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411L'entrée en vigueur de la nouvelle constitution hongroise, au tout début de cette année, a occasionné un déchaînement médiatique aussi violent qu'éphémère, et aussi réjouissant qu'instructif. Comme les tours de magie qui ratent et laissent paraître les ficelles, cet assaut politique et journalistique chargé d'une mauvaise foi bricolée à la hâte nous dévoile la fragilité de l'ordre moral brandi par l'appareil de communication.
Certes, pour un pays comptant tout juste dix millions de personnes, des manifestations en regroupant près d'une centaine de milliers sont d'importance. Mais si cela dénote un clivage au sein de la société hongroise, dresser le décor d'une "révolution de couleur" semble pour le moins hâtif, ou même carrément à côté de la plaque. On peut dire la même chose du petit air de "Printemps de Prague" ajouté dans le genre allusif, afin de paver le chemin du lecteur vers de puissantes conclusions.
Pourtant, c'est bien l'exercice accompli quand le premier ministre Viktor Orban se retrouve dans le rôle d'un affreux dictateur emporté par un délire mégalomane et nationaliste, infligeant ses lubies jusqu'au renommage de la République de Hongrie en Hongrie tout court, et à l'attribution d'un statut constitutionnel au fœtus hongrois. Nous frémissons presque devant tant de sauvagerie ; il y a même des allusions au legs génétique des hordes d'Attila. Puis ô surprise nous découvrons, au milieu de ces redéfinitions potentiellement liberticides, l'ébauche d'une mise sous tutelle de la Banque centrale de Hongrie. Pour le coup, ça devient intéressant, avec Juppé, l'intellectuel de la bande, qui fustige cette "violation des principes d'indépendance inscrits dans l'Union Européenne". Sans s'arrêter aux significations multiples du mot indépendance, on se demande comment il y aurait moyen de suggérer une intervention de l'ONU.
Ce déchaînement de bienpensance, effectué complètement par réflexe, semble mieux calibré pour une vulgaire république islamique en train de nationaliser ses ressources pétrolières. La Hongrie, rappelons-le, compte une écrasante majorité de chrétiens blancs de peau, l'anticommunisme s'y porte bien, le gouvernement y est de droite et dispose de `70 %` des sièges au Parlement après des élections dont nul ne conteste la bonne tenue. Le pays a même occupé le strapontin de la présidence de l'Union Européenne, et les dépenses publiques y sont en baisse depuis plusieurs années. Mais ne s'agit-il pas d'autant de faits à charge, puisqu'ils attestent de la fourberie hongroise, quasi-légendaire pour l'occasion ? C'est l'approche retenue par Libération avec sa Une élégamment titrée "Les sales coups de Budapest", pleine de ressentiment comme si c'était la presse française, et même plus largement les canons de la vertu bruxelloise qui en faisaient les frais.
Ça tombe bien, c'est effectivement le cas. Il est probable que les Hongrois, instruits notamment du cas grec, souhaitent ne pas confier leur destin à l'exclusive clairvoyance communautaire. Le gouvernement Orban a d'ailleurs quelques précédents avec la nationalisation de caisses de retraite, et la taxation des banques qui s'étaient effrontément régalées en refilant aux particuliers des prêts indexés sur le franc suisse, peu avant un plongeon de la monnaie nationale en 2006.
Dans les cénacles de l'Union Européenne on en est probablement à évoquer les "risques de contagion" (l'on imagine le clin d'œil historique, un peu de guingois). Voilà le bonheur des peuples malgré eux mis en péril par une sorte de collusion entre les gouvernements et ces mêmes peuples. Ah, les peuples, ce maillon faible de l'Europe ! Il était donc urgent de recouvrir la nouvelle constitution hongroise et son aspect le plus intéressant d'un voile de bienpensance, hélas d'une faible surface et dont les coutures craquent tant il faut tirer dessus. Puisqu'il est question de voile, avouons que les choses auraient été plus simples si Viktor Orban avait bien voulu imposer la burqa.
La prochaine escarmouche viendra-t-elle avec l'Espagne, la Grèce ou l'Irlande ? D'ici là il faudra peaufiner les critères de vertu libre-échangiste (et démocratique, aussi) afin d'offrir une belle grille de lecture bien claire, pas cette espèce de bouillie qui nuit au cloisonnement des genres indispensable à l'élaboration des canons de la vertu. Il faudra bien viser, pour que les pays échappant aux dérives autoritaires selon ces critères ajustés n'agonisent pas non plus sous la pression irréprochable de la finance dérégulée.
Laurent Caillette
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