Bon gré mal gré, une sorte de “repentance”

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Bon gré mal gré, une sorte de “repentance”

L’ambassadeur des USA assiste aujourd’hui aux cérémonies de commémoration du largage de la bombe atomique US sur Hiroshima. On peut lire notamment un texte d’AFP (Spacewar.com) du 3 août 2010 et un autre de The Independent du 6 août 2010 sur cet “événement” . C’est en effet la première fois que les USA auront une présence officielle à cette cérémonie.

Cette présence résulte d’une décision personnelle d’Obama, dans la ligne, dit-on, de sa préoccupation pour l’évolution vers la dénucléarisation. Cela n’empêche pas que la décision sera interprétée également comme une sorte de reconnaissance par les USA d’un acte radical, souvent qualifié de crime de guerre, et classée par conséquent dans la rubrique “repentance”, assez peu fournie du côté US.

@PAYANT En effet, les USA ont toujours officiellement porté la plus extrême attention, d’une part à ne pas trop verser dans une politique de “repentance”, – celle qui fait florès en France, par exemple ; d’autre part, sur ce sujet si délicat et fondamental du premier et seul emploi opérationnel d’une bombe atomique dans l’histoire, à ne pas se présenter comme fautifs dans cette circonstance, c’est-à-dire éventuellement coupables d’un acte assimilable à un crime de guerre majeur. Cette attitude est nourrie, notamment, de la conviction inhérente à la psychologie US que les USA ne peuvent fondamentalement commettre le mal, ou en être tenus pour responsables. (On trouve l’un des fondements de la psychologie US de cette attitude dans un trait psychologique particulier que nous avons qualifié d’ “inculpabilité”.) C’est cette attitude psychologique si particulière qui donne à l’américanisme un comportement également si particulier, à la fois impératif et sûr de lui avec des résultats à mesure, excellents et conquérants notamment du point de vue de l’influence quand les circonstances s’y prêtent, catastrophiques et diviseurs lorsque les circonstances ne s’y prêtent pas… Aujourd’hui, nous dirions que les circonstances ne s’y prêtent pas du tout.

BHO a beau affirmer et faire dire que le “geste” a une intention humanitaire et de pacification des relations internationales, et se place dans la logique de sa position très affirmée, et pour l’instant largement théorique et symbolique, contre les armes nucléaires, la chose sera interprétée d’abord en fonction de cette vision polémique de la responsabilité US, et effectivement comme une démarche de “repentance”. Bien entendu, ce sera l’occasion aux USA de positions encore plus polémiques dans le climat actuel, pour ou contre Obama. Le cas est d’autant plus délicat que le problème de la décision de larguer la bombe reste toujours historiquement contestable et non fixée. A côté des divers arguments de stratégie de la guerre et de politique extérieure comme la théorie de la démonstration de la puissance de l’arme à l’intention de l’URSS, voire de débats moraux (notamment chez les scientifiques), nous estimons qu’un aspect, peu connu et sordide, a joué un rôle important sinon décisif. C’est, selon le témoignage de l’aide de camp du président Truman dans le documentaire Soleil noir de 1996, la crainte qu’avait Truman de se trouver être l’objet d’une procédure de destitution par le Congrès s’il n’avait pas utilisé un système qui avait coûté la somme alors pharamineuse de $2 milliards pour son développement (Project Manhattan, de 1942 à 1945) ; le procédure de destitution aurait été fondée sur l’accusation d’avoir dépensé “pour rien” une telle somme.

La “polémique Enola Gay” (du surnom du bombardier B-29 SuperFortress qui largua la bombe sur Hiroshima), à propos d’un texte de présentation de l’exposition de l’avion au musée national de l’air et de l’espace (la Smithsonian Institution de Washington), en 1994-1995, avait montré l’extraordinaire sensibilité à ce problème des experts, des historiens, des anciens combattants, des associations et lobbies concernés, etc. Un texte initial présentait l’emploi de la bombe comme un acte proche d’un crime de guerre majeur. Il avait dû être retiré et remplacé par un autre plus conforme à la vertu américaniste, sous la pression des groupes conservateurs, militaristes, patriotiques, etc. L’interprétation de la présence de l’ambassadeur US à Hiroshima comme un acte de “repentance”, quoi qu’il en soit de l’intention et de sa présentation officielle, sera certainement reprise à un moment ou à un autre dans un sens polémique par les adversaires conservateurs d’Obama, qui lui reprochent notamment son manque de patriotisme. Dans le profond désordre politique qui caractérise la situation US aujourd’hui, avec les lignes les plus extrêmes et les plus irrationnelles qui sont développées, ce prolongement est à prévoir. Il n’apportera rien à la vérité historique de l’événement mais contribuera à tendre encore plus le climat intérieur US.

Sur le fond de la chose, on retrouve la prudence et le goût pour les demi-mesures d’Obama. Il est dit que le président US considère cette démarche comme très importante, du point de vue symbolique, pour la dénucléarisation. Quoi qu’il en soit de la réalité de l’argument, l’important est cette conviction, qui avait d’abord suscité le désir d’Obama de se rendre lui-même à Hiroshima et à Nagasaki, comme premier visiteur officiel US de ces villes martyrisées (que ce soit pour cette commémoration ou pour toute autre occasion). Finalement, il a reculé devant l’éclat qu’aurait eu cette visite, justement de crainte des répercussions aux USA de la part des groupes conservateurs. On doute que la “manœuvre” soit efficace. Ou bien la présence de l’ambassadeur US suscite peu de commentaires, ce qui est très improbable et, de toutes les façons, constituerait un échec puisque la réussite symbolique de la visite est conditionnée par son écho médiatique et autre ; ou bien cette présence suscite des commentaires, et ceux-ci iront, aux USA, dans le sens de la polémique qu’on a décrite pour une partie d’entre eux et toucheront Obama personnellement. S’il s’y était rendu en personne, avec des déclarations affirmant solennellement l’interprétation d’une démarche en faveur de la dénucléarisation, il mettait tout son poids contre l’interprétation de la “repentance” qu’il voudrait évidemment éviter de toutes les façons. C’était une démarche, politique autant que symbolique dans ce cas, qui pouvait effectivement provoquer un choc important. Au contraire, avec la solution de demi-mesure choisie, il risque effectivement de rouvrir le débat, mais dans des conditions d’affirmation symbolique et politique qui lui sont beaucoup moins favorables.

…Par contre, la réalité politique objective du jugement qu’on porte sur les USA y gagnerait. Si, effectivement, l’interprétation de la “repentance” est débattue, la circonstance permettra au moins de remettre sur la sellette un acte militaire qui illustre parfaitement les conceptions extrêmes des USA de guerre de destruction totale et d'anéantissement, et le caractère impitoyable de l’opérationnalité de cette politique, appuyé sur la certitude des mêmes USA de n’avoir aucune responsabilité et d’être naturellement une “force du Bien” (“inculpabilité”, avec sa variante de l’“indéfectabilité”). On ne peut ignorer que la conviction, quasiment autiste dans le cas US, de n’agir finalement que d’une façon vertueuse, quels que soient les voies et moyens employés, permet de susciter des débats explosifs et aggravant le désordre lorsque la réalité montrant les véritables effets de cette vertu se manifeste avec un peu trop de vigueur.

 

Mis en ligne le 6 août 2010 à 09H08

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