Blix, le virtualisme anglo-saxon et la crise iranienne

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Blix, le virtualisme anglo-saxon et la crise iranienne


27 novembre 2006 — Hans Blix, l’ancien directeur de l’ONU pour l’inspection des systèmes d’arme irakiens et actuellement chef de la Commission on Weapons of Mass Destruction de l’ONU lance aujourd’hui une attaque contre les Britanniques, et les puissances nucléaires “officielles”, sur le sujet central de la crise iranienne. (Cette crise se poursuit même si elle est largement banalisée.) Il s’agit de la mise en cause de la politique nucléaire des pays “autorisés” par la coutume juridique étrange de leur position de force et de leur antériorité à posséder des armes nucléaires (cela ayant été transcrit en un traité de non prolifération, ou NPT). Il s’agit, pour ce cas, du Royaume-Uni, qui est avec les USA l’un des plus constants donneurs de leçons de morale.

Bien sûr, l’attaque de Blix se fait dans le cadre de la dénonciation permanente par les Occidentaux de l’intention possible des Iraniens de développer une arme nucléaire. Blix se réfère à un fait pressant de l’actualité : la volonté de Blair d’accélérer la décision concernant le remplacement ou la modernisation des missiles SLBM (stratégiques nucléaires tirés de sous-marins) Trident. Pourquoi ce que les Occidentaux se croient sans discussion autorisés de faire est-il par avance reproché aux Iraniens, dans une démarche qui est pour l’instant un procès d’intention? Blix parle de la violation du traité de non-prolifération (NPT).

«Dr Hans Blix, the former UN weapons inspector, will launch a new attack on Tony Blair today, warning that the decision to press ahead with a full replacement for Trident will make it more difficult to stop Iran acquiring the bomb.

»The respected chairman of the Commission on Weapons of Mass Destruction will use a speech in London to renew hostilities with Mr Blair. He will say that modernising Britain's arsenal puts the non-proliferation treaty (NPT) under “strain” and increases the feeling among non-nuclear states, such as Iran, that they are being “cheated” by the nuclear states.

»Dr Blix will take Britain and the other permanent members of the UN Security Council — America, China, Russia and France — to task for failing to comply with their obligations under the NPT by failing to do more to eliminate their nuclear arsenals. He will point out “the strong feelings of frustration” at the way nuclear nations ”are in the process“ of developing new types of weapons rather than examining how they could manage defence needs with non-nuclear weaponry.

»His remarks, in a speech to the British Institute of International and Comparative Law, follow the decision of the Cabinet last Thursday to “whip” a decision on the replacement for Trident through the Commons in the new year. Although the Tories are likely to back Mr Blair, there is strong concern over the issue on the Labour back benches.»

Le cas est intéressant et remarquable, justement par son actualisation par rapport à des débats en cours et des décisions pressantes. Il s’agit d’un effort louable de sortir la crise iranienne de la banalisation où elle se trouve, en retournant à la question centrale que tous les acteurs occidentaux tiennent pour résolue et tiennent dans tous les cas à éviter : l’Iran, comme d’autres pays éventuellement, est-il fondé de chercher à développer éventuellement une arme nucléaire ? Non, bien sûr, ont déjà répondu en chœur les vertueux Occidentaux, écartant désormais la question comme définitivement tranchée. Blix leur remonte les bretelles : la question est loin, très loin d’être tranchée.

De l’attaque de l’Iran à l“esprit du traité”

Blix ne fait qu’apprécier la situation en fonction de l’esprit du traité. Autant le NPT interdit à ses signataires non-nucléaires d’acquérir l’arme nucléaire, autant il demande à ses signataires effectivement nucléaires de travailler impérativement dans le sens de la réduction de leurs capacités nucléaires. Ce que font les Britanniques ne va nullement dans ce sens. Les Britanniques ne sont pas seuls : les Américains, les Chinois, les Français, les Russes font de même. D’une façon plus large — NPT ou pas NPT — c’est ce que font les nations nucléaires (Inde, Pakistan, Israël, etc.) : améliorer leur arsenal nucléaire.

A cet éclairage de la légalité internationale, la charge contre l’Iran devient bien contestable. Au nom de quoi interdire à cette nation d’avoir du nucléaire — sans compter qu’on n’a aucune preuve évidente que ce soit la direction prise par ce pays ? Invoquer le NPT ou l’“esprit du NPT” représente une hypocrisie considérable. Au nom de quoi, sinon au nom d’une mauvaise réputation faite à l’Iran par l’Occident, reposant sur les emportements, les partis-pris et la bonne conscience occidentale?

Il y a aussi le jugement abrupt contre l’islamisme et l’accusation du soutien au terrorisme dont est chargé l’Iran, cas assez étrange au moment où l’on se prépare à demander à l’Iran d’intervenir en Irak pour tenter de stabiliser la situation contre les divers terrorismes qui y prolifèrent grâce à l’intervention anglo-saxonne. Enfin, l’on sait ce que vaut cette accusation venant principalement des USA, d’un Bolton ou d’autres de son acabit. On pourrait également avancer comme autre explication du procès fait à l’Iran quelques considérations encore moins glorieuses, comme celle d’un certain mépris de toute la bureaucratie occidentale et de l’élite qu’elle exsude à l’encontre de l’image de l’Iran, ses comportements, etc., — mépris qui n’est point dénué d’un racisme bureaucratique du modèle standard (américaniste).

Blix met le doigt sur des choses sensibles. Il revient à la question fondamentale de la crise iranienne et met en cause la réalité de la culpabilité de l’Iran, verdict déjà prononcé avant que l’on ait songé à instruire le procès, tandis que nous (identifions-nous à nos “amis américanistes”) en sommes à compter le volume de bombes que nous nous préparons à leur expédier. Blix participe à une saine entreprise de simple retour à la réalité dans la crise iranienne alors que nous nous laissons entraîner dans l’extraordinaire sentiment de l’inéluctabilité de l’attaque US considérée comme un simple acte à venir de type business as usual. Blix est un excellent guerrier qui semble se complaire à mettre en cause le virtualisme des conceptions américanistes.

La crise iranienne doit être appréhendée pour ce qu’elle est, dans toute sa complexité, dans sa réalité qui réduit à une réaction obsessionnelle absurde les prétentions US à lancer une attaque contre l’Iran.

Cette crise représente notamment :

• Une crise de la question de la souveraineté opposée à l’interprétation du droit international, représenté en l’espèce par le traité NPT.

• Une crise de la souveraineté dans l’exercice pratique que constitue la question de l’accession à l’arme nucléaire, alors que les arguments où l’on voudrait cantonner cette crise s’avèrent d’une pauvreté extrême (notamment avec l’existence d’Etats nucléaires “illégaux” connus de tous, surtout dans la région , qui rend complètement boiteuse l’accusation centrale contre l’Iran).

• Une mise en cause des attitudes occidentales, de la part de pays (Royaume-Uni, France, USA) que les nécessités de la sécurité conduisent à violer constamment l’“esprit du traité”, comme dans le cas dénoncé par Blix. Il faut admettre que les pays nucléaires ont besoin de moderniser et d’améliorer leur arsenal nucléaire mais admettre également que les fondations du procès fait à l’Iran sont alors complètement pulvérisées.

Pour la chronique, nous terminerons par la sempiternelle morale sur les special relationships… C’est, notamment, sa volonté de faire choisir un successeur US aux missiles Polaris qui pousse Blair à accélérer le processus de succession et donne ainsi des armes de choix à Hans Blix. L’idée de Blair, qui est loin d’être réalisée, est d’ancrer le nucléaire britannique dans sa soumission à la partie US. Dans tous les cas, il se précipite et donne à Blix l’occasion de mettre en évidence, une fois de plus, et sans se décourager, l’hypocrisie occidentale et, particulièrement, anglo-saxonne.