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1165Le 8 Avril 2002 – Après la rencontre texane entre GW Bush et Blair, il semble qu'un plan américano-britannique puisse être dégagé pour tenter de ramener la paix, ou, dans tous les cas, rétablir et maintenir un cessez-le-feu entre Israël et les Palestiniens. Un article du Times de Londres, d'aujourd'hui, donne des détails de ce plan, annoncé par Tony Blair.
Le plan GW-Blair s'appuie à fond sur l'initiative américaine lancée depuis le discours de Bush du 4 avril. Cette initiative est le résultat d'un retour en grâce au sein du cabinet US des thèses de Colin Powell. Les ultra-faucons (Wolfowitz, Perle et les neo-cons) ont accepté de relâcher un peu leur pression à la demande des faucons Cheney et Rumsfeld, qui estiment que les événements au Moyen-Orient nécessitent un repli temporaire. (Nous faisons ici une distinction entre les ultra-faucons, ou faucons idéologues, comme Wolfowitz et Perle, et les faucons tout court, ou faucons réalistes, comme Cheney et Rumsfeld.) L'argument concerne notamment les réactions internationales et surtout les pays arabes, que Cheney a trouvés dans un état d'opposition et d'exacerbation beaucoup plus marqué qu'il ne prévoyait. Mais il ne peut s'agir que d'un repli temporaire de la faction dure (faucons et ultra-faucons) qui domine la politique US. L'on sait déjà, sans la moindre surprise, que la mission de Powell au Moyen-Orient est l'objet d'une controverse féroce au sein du cabinet, avant même qu'elle ait commencé, et que toutes les sortes possibles de sabotage seront lancées contre elle. (Pour avoir le sentiment de l'aile dure de l'équipe GW, on peut lire, par exemple, l'éditorial du Wall Street Journal du 5 avril.)
Dans ce schéma, Blair apparaît non comme l'homme qui a mis au point un plan d'accord pour le Moyen-Orient avec le président, mais comme un homme qui a désormais partie liée avec la faction modérée du cabinet, essentiellement Colin Powell. Cela signifie que, de plus en plus, l'alliance américaine de Blair sera considérée à Washington comme une alliance avec les modérés de l'équipe GW Bush. Il est difficile de faire de ce constat une cause de triomphe : la faction modérée/Powell est promise, dans le climat washingtonien actuel, à vite retrouver sa position marginalisée habituelle, à moins d'un miracle au Moyen-Orient qui passe nécessairement par la conversion d'Ariel Sharon à une politique de paix. On peut se distraire à peser les chances qu'une telle évolution psychologique du Premier ministre israélien se concrétise.
Blair pourrait avancer qu'il revient du Texas avec un bilan tactique « globalement positif », mais il ne peut dissimuler que sa position stratégique est de plus en plus intenable, — ce qui est typique des capacités britanniques aujourd'hui : maestria tactique pour une stratégie vouée à l'échec. Blair devait obtenir cette concession US sur la priorité des crises (résoudre le problème Israël-Palestine avant l'attaque contre l'Irak) pour donner satisfaction à son parti travailliste qui est désormais en quasi-dissidence. Opération tactique réussie (il est loin d'être acquis que cela suffira). Mais ce faisant, il entre dans le jeu d'enfer des influences à Washington en se mettant du côté des loserstype-Powell, en se marginalisant parce que le centre de gravité du pouvoir, aujourd'hui à Washington, est incontestablement du côté des faucons extrémistes. Blair devient, avec Powell, la cible de la haine des ultra-faucons de Washington, ce qui n'est pas rien. Pour Blair, c'est un handicap lourd à porter et pour la pérennité des special relationships, c'est une position notablement inconfortable.
Un autre aspect de cet ''arrangement'' finalement très ambigu, c'est la position de Blair vis-à-vis de l'UE. Parlait-il au nom des Européens, lorsqu'il parlait à GW ? Certes non (cela était rapporté de façon explicite dans l'article de Hugo Young dans le Guardian, cité dans notre précédente analyse, du 7 avril). Pourtant, tout s'est passé comme si cela pouvait être le cas. A première vue, les Européens peuvent se féliciter que l'un des leurs, même s'il parlait en son nom propre, ait réussi à conduire le président américain à soutenir un plan de paix (cela durera ce que cela durera, GW étant notoirement versatile). Blair peut affirmer qu'il a ainsi confirmé sa tactique : être le plus proche possible des Américains pour les modérer. Au-delà, il y a bien des conditionnels, sans tenir compte de la situation sur le terrain, de la validité du plan, sans tenir compte même de la situation qu'on a décrite des ultra-faucons par rapport à Blair. Il n'est pas du tout assuré que les Européens acceptent de se voir imposer de facto un leader : l'Europe n'a pas de politique étrangère mais elle entend bien que personne ne lui en impose une. A partir de cette proposition assez désolante, mais qui est le lot de toute organisation de pays souverains et pointilleux sur ce fait, on peut être sûr que plus d'un pays européen attend Blair au tournant, à peu près comme les ultra-faucons de Washington l'attendent également. Là encore, dans ce chaudron en ébullition qu'est la crise actuelle, position stratégique intenable, qui est dans la substance même de la politique dite ''de grand écart'' que suit Blair, à la fois américaine et à la fois européenne.