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28 juillet 2008 – Une guerre chasse l’autre, comme on dit un clou chasse l’autre. Mais l’esprit reste le même, signe que l’esprit bushiste dépassera l’administration de la même qualification, et que GW, idiot du village global et de l’américanisme, est en même temps complètement significatif de son époque. Nous sommes dans une époque bushiste et GW en est l’emblème; on mesure le cloaque où nous sommes, sans doute œuvre du “dernier homme” que Nietzsche nous annonçait, qui nous fait un décor adéquat pour saluer le crépuscule saltimbanque de cette civilisation si contente d’elle-même.
Ce qui signifie, concrètement que, si les neocons sont virés comme ils sont peut-être en train de l’être de leur position d’influence à Washington, leur adéquation évidente aux événements paraît devoir subsister dans la persistance de l’extrémisme belliciste. Ce n’est parce que l’époque est celle des neocons, contrairement aux dissertations de philo (Strauss & Cie) que nous eûmes à ce propos, mais parce que les neocons s’inscrivirent avec habileté et un joli sens de la réclame dans une époque américaniste qui exige, réclame l’extrémisme belliciste comme façon d’être. Concrètement (bis), cela signifie ceci: l’Irak, qui était leur tasse de thé (celle des neocons), est en train de passer aux pertes et profits, remplacé par l’Afghanistan. Une guerre chasse l’autre, vous dit-on.
C’est, grosso modo, le “message” qui s’est concrétisé avec le passage d’Obama dans nos murs européens, – avec ses allusions répétées à la nécessité de la bataille en Afghanistan, du renforcement qu’on demande aux alliés, autant qu’au renforcement que les USA prévoient eux-mêmes. Non que le candidat démocrate ait eu une pensée politique à cet égard puisque sa tournée n’était que promotionnelle, mais parce que c’est effectivement le grand courant de changement qui est en train de submerger le système américaniste et qu’il en est, lui Obama qui est le candidat du “changement”, nécessairement imbibé. (McCain, avec nombre de ses idées encore trempées au feu de l’épopée irakienne, est, c’est le cas de le dire, en retard d’une guerre.)
L’idée d’un transfert de l’extrémisme belliciste de l’Irak à l’Afghanistan est dans l’air depuis plusieurs semaines, depuis qu’il a été réalisé que la situation en Afghanistan ne cesse de se détériorer, – une fois de plus mais cette fois fort gravement, – jusqu’à un point extrêmement alarmant. On pourra avoir une bonne idée des inquiétudes à ce sujet en consultant le Progress Report du 27 juin, sur le site ThinkProgress.org. Plus proche de nous, une analyse de WSWS.org du 21 juillet appuie à la fois sur l’engagement d’Obama dans cette affaire, et sur l’accord entre cet engagement et un “changement fondamental” de stratégie, du Moyen-Orient vers l’Asie Centrale.
«The statements made by Barack Obama during his visit to Afghanistan over the weekend verify that his campaign for president is the mouthpiece for a significant section of the American ruling elite that is insisting on a shift in US policy in the Middle East and Central Asia. Far from proposing any retreat from militarism, Obama is arguing for a faster drawdown of troop numbers in Iraq and a reduction in tensions with Iran, only in order to facilitate a major escalation of US military operations in Afghanistan, potentially extending them into Pakistan.
»In a lengthy interview with CBS’s Lara Logan yesterday, Obama said the situation in Afghanistan was “precarious and urgent”. Global terrorist networks, he alleged, had “sanctuary” in the region and were financing themselves with the drug trade. He declared: “I don’t think there is any doubt that we were distracted [by the invasion of Iraq] from our efforts to hunt down Al Qaeda and the Taliban...”
(…)
»Indicating the concerns in US ruling circles, the current issue of Time magazine has a cover with the headline: “Afghanistan—the Right War”. It features the call for additional troops by both Obama and his Republican rival, John McCain.
»The military situation in Afghanistan sharply deteriorated this summer. The number of attacks launched against the occupation forces has jumped by over 40 percent, and casualties have risen sharply. A measure of the intensified fighting, and the desperation among US and NATO military commanders, is the number of bombs dropped by US aircraft. In June, 646 bombs were dropped—the second highest total for any month in the near seven-year war. In the first half of 2008, 1,853 bombs and missiles were used, 40 percent more than the same period last year. Analysts openly speak of the Afghan war as continuing for 10 to 20 years.
(…)
»The Obama candidacy, whether he is ultimately successful or not, is thus being used to effect a shift in foreign policy. During the primary elections and caucuses, millions of people were mobilised on the pretext that Obama was the leader of a grass roots movement against the status quo. As soon as Obama captured the nomination, he began a lurch to the right, embracing policies of the Republican right. Now it is clear that whoever wins the presidency, the wars will continue.
»Once again, the US elections are being engineered to deprive the American people of any say over or ability to end the militarist policies of the government. The decisions to escalate the neo-colonial war in Afghanistan have already been made, justified with more propaganda about the “terrorist threat”. The consequences will be the loss of thousands more lives and the squandering of billions more in resources.»
WSWS.org a pris farouchement position contre Obama il y a plusieurs mois, estimant qu’il s’agit d’une marionnette manipulée par le système. D’une façon générale, cette analyse rejoint celle qu’on trouve chez nombre de commentateurs antiguerres, comme celle de Justin Raimundo (le 23 juillet), révisant leurs analyses plus tardivement que n’a fait WSWS.org. De ce point de vue, on pourrait être conduit à classer définitivement Obama comme un belliciste, – ce qui n’est pas nécessairement faux ni tout à fait vrai. En cette circonstance, on a vraiment la sensation qu’Obama n’est qu’un porte-parole du système, selon un argumentaire largement éprouvé et sans cesse raffiné par des hommes comme Brzezinski, son principal conseiller (autant adversaire farouche de la guerre en Irak que partisan acharné de celle d’Afghanistan) ; cela signifie qu’il épouse cette cause d’abord par tactique sinon par évidence politicienne, parce qu’elle lui assure le soutien dont il a besoin dans la direction américaniste (dont celle de son parti); cela signifie qu’il ne s’est pas vraiment forgé une opinion de lui-même, – d’ailleurs, peut-être ne le fera-t-il pas et suivra-t-il ce sentier déjà battu du bellicisme extrémiste.
Ce changement d’orientation important de la politique US mérite plusieurs réflexions, – essentiellement deux, l’une d’ordre psychologique, l’autre d’ordre politique. Cela doit être conduit dans le cadre de l’appréciation initiale d’une surprise: peu à peu se dégage le jugement qu’il n’y a pas vraiment de débat “guerre-antiguerre” dans l’establishment US, ou idéologues versus réalistes comme on a pu le croire lors de l’épisode de l’ISG (Iraq Study Group de James Baker, qui recommandait en 2006 le désengagement d’Irak). L’impression de plus en plus affirmée est que l’absence de guerre n’est “plus une option” pour les USA, même si la catastrophe irakienne (notamment avec ses répercussions économiques) fait parfois réfléchir aux conséquences terribles de cette activité pour l’équilibre du système. (Cette réflexion ne conduit en général qu'à des conclusions dérisoires. Pour qui connaît un tant soit peu le fonctionnement du Pentagone et ses extraordinaires capacités au gaspillage et de paralysie gestionnaire, il est pathétique d’entendre Obama demander aux alliés européens plus de troupes pour l’Afghanistan pour envisager de réduire l’engagement US prévu de quelques milliers d’hommes et faire passer de l’argent du Pentagone vers les dépenses sociales, – comme si une logique comptable de cette sorte pouvait encore avoir la moindre réalité.) Même si les circonstances ont leur rôle, il y a sans aucun doute une signification psychologique importante dans le fait de l’engagement belliciste des dirigeants du système.
Le système est-il désormais “dépendant” de l’activité guerrière, comme un intoxiqué l’est à la drogue, comme on dit d’un “camé”? (On ne parle pas seulement des activités générales du complexe militaro-industriel [CMI], qui sont pérennes au système depuis1945, mais bien de la guerre directe.) Derrière la rhétorique stratégico-rationnelle, on pourrait le penser très fermement. Il est de plus en plus avéré qu’une position clairement “anti-guerre”, même appuyée sur des arguments rationnels et logique, sur une stratégie justifiée et cohérente qui n’entamerait pas pour autant l’activité du CMI, est devenue plus qu’impossible au sein du système américaniste, – qu’elle est devenue “impensable”. C’en est au point où l’on doit envisager le domaine du fonctionnement de la pensée, chez les experts autant que chez les hommes politiques, sans parler bien entendu des groupes de pression; à l’intérieur du système américaniste, il est devenu psychologiquement impossible de formuler une position qui envisage le refus de conduire une guerre aujourd’hui ou même la mise en question de l’activité guerrière. L’opposition est alors restreinte au fait de savoir quelle guerre il faut conduire. C’est de ce point de vue qu’on peut dire que les neocons, avec leur hystérie guerrière, ont moins influencé et manipulé décisivement la puissance US, qu’ils n’ont exprimé un changement fondamental de la psychologie de cette puissance.
Certes, la politique de la puissance US a toujours été, par sa nature, expansionniste et impérialiste, mais d’une façon indirecte, en tentant d’éviter les engagements directs trop coûteux ou trop politiquement dommageables. L’engagement belliciste était la conséquence de l’analyse d’une situation et il n’était pas considéré comme une nécessité, ni même comme une obligation ou une fatalité stratégique. Un échec militaire, ou ce qui s’en rapprochait, engendrait la mise en cause par tous de l’option militaire, au nom de l’intérêt général du système (ce fut le cas avec le Vietnam). Aujourd’hui, on constate l’importance du changement. Le bellicisme actif est devenu le fondement de la politique US, son expression même. Cela en serait à un point où le bellicisme devrait être considéré comme un comportement en soi, une politique en soi, dépassant même les nécessités expansionniste et impérialistes, les nécessités stratégiques, voire même d’éventuelles nécessités défensives. La guerre est devenue, pour les dirigeants du système, la politique en soi du système américaniste, à un point où il faut considérer l’hypothèse que l’attitude n’est plus du seul domaine du politique, qu’elle est désormais du domaine du besoin psychologique.
Ce n’est même plus la puissance, la domination, le commerce des armes, le poids du Pentagone qui sont en cause, mais bien l’activité de la guerre elle-même. Bien entendu, on diagnostiquera (terme de médecine) un malaise fondamental affectant la perception de l’état et des nécessités du système par ceux qui en sont autant les prisonniers que les inspirateurs. Il y a un échange évident entre les craintes pour le système, pour sa fragilité, pour sa vulnérabilité, et cette poussée belliciste qui tend à devenir constante sous la forme d’une affection chronique. Littéralement, la guerre est devenue pour le système la seule façon de “se battre” pour ce qui doit être considéré comme sa survie; c’est une bataille qui se livre contre un Ennemi extérieur absolument insaisissable dans sa définition parce que le véritable ennemi se trouve dans le système lui-même, dans sa décadence de fonctionnement, de corruption, de déséquilibre, dans sa décadence absolument déstructurante encore plus pour lui-même désormais que pour le reste. La guerre est devenue un acte de survie pour la psychologie américaniste au même titre que la respiration pour un corps humain.
Dans ces conditions, on peut imaginer le sort qui attend les rapports entre alliés, puisque les Européens sont impliqués dans la guerre en Afghanistan, avec l’OTAN elle-même. L’Europe a toujours considéré que l’Irak était une catastrophe, notamment parce qu’elle séparait les Européens (dans une mesure différente selon les pays) des USA. C’est un raisonnement d’une parfaite stupidité ou d’une complète inadéquation (le terme anglais irrelevance avec sa forte nuance d’“hors de propos” décrirait encore mieux la situation). Au contraire, cette séparation évitait les heurts trop violents avec une politique directement enfantée par une psychologie malade. Avec la guerre en Afghanistan, pour laquelle paraît-il tout le monde est d’accord, avec référence aux droits de l’homme, à la civilisation et ainsi de suite, le terrain est au contraire rêvé pour des heurts d’une facture particulièrement incontrôlable. Les Européens ont à s’arranger d’une psychologie américaniste malade, avec les conséquences multiples qu’on sait: irrationalité, enfermement et cloisonnement de l’analyse engendrant notamment une impuissance opérationnelle générale à travers les conditions absurdes qu’imposent les conceptions occidentales (américanistes). Ces conditions ne vont faire que s’aggraver avec l’évolution US et l’engagement renforcé en Afghanistan qui va de pair. Les Européens, – qui ont eux-mêmes leurs travers divers plus ou moins inspirés de l’américanisme mais n’ont pas ce bellicisme exacerbé comme état de leur psychologie, – ont un long chemin à faire pour comprendre que la meilleure façon de s’entendre avec le système de l’américanisme est de se tenir raisonnablement séparé de son aventurisme belliciste désormais pathologique, donc à une distance conséquente de lui (de l'américanisme). Mais tout cela relève d’une rhétorique théorique qui supposerait qu’on a le temps et l’espace pour une éventuelle manoeuvre habile. Il est bien probable que les événements, notamment en Afghanistan puisqu’il se dit que c’est là que se joue le sort de notre civilisation, ne laisseront pas aux Européens le loisir de faire ce chemin, s’il leur en venait l’idée et l’audace, et qu’ils trancheront pour eux.
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