BMDE, Pologne et USA : “Nyet”, désenchantement et guerre de communication

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Les dernières péripéties dans la question du système anti-missiles US en Europe (le BMDE) confirment combien cette affaire est devenue presque exclusivement une guerre de communication, une guerre de l’information, de la désinformation, de la déformation de l’information, qui se livrent entre les trois “amis” en cause, USA, Pologne et Tchéquie, – mais surtout Pologne et USA pour l'instant. Il est difficile de trouver un précédent, en intensité et en durée, dans une affaire de cette importance, où l’information soit aussi fortement manipulée, jusqu’à des déclarations publiques explicitement fausses, des pressions grossières, des manœuvres d’intimidation. Les USA ont évidemment une activité considérable, voire exclusive, dans ce domaine.

Successivement, ces derniers jours, on a pu relever les faits suivants, alors qu’il s’avère finalement qu’un nouveau cycle de négociations entre les USA et la Pologne s’est terminé sur un refus polonais prévisible depuis un certain temps. (Les sources et informations rapportées sont certainement loin d'être exclusives. Elles sont citées ici comme exemplaires de l'étrange cheminement de l'information dans tous les sens.)

• Le 3 juillet au matin, un article de Leigh Phillips, de EU Observer, annonce, en se référant à Associated Press, que l’accord entre Pologne et USA pour le stationnement des anti-missiles du système BMDE est signé. Un officiel polonais était nommé, avec confirmation d’officiels US anonymes. La formulation était catégorique: «The US and Poland have reached an agreement that will see sections of the American missile defence system based in the former Eastern Bloc nation, according to officials from both countries. Poland's deputy foreign minister, Witold Waszcykowski has said that he had completed negotiations with US negotiator John Rood on the matter on Tuesday (1 July), according to the AP. Officials from the Bush administration confirmed the conclusion of the deal, but remained nameless as the deal must still be approved by the Polish prime minister, Donald Tusk.»

• Le 3 juillet (dans la nuit en Europe, puisque la publication est faite aux USA, par le biais de Defense News), une dépêche AFP détaille une chronologie contradictoire. Elle revient sur une déclaration précédente, venue du département d’Etat et annonçant qu’il y a eu un accord préliminaire entre les Polonais et les USA. «On Wednesday [2 July] a senior State Department official who asked not to be named told AFP that a “tentative agreement” had been reached after two days of talks between Polish and U.S. officials. “At this point, I am really happy that we made real good progress in the past few days,” the unnamed official said.» Dans la même veine, la dépêche rappelait une semi-confirmation, dans tous les cas des progrès réalisés, par le haut fonctionnaire chargé des négociations : «Assistant Secretary of State for European and Eurasian Affairs Daniel Fried, a former ambassador to Poland, has said the last round of talks had made real progress, but he declined to confirm that an agreement had been reached.»

• Pourtant, dans le même dépêche du 3 juillet, AFP nuançait diablement toutes ces déclarations très optimistes du côté US, rapportant des déclarations (le 3 juillet) du ministre polonais de la défense Bogdan Klich à Radio Zeit de Varsovie (privé): «The negotiations have not ended – another round of talks was concluded. For the time being, we are not at the finish line. We completed an important, a significant, round of talks two days ago but the finish line of talks is still ahead of us… July is a long month.»

• Le 3 juillet, le groupe Stratfor.com annonçait effectivement (accès payant): «Poland and the United States have reached an agreement on the U.S. missile base to be deployed in the former Eastern Bloc country.»

• Le 4 juillet, de Varsovie, Reuters confirme la déclaration du ministre de la défense en la renforçant, en rapportant des déclarations du Premier ministre polonais Tusk, le même jour, exposant que ce cycle de négociations est un échec. Reuters retranscrit, ce 4 juillet, des déclarations de Tusk au cours d’une conférence de presse: «Poland has rejected a U.S. offer to boost its air defenses in return for basing a “missile shield” on Polish soil but remains open for further talks with Washington, Prime Minister Donald Tusk said on Friday. […] “We have not reached a satisfactory result on the issue of increasing the level of Polish security,” Tusk told a news conference after studying the U.S. proposal.»

• Une autre dépêche Reuters, le même 4 juillet, dramatise ce qui est désormais qualifié comme ceci: «Poland rejects U.S. missile shield offer», avec ce commentaire: «The decision by Poland, a staunch NATO ally, is a setback for the Bush administration drive to counter perceived threats from what Washington calls “rogue states,” particularly Iran.» Il semble que le département d’Etat en vienne finalement à accepter l’évidence, ou la réalité c’est selon, mais avec une prudence bien reconnaissable: «In Washington, the State Department said it was studying Tusk's remarks closely. “Poland remains a close and important ally of the United States,” Sean McCormack, a department spokesman, said in an e-mailed statement. “We remain in negotiations with Poland and do not plan to comment publicly on the details.”» Cette fois, la dépêche ne parle plus d’une négociation de deux jours mais d’une “month-long negociation cycle”, ce qui implique que c’est tout un cycle de négociation qui est à son terme.

• Il commence à y avoir des commentaires polonais, venus d’experts non-gouvernementaux, qui tentent d’apprécier ce qui est de plus en plus perçu comme un tournant dans la négociation: «Political analysts said Tusk's rebuff to Washington demonstrated a new Polish self-confidence on the global stage. Warsaw is one of Washington's firmest allies in the region and has troops serving alongside its ally in Iraq and Afghanistan. “This is the first time that Poland has said 'no' to the U.S. ... It certainly sends a signal to Washington that Poland's support should not be taken for granted in any circumstances,” said Pawel Swieboda, head of demosEuropa, a Warsaw think tank.»

• Une autre appréciation va plus loin dans l’analyse en y introduisant une dimension politique et psychologique importante. Il s’agit de celle de Maria Wagrowska, experte au Centre des Relations Internationales de Varsovie. Elle explique que, jusqu’il y a quelques années, les USA avaient en Pologne un statut de véritable mythe, renvoyant à la Guerre froide puis à la libération de la Pologne, avec le rôle prété à Reagan dans cette libération. Cette position complètement idéaliste s’est considérablemet érodée. «Many problems in the bilateral relationship became apparent during the missile defense talks. And they are not only political – they are also psychological. […] If the U.S. had tried to get a deal before the Iraq war, it would have been much easier. Today, Polish politicians feel burned by the Bush administration, largely because Warsaw's staunch military support for the U.S. war in Iraq failed to win substantial contracts for Polish companies in Iraq's reconstruction, as many here had expected. As a result, Warsaw has decided that if it is going to link its fate to another major American military project, it's going to get what it wants beforehand – and in writing. Poland took an idealistic approach when it decided to support the U.S. in Iraq. Now there is a much more reasonable, commercial approach because of the disappointment that we didn't earn anything in Iraq.»

Au-delà de ces diverses considérations, l’autre facteur signalé plus haut, s’il n’est pas signalé en tant que tel, entre fortement en ligne de compte dans le durcissement polonais. La “guerre de communication” entre les deux pays, avec les USA manœuvrant sans la moindre vergogne pour exercer toutes sortes de pression sur les Polonais, y compris par la diffusion de fausses nouvelles, a laissé des traces profondes et accéléré la prise de conscience des Polonais. Le ministre polonais de la défense s’est plaint publiquement de la démarche US annonçant que les USA consultaient la Lituanie pour y trouver un substitut à la Pologne pour déployer son BMDE, comme d'une “manœuvre de pression” typique.

Comme on l’a déjà également signalé, USA et Pologne sont loin, très loin de la possibilité d’un accord sur le point des “compensations” que demandent les Polonais. La partie américaniste, elle, n’a qu’un seul objectif en tête: contraindre la Pologne à un accord d’ici la fin de l’administration GW Bush, pour tenter de lier la future administration au projet. Si ce n’est pas le cas, il est probable que le programme BMDE évoluera vers l’abandon.


Mis en ligne le 5 juillet 2008 à 08H42