en effet de montrer, comme l'évidence de la déclaration de Straw nous le dit, que s'il y a un “Munichois” dans cette affaire, ou, pour être plus précis, un “Chamberlain”, c'est le Britannique et nullement le Français et l'Allemand. Le conseil pressant que donne Straw est bien celui d'un “Chamberlain” : cédez aux Américains sinon leur colère va être terrible. Plus question des arguments sur les armes de Saddam, les liens de Saddam avec AI Qaïda et ainsi de suite.

Il y a là-dedans, dans cette interprétation qu'on donne de l'intervention de Straw, l'effet du piège où la rhétorique virtualiste entraîne le gouvernement britannique, privé de tout argument acceptable pour justifier la guerre à laquelle il entend participer. L'analogie Munich/Chamberlain, ressortie à chaque crise, n'est acceptable que dans la mesure où elle porte sur des rapports de force équivalents. Dans la forme initiale où elle a été proposée, cette analogie qui porte sur le travestissement de Saddam en nouvel Hitler et sur l'Irak en nouveau Troisième Reich, est d'une faiblesse caricaturale qui finit par détruire la thèse qu'elle est censée renforcer. Il reste qu'elle a été développée et que, d'une certaine façon, elle sollicite une interprétation, — si celle de Saddam-Hitler n'est pas bonne, à quelle situation se rapporte-t-elle ?

Le gouvernement Blair est si complètement piégé, si pressé de toutes parts, qu'il en arrive à dire la vérité. C'est effectivement le cas avec Straw : sa déclaration renvoie effectivement à une crainte britannique très réelle, et elle constitue même un appel à l'aide et un rappel des réalités : si Blair s'est engagé aux côtés des USA, c'est d'abord pour tenter de freiner la course à la guerre de ce pays. Et alors, cette tactique compréhensible au départ, quand il apparaît qu'elle ne donne guère de résultat, quand les Britanniques recommandent toujours plus de concessions (une résolution à l'ONU autorisant la guerre), devient effectivement une politique munichoise, et Blair, un Chamberlain-II plutôt qu'un Churchill Mark-II. C'est alors qu'on découvre avec horreur que, dans cette analogie, la puissance américaine tient le rôle de la puissance du IIIe Reich.


Pour la première fois s'ouvre la réflexion théorique sur le fait de savoir si des rapports de tension exprimés par la force peuvent un jour apparaître entre alliés transatlantiques

Revenons à notre champ psychologique, dont nos lecteurs mesurent que nous l'affectionnons particulièrement. C'est le champ favori où s'ébat le virtualisme, qui est cette doctrine idéologique de conformation des psychologies (à la différence des idéologies “classiques” qui cherchent à conformer les idées). Observons le mécanisme de l'idéologie virtualiste :

• Dans le cadre colossal de littératures rituelles et de dénonciations obsessionnelles de l'hitlérisme, la catégorisation en “Hitler” est devenue le mot de passe idéal. Traitez votre adversaire de Hitler, il ne peut pas s'en relever. Le virtualisme, qui a le cuir épais, a compris cela, car le folklore de l'insulte autour de Hitler est l'une des démarches les plus épaisses de notre temps a-historique.

• On sait que le virtualisme s'en donne à coeur joie dans les guerres postmodernes. Pourquoi ? Parce qu'aucune n'est vraiment justifiée ni vitale, du point de vue des moyens déployés et en fonction des intentions cachées. La consigne virtualiste est donc de qualifier l'ennemi de “Hitler”, car tout devient alors justifié. Ce fut donc le cas de Saddam et de Milosevic, de Saddam à nouveau.

• Le reste de la littérature vient avec, notamment Munichois/Chamberlain. Qui hésite à cogner à 50 contre 1 l'avorton déguisé en Hitler est qualifié de Munichois/Chamberlain, soit couard, trouillard, pleutre.

On comprend vite combien l'obscène vacuité de ces propos les dessert rapidement, jusqu'à les réduire à rien. Reste que la psychologie est marquée par ces images, sans en être prisonnière. C'est le cas qui s'impose avec le cas de l'intervention de Jack Straw, avec l'interprétation a contrario qu'on en donne (le Chamberlain, c'est lui), avec les conséquences sémantiques et dialectiques déstabilisantes qui en découlent : si Straw parle en Chamberlain, son Hitler c'est la puissance américaine elle-même. L'interprétation est d'autant plus acceptable que, pendant longtemps depuis un an et demi, et épisodiquement encore, les Britanniques laissent entendre qu'ils sont embarqués sur la même galère que les Américains pour pouvoir les contrôler, les freiner, voire les bloquer (on peut rêver) ; ce n'est pas faire de l'apeasment à-la-Chamberlain mais c'est s'y condamner si la manoeuvre échoue ; dans tous les cas, c'est implicitement accepter l'idée que le danger est bien du côté de l'énorme puissance américaine et c'est alors accepter le schéma sacrilège qu'on a vu ci-dessus.

Ce que nous voulons dire est que l'emploi systématique de l'image grossière, sous prétexte d'un moralisme de midinette qui est l'arme favorite du virtualisme et du monde de la communication installés aux commandes de la politique, finit par épuiser la psychologie, comme fait en général l'emploi du mensonge. (Le poids du mensonge est épuisant pour la psychologie, parce qu'il s'apparente à une pathologie, qui est celle du refus de la réalité, paranoïa ou névrose en général.) Mais en même temps, elle prépare une audace de l'esprit très dangereuse (pour le virtualisme) lorsque l'esprit est déchaîné de ces mensonges. On relève souvent cela, aujourd'hui, dans des séminaires comme notre monde d'experts est coutumier. Vous avez les interventions convenues, avec le bavardage insipide sur la solidarité, les “valeurs communes”, transatlantiques évidemment ; avec une assistance qui approuve machinalement, dodeline de la tête, prend quelques notes sous forme de gribouillis (sorte de “minimum syndical” du zèle convenu), en fait somnole paisiblement et finit par applaudir en simulant la gratitude. Puis vient un orateur qui s'envole dans la simple description de la réalité, décrit la puissance déchaînée (US, certes) que nous devons subir, prend le parti du bon sens et aussitôt un frisson d'excitation joyeuse ébroue la salle. La vérité, au fond, est rafraîchissante.

Le fait est que, aujourd'hui, ce déchaînement de l'esprit se fait à l'ombre des images que nous imposent par ailleurs le virtualisme, et ces images, dans un mouvement naturel, lui sont retournées. Aussitôt, la conceptualisation et le jugement qui en naissent ont la sévérité de ceux qui, dans l'exemple ci-dessus, accompagnent l'intervention de Jack Straw.


@TITREDDE = Exercice pratique

@SOUSTITRE = Les Britanniques ont donc trouvé la formule : être un clone de l'Amérique de Richard Perle ? (Être l'Athènes de cette Rome, disait McMillan.) Voyons voir.

Nous savons certes qui nous dispense les visions grandioses d'un Royaume-Uni reconstitué, en tenant le pauvre Blair par la peau du cou. (Irwin W Stelzer, digne Britannique contribuant au Weekly Standard, ne lui envoie pas dire : « Tony Blair wanted to Great Britain to be the bridge between America and the European Union. Now he'll have to choose between the two. »). L'Angleterre est prisonnière, pour sa pensée politique, d'un groupe d'esprits exaltés, plumitifs du groupe Rupert Murdoch et une phalange de Lords et d'historiens thatchériens, rêvant de refaire l'Empire à la façon de Cecil Rhodes. Pour eux, il va de soi que l'Angleterre accompagne l'Amérique, la seconde, — mais la pilote en réalité. Si l'Angleterre a le respect de son cousin américain et n'entend pas trop marquer sa supériorité manoeuvrière, en réalité elle reste cette puissance impérative qu'elle ne cessa jamais d'être.

Malgré la lassitude qui nous envahit, voyons la réalité. En effet, cette cohabitation USA-UK que proposent les ultra paléo-impérialistes britanniques doit nécessairement se faire, elle doit reposer sur des choses concrètes. Elle doit se nourrir à une coopération fructueuse, qui doit alimenter les deux puissances-soeurs, pour enfin se débarrasser des liens européens dont cette tendance britannique estime qu'ils pervertissent la vertu britannique. (Pour rappel, la thèse ne fait pas l'unanimité. Citons, pour mémoire, George Montbiot dans le Guardian du 11 mars : « Why do the conservatives who go berserk when the European Union tries to change the content of our chocolate bars look the other way when the US seeks to reduce us to a vassal state? Why do the liberal interventionists who fear that Saddam Hussein might one day deploy a weapon of mass destruction refuse to see that George Bush is threatening to do just this against an ever-growing number of states ? »)

Les domaines de la puissance où, si la théorie des paléo-impérialistes est fondée, UK devrait se trouver confortée par son intime fusion avec les USA, sont notamment. ceux-ci :

• La puissance nucléaire, certes.

• La puissance technologique d'une façon générale, ce qu'on désigne comme la “base technologique”, qui donne à une puissance sa capacité moderne d'affirmer son poids tant économique que militaire.


Au moment où Jack Straw dénonçait la position de la France dans la crise, le MoD choisissait une deuxième fois Thalès contre BAE

La circonstance est caractéristique. Le jour (12 mars) où Jack Straw dénonçait avec violence la position de la France dans la crise irakienne, le ministère de la défense (MoD) choisissait Thalès de préférence à BAE dans un nouveau contrat massif (£2 milliards pour l'équipement du soldat de l'avenir, programme FIST). Venant après le partage entre Thalès et BAE du contrat de porte-avions (et le choix de la proposition française), cette décision marque la très mauvaise qualité des rapports entre le MoD et BAE, la volonté du MoD de se ménager un autre choix que BAE, mais surtout, pour ce qui nous intéresse, le doute qui est apparu fondamentalement sur les capacités technologiques de BAE, largement “américanisé” dans le sens de la prépondérance des profits et de la prolifération de la bureaucratie.

Peu importent les détails. Depuis cinq ans, BAE est devenu un pur produit industriel et technologique d'une coopération intégrée entre USA et UK, comme le rêvent les paléo-impérialistes britanniques. Le résultat, on le trouve dans le simple fait qu'il y a 5 ans, BAE envisageait de racheter Boeing et qu'aujourd'hui, c'est Boeing qui envisage de racheter BAE. Entre temps, BAE a perdu sa compétitivité, s'est alourdi d'une bureaucratie envahissante, a perdu certains domaines technologiques essentiels, — et, surtout, BAE a perdu tout espoir d'autonomie, d'indépendance technologique. Aujourd'hui, Thalès est un fournisseur plus sérieux que BAE.

Le dilemme britannique se décline dans cette aventure-BAE qui tourne court, d'une société de rang mondial, passant de l'ambition d'être le n°1 de la technologie des armements en Europe, à la fatalité de devenir un sous-traitant “de luxe” des Américains. Pour le reste, pour ce qui concerne le domaine technologique fondamental des avions de combat, qui fixe bien la situation technologique, BAE et les Britanniques sont confrontés d'une part à un programme EFA Eurofighter à la dérive, d'autre part à un programme JSF où ils connaissent les pires difficultés en matière de transfert de technologies (voir dd&e, Vol18, n°14, rubrique Journal), un programme accumulant désormais les incertitudes et les interrogations (la dernière, la découverte que le JSF pèse 3 tonnes de plus que son poids prévu de 12 tonnes ; si cette question n'est pas résolue, c'est la version ADAC/V, celle que veulent les Britanniques, qui est menacée, et le programme entièrement déstabilisé). Cet exemple concerne la situation technologique britannique, on sait qu'elle est encore plus marquée, pour la question de l'absence d'autonomie, avec le cas des forces nucléaires.

Qu'importe, encore. Nous voulons, avec ces exemples, pousser une logique à son extrême, comme dans le cas du nucléaire français évoqué plus haut. Nous voulons montrer que cette voie de la sujétion britannique, présentée par une faction activiste comme la voie du triomphe et de la puissance, débouche sur des situations si délicates que le risque est grand qu'elles précipitent la crise dans les domaines respectifs. Avec la société britanniques secouée par des tensions extrêmes, une rupture si complète entre l'élite et le peuple britannique, ce pays d'ores et déjà en danger d'être ingouvernable se verrait menacé d'une telle déstabilisation qu'au terme c'est le désordre qui finalement menacerait.