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78811 février 2008 — Tony Blair est-il inoxydable, indestructible, insubmersible? Certains Européens doivent le penser. Ce représentant par excellence du libéralisme hyper-libéral (cela existe), anglo-saxon, libre-échangiste, pro-américaniste, est également et paradoxalement l’un des Britanniques les plus détestés des dirigeants européens. C'est un paradoxe parce que, après tout, ces dirigeants européens font la plupart du blairisme en le sachant, hyper-libéraux et pro-américanistes comme on va à l’église le dimanche, – et pourtant, non, la détestation passe tout.
Enfin, depuis juin dernier et l’arrivée du corpulent et infiniment moins sexy Gordon Brown à Downing Street, on croyait être quitte du sémillant Blair. Pas si vite. On sait que, désormais, ce qu’on craignait est confirmé. Blair est quasi-officiellement candidat à la fonction de premier président de l’UE, fonction définie selon le traité type Constitution-light signé à Lisbonne. L’on sait, tout aussi quasi-officiellement, que cela enrage à peu près tout le monde en Europe.
Les citoyens, les activistes adversaires des Anglo-Saxons et de l’hyper-libéralisme peuvent s’offusquer. Qu’ils se rassurent, ils ne sont pas les seuls. Ce qu’il y a de réjouissant dans l’aventure “Blair-candidat”, c’est qu’elle sème la pagaille au coeur même de l’establishment européen. Pour prendre la France, on observera que Sarkozy est à fond derrière Blair, sans doute pour satisfaire à son “look” moderniste anglo-saxonisé et un zeste de “bling-bling”; mais VGE, dit Giscard d’Estaing, objectivement allié de Sarkozy qui, juge-t-il, a sauvé sa Constitution européenne avec le traité de Lisbonne, en est l’ennemi farouche.
Quelques mots, tout de même, de Bruno Waterfield, du Daily Telegraph du 9 février, sous le titre enchanteur de : «Could Blair be Europe's George Washington?»
«Tony Blair could be Europe's 21st century equivalent of George Washington if he gets the job of President of the European Union. George Washington is the role model for the EU president, which should please Tony Blair, the current favourite
»The architect of the role, the former French president Valéry Giscard d'Estaing, believes that the first incumbent should have the political clout to assume the historical significance of the foremost founding father of the United States. “This is about the first fixed president of the EU and we must have George Washington in mind as the precedent,” he wrote on his blog yesterday.
»Mr Blair is the current favourite, although Mr Giscard d'Estaing opposes his candidature because Britain is not a member of the euro and opts out of EU borders, justice and social policy.
»The former prime minister has expressed interest in the presidential post, but only if it comes with a high-profile political role. He is expected to declare himself formally in the race - or not - as details of the job description emerge over the next four months.
»Mr Giscard d'Estaing has called for a public debate about the role of president, which he created. He fears that European governments, running scared of public opinion, will draft the job description in Brussels corridors instead.»
Pourquoi une candidature Blair est-elle épatante? (Nos lecteurs attentifs auront compris que nous en jugeons de la sorte.) Parce que, pour cette fois, au lieu de mettre les peuples contre les élites, – bagarre habituelle qui ne manque pas de panache et fait progresser les choses en profondeur mais où les secondes l’emportent régulièrement dans l’immédiat, – nous auront les élites contre les élites. Cette perspective doit nous réjouir tant l’état actuel du système est la pire des paralysies sclérosées qu’on puisse imaginer. L’introduction de n’importe quel élément de désordre dans une telle désolation figée ou sculptée dans la langue de bois bureaucratique ne peut qu’être bénéfique.
La caractéristique de Tony Blair est qu’il ne doute de rien. Il continue à penser que son action comme Premier ministre britannique, depuis 9/11, est toujours incomprise et fut héroïque. Il pense qu’il peut apporter un élan à l’Europe, même s’il lui faut sacrifier une partie de ses plantureux émoluments en se passant de telle ou telle conférence, – autre acte d’héroïsme de sa part. (En passant, on précisera que l’accumulation de fortune dans laquelle s’est lancé Blair le rend encore plus détestable pour les milieux européens, réduits en général aux salaires de misère qu’on sait, qui de Commissaire européen, qui de Premier ministre.)
Blair a donc des plans pour l’Europe. L’un d’eux sera sans aucun doute de lancer une vaste campagne pour établir une grande communauté transatlantique, à-la-Merkel ou à-la-Balladur (Pour une Union occidentale entre l’Europe et les Etats-Unis de Edouard Balladur, Fayard 2007). Mais il le fera dans une autre position que celle de Premier ministre britannique, il le fera au nom de l’Europe, en réclamant un dialogue “d’égal à égal” (idée retrouvée chez les deux références citées). C’est là que l’on commencera à rire. Nous voulons simplement signifier par cet exemple que l’hyper-atlantiste Blair, s’il devient “premier Président européen”, jouera également à l’hyper-européen. On pourra alors commencer à parler de substance avec “nos amis Américain”.
(...Par exemple, sur la “guerre contre la terreur”. Voyez ce qu’en pensent les uns et les autres. Si l’“alliance”USA-Europe tient, c’est parce qu’on n’aborde pas les sujets essentiels, comme se garde bien de le faire un vague Barroso lorsqu’il part en balade du côté de Washington, une fois par an, pour le sommet bisannuel USA-UE. Une rapide enquête dans les couloirs de la Commission européenne vous montrera que s’il existe aujourd’hui un sujet tabou, c’est bien les USA. Tout le monde sait bien qu’en parler conduirait à des jugements insupportables. Une conversation sur le fond, comme dans le cas de l’établissement d’une présidence avec des projets transatlantiques, aurait l’insigne avantage de mettre à nu les vraies différences entre les deux partenaires.)
Cet exemple est donné pour signifier que Blair vient avec des ambitions et des exigences de pouvoir. Ces agitations vont donner de la substance aux affrontements que sa candidature laisse prévoir. Il va avoir affaire à forte partie. Un Juncker, – le Premier ministre luxembourgeois est candidat contre Blair, – n’a pas sa langue dans sa poche et un débat avec lui contre Blair nous apprendrait des choses excellentes sur les questions européennes et transatlantiques. Un débat entre Blair et Brown sur les pouvoirs dont doit disposer un président de l’UE serait également succulent.
VGE, qui a souvent froncé les sourcils lorsque la Constitution européenne a été soumise à référendul en France, voudrait maintenant un débat public sur la présidence européenne, pour définir cette présidence. Il craint que les délégations des 27 pays de l’UE, discutant en secret du cas, n’enterrent la Présidence européenne sous un un amas de bouquets de fleurs dissimulant l’absence de réels pouvoirs. Pourquoi pas un débat public, certes? Car qui dit débat sur la présidence dit débat sur les pouvoirs de la présidence, c’est-à-dire débat sur la politique, – et même, sur la “grande politique” européenne. Ce serait une occasion de se compter, pour savoir qui veut quoi et qui fait quoi en matière de “grande politique” européenne.
Dans ce cas comme dans celui qui a été évoqué précédemment, il n’y a rien à perdre. Un tel débat ne risque pas de compromettre l’acquis européen en la matière, puisque cet acquis est strictement égal à zéro et qu’il est en général d’effet négatif pour les vrais intérêts européens. Il n’y a rien qui, de près ou de loin, ressemble à une “grande politique” européenne. S’agiter autour de la présidence conduira à s’agiter autour de la politique que devrait conduire ou accompagner un tel président. C’est alors que l’on rencontrera des situations extrêmement intéressantes.
Une candidature Blair autour de la question de la présidence européenne, c’est une mèche allumée pour une bombe à retardement dont on ne finit plus d’attendre qu’elle explose. Au contraire de ce que craignent les divers souverainistes, une avancée vers la présidence européenne passant par un tel débat signifie moins la mise à mort des nations (de ce qui reste des nations) que la mise en cause de la prétentieuse dialectique européenne de nos élites.
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