Blair se réfugie dans la “novlangue” postmoderne

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Blair se réfugie dans la “novlangue” postmoderne


10 juillet 2005 — Le coup porté par l’attaque terroriste de Londres à la position politique de Tony Blair est mis en évidence par les commentaires du PM britannique à la fin du sommet du G8. Les propos de Blair rejoignent l’incohérence de la dialectique américaniste de la “guerre contre le terreur” présentée comme une guerre contre une entité légitime, souveraine, dont la défaite se ferait, comme dans une guerre classique, par la reconnaissance de sa défaite par cette entité.

Norman Solomon, dans son commentaire sur les attentats de Londres, observe dans ce sens, en rappelant une citation bienvenue pour illustrer l’absurdité de l’idée classique de guerre dans le cas du terrorisme : « Voices of reason, even when they've come from within the country's military establishment, have been shunted aside. In late November 2002, a retired U.S. Army general, William Odom, told C-SPAN viewers: “Terrorism is not an enemy. It cannot be defeated. It's a tactic. It's about as sensible to say we declare war on night attacks and expect we're going to win that war. We're not going to win the war on terrorism. And it does whip up fear. Acts of terror have never brought down liberal democracies. Acts of parliament have closed a few.” »


La défaite londonienne de Blair se porte exactement sur ce qu’est devenue la politique de cet homme politique depuis le 11 septembre 2001: une défaite de relations publiques, ou Public Relations (PR), parce que la politique blairiste du domaine n’a plus aucune substance et ne s’exprime qu’en termes de PR. (Qui peut raisonnablement argumenter, déjà au moment de l’attaque, désormais à la lumière de la situation dans ce pays, que l’attaque cotre l’Irak ait jamais été justifiée par une politique ayant la moindre substance, et plus encore du point de vue britannique? C’est effectivement le point que nous voulons mettre en évidence ici en parlant de politique-PR, Blair continuant à avancer comme une certitude que cette campagne irakienne était justifiée et que cette justification est prouvée par la situation présente.)

La défaite de Blair avec l’attaque terroriste, c’est d’abord l’élimination complète de ses deux “victoires-PR” de la période : le choix de Londres pour les JO 2012 et le sommet du G8 présidé par lui-même, Blair, événements qui devaient être éclatants et qui ont sombré dans l’oubli, l’anonymat et l’improvisation ; c’est en ces termes indignes, effectivement, qu’il faut mesurer l’effet des tragiques événements de Londres sur la “politique” de Blair. On se demande ce qui est le plus indigne, des attentats terroristes ou d’une “politique” de Blair aussi totalement vide de substance au profit de l’effet immédiat, avec les conséquences en chaîne dont font partie les attentats de Londres. La piètre “défaite” de Blair, — piètre parce que n’existant qu’en termes de PR — renvoie aux piètres “victoires” qu’il espérait, et à la nature totalement vide de sa politique.

Les paroles qu’on veut présenter ici vont plus loin encore, en montrant la déformation complète de la pensée de ce Premier ministre réduite à n’être plus qu’une machine-PR. Il n’est même plus question d’absence de substance (bien sûr, c’est le cas), il est question du non-sens du discours, qui cite la pathologie de la rupture de la logique. Nous citons ces paroles dans le texte que publie The Independent d’aujourd’hui, sur le retour de Blair à Londres, sommet G8 martialement conclu par des déclarations outragées et des affirmations de solidarité (par rapport aux attentats de Londres).


« With the rest of the G8 members and heads of emerging countries standing shoulder to shoulder behind him, Mr Blair said: “There is no hope in terrorism, nor any future in it worth living. It is that alternative to this hatred that we offer. This is in contrast to the politics of terror.”

(...)

» As Mr Blair flew back to London to chair a meeting of Cobra, the emergency committee on the bombings, [... he] rejected any attempt to lay blame for the bombings on intelligence and security failures, insisting that the blame lay squarely with the terrorists. Ending the G8 Summit, Mr Blair was asked about the failures that had allowed the bombers to succeed. “I think those people who kill the innocent and cause bloodshed are ... solely responsible,” he said.

» Mr Blair said the G8's final communique would not match the “ghastly impact of the cruelty of terror”. However, he said: “It has a pride, and a hope and a humanity at its heart that can lift the shadow of terrorism and light the way to a better future. That is why we are convinced that the politics we represent will triumph over terrorism.” »


La vacuité du propos est assez rare pour être signalée, et elle signale effectivement le désarroi du PM et l’assèchement complet de la pensée des spin doctors chargés de l’alimenter en paroles publiques marquantes. Blair compare des pommes et des harengs saurs pour nous dire combien le whisky sera bon. Il parle du terrorisme comme s’il s’agissait d’une fin lorsqu’il le compare à la politique suive par les pays occidentaux : le terrorisme n’est pas une politique en ce sens que son exercice serait effectivement une fin, une “façon de vivre” (!) si l’on veut, comme prétend être la politique occidentale (avec le champ infini de la discussion polémique à ce propos, mais c’est un autre sujet) ; c’est un moyen violent pour arriver à une fin qui serait une autre politique et non la continuation du terrorisme, dans tous les cas dans certaines régions où la politique en place est contestée, et cette fin, répétons-le, ne sera évidemment pas le terrorisme. De même mais a contrario pour les positions des uns et des autres, on espère que le traitement infligé à la ville de Falloujah et les traitements infligés aux gens dans les prisons de Guantanamo, d’Irak et d’Afghanistan où l’on torture, humilie et exécute sommairement, ne sont pas une politique comprenant sa propre fin, une “façon de vivre” (!) par conséquent, mais un moyen pour vaincre le terrorisme selon ce qu’en disent ses promoteurs (là aussi, contestation polémique évidente mais autre débat).

Tout cela pour illustrer la première citation (« There is no hope in terrorism, nor any future in it worth living. It is that alternative to this hatred that we offer. This is in contrast to the politics of terror. »)

La seconde, maintenant, pour voir que la faiblesse de l’esprit y est aussi grande. (« Mr Blair was asked about the failures that had allowed the bombers to succeed. “I think those people who kill the innocent and cause bloodshed are ... solely responsible,” ») Il y a une confusion extraordinaire dans cette équivalence, toujours les pommes et les harengs saurs et la fameuse méthoode (ou pathologie-PR) de la rupture de la logique. Le PM britannique, en politicien désormais dépendant des seuls spin doctors, est incapable de penser autrement que par l’argument moral qui, dans cette circonstance complètement déformée par l’émotion, permet d’assimiler la “culpabilité” opérationnelle à la “responsabilité” générale. Ainsi, on lui parle de l’échec des services de sécurité à prévenir l’acte et il répond en avançant que les seuls coupables de l’acte sont ceux qui l’ont commis. Il s’agit d’une démarche complètement réductrice comme l’est tout jugement moral appliqué à une matière politique complexe (le terrorisme considéré dans ses causes et ses effets faisant nécessairement partie d’une “matière politique complexe”). Cette démarche morale réductrice réduit l’acte à son immédiateté primaire et oblitère tous les tenants et aboutissants. On comprend le sens de la démarche, purement PR en l’occurrence, puisque l’effet de cette artifice de logique, en réalité de cette interdiction de développer une logique responsable, est l’oblitération en chaîne de toutes les responsabilités du gouvernement de Tony Blair, de sa politique de suivisme des Américains en Irak, de l’action des services de sécurité britanniques sous l’autorité de Tony Blair et ainsi de suite.

Ces paroles, bien plus que les diverses analyses qu’on peut faire sur la position de Tony Blair, mesurent le désarroi et la faiblesse d’une politique britannique totalement appuyée sur la Public Relations, la communication, les vaticinations des spin doctors. On comprend dans quel esprit et de quelle façon sont élaborées les politiques britanniques aujourd’hui ; on comprend les déconvenues et les revers qui attendent encore le gouvernement spin de Blair. Cela dit, on n’oublie pas de conclure qu’il s’agit du “modèle libéral” pour l’Europe.