BP et l’impossible “prise de pouvoir”

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Qui a le pouvoir aujourd’hui aux USA dans la catastrophe qui affecte le pays, à partir du Golfe du Mexique ? Obama nous a assurés qu’il prenait les choses en mains (c’est-à-dire le pouvoir) mais la question qui se pose est de savoir s’il le peut. C’est une rude leçon alors qu’on parle, dans ce cas, du plus puissant pouvoir politique du monde, – en principe et de réputation.

Ces quelques extraits d’un article de The Independent du 29 mai 2010, qui parle de la colère des habitants alors qu’Obama visite les côtes de la Louisiane, concerne l’attitude de BP. Nous avons souligné en gras les mots qui nous paraissent les plus significatifs.

«Fifty miles from Grand Isle, BP engineers persisted in their “top-kill” efforts to drive down mud into their ruptured well to the point where they can seal it over with cement. But the company's CEO, Anthony Hayward, made clear that success remained elusive.

»“These operations continue and ... the procedure could extend for a further 24 to 48 hours,” he said. “Its ultimate success is uncertain.” Information from BP on progress remained sketchy and not necessarily reliable. The effort began on Wednesday but was suspended for 18 hours through most of Thursday even as the world was under the impression it was still going forward.

»It was not even clear that Admiral Thad Allen, the Coast Guard Commander, was getting the full picture from BP. But last night he voiced optimism that the bid to cap the well would work. “I think the real challenge today is going to be to sustain the mud on top of the hydrocarbons and reduce the pressure to the point where they could actually put a cement plug in,” he told reporters. […]

»Asked why the impression was allowed to hang through much of Thursday that the pumping was continuing at the site, Andrew Gowers, a spokesman for BP, responded: “We have to be tight about communication so as not to mislead the market.”»

Notre commentaire

@PAYANT Ces deux mots pour introduire notre commentaire : l’information donnée par BP n’est pas “sûre” (“reliable”) et la préoccupation de loin la plus essentielle de BP dans sa politique de communication concerne exclusivement “les marchés”. Or, tout dépend dans cette phase où l’administration Obama prétend “reprendre le pouvoir” qu’elle a laissé pendant cinq semaines à BP, de l’information sur la situation, c’est-à-dire du système de la communication. C’est BP qui dirige toutes les opérations pour tenter de colmater la fuite, et avec les moyens pour le faire, qui est pour l’instant le fondement de l’opération en cours, donc le point central de “la prise de pouvoir”, celui qui détermine toutes les décisions et, d’une façon plus générale, l’autorité du pouvoir. De ce point de vue, BP reste complètement “in charge”, dit ce qu’il veut bien dire, aménage la réalité à son seul avantage et en ayant comme objectif quasiment unique les réactions du marché pour que la cotation de la société subisse le moins de dégâts possibles. D’où diverses annonces de succès, fausses naturellement, suivies de semi démentis lénifiants assortis de diverses prévisions tout aussi incertaines. La politique de BP dans sa manipulation du pouvoir qu’il tient encore fermement dans ses mains est de jouer l’incertitude pour ne pas laisser le pessimisme perdurer, de façon à limiter les dégâts “auprès des marchés”.

Même l’amiral Allen, qui commande les garde-côtes (USCG), l’organisme US prétendument en charge de cette opération du côté du gouvernement US, avoue ne pas connaître la réalité de la situation puisqu’il dépend, comme vous et moi, et comme le président Obama, de l’information donnée par BP. A la limite, on pourrait dire que la situation actuelle, où le pouvoir US prétend depuis hier tout contrôler, est pire que la période précédente où il concédait le contrôle à BP. Ce pouvoir US a pris désormais toute la responsabilité des opérations mais il n’a pas tout le pouvoir sur ses opérations. Par conséquent, il exonère de facto BP des erreurs à venir, de ses manœuvres, etc., puisque BP n’a plus la responsabilité suprême.

Evoluant depuis des années dans le sens d’un transfert massif de ses capacités vers le secteur privé et le corporate power, le gouvernement US n’a plus ni les moyens ni l’expertise de prendre en mains, voire de contrôler, voire même de vérifier l’évolution de la situation. Il a affirmé reprendre le pouvoir mais il n’a aucun moyen d’exercer ce pouvoir. Il invective BP depuis des semaines, au point qu’il pourrait bien même tenter de mettre cette société en danger économiquement, – c’est loin d’être fait, avec l’imbroglio des lois aux USA, – mais il n’a aucun contrôle sur l’essentiel pour l'instant, qui est de stopper cette catastrophe, et de savoir où en est la tentative de stopper cette catastrophe.

C’est une situation spécifique du pouvoir politique aujourd’hui. Placé devant des crises dont est responsable le corporate power, qui n’a de soucis que pour ses revenus et “les marchés”, qui est totalement indifférent au bien public qui est pourtant l’enjeu central de toutes ces crises, le pouvoir politique est dans la plus complète impuissance pour reprendre les prérogatives et les moyens du pouvoir dont il a pourtant légitimement la charge. Cette situation n’est nulle part plus criante qu’aux USA, où le pouvoir politique prétendument le plus puissant du monde s’est complètement débarrassé des prérogatives et des moyens qui fondent cette puissance. Sa légitimité, bien faible dans un système US dépourvu de dimension régalienne et qui repose essentiellement sur les moyens du pouvoir, va très vite s’avérer inexistante puisqu’il ne dispose pas du contrôle de ces moyens.

Restent les gesticulations de communication, dans le cadre du système du même nom, mais leur effet est très faible et plutôt efficace dans un sens contre-productif pour le gouvernement. Elles n’aboutissent qu’à mettre encore plus en évidence l’impuissance du pouvoir politique et, par conséquent, sa délégitimation la plus complète. Elles sont largement annihilées et supplantées par les manœuvres de BP, qui use également massivement du système de communication, mais à son avantage et comme il lui plaît puisque lui seul détient l’information.

Nous sommes dans une situation plus extrême et plus potentiellement dangereuse qu’il n’y paraît. Si la fuite n’est pas colmatée, si la pollution se poursuit à ce rythme, si la crise devient une véritable crise nationale, – elle n’en est déjà plus très loin, – la position du gouvernement Obama et la position du président lui-même vont devenir intenables. A ce moment, la seule possibilité restante sera l’action de force du gouvernement contre BP, la prise en main discrétionnaire directe des moyens de BP pour assurer les contrôles des opérations, des mesures coercitives contre BP, etc. Nous sommes potentiellement dans une situation de crise aigüe et ultime du pouvoir politique contre le corporate power, lorsque les pressions des constituants, du public et de leurs relais nombreux devant l’ampleur de la catastrophe qui affecte le bien public, forcerait le gouvernement à un dilemme radical : ou bien affronter une crise politique où il risquerait de s’effondrer, d’une façon ou l’autre, ou prendre des mesures d’exception (sans garantie de leur efficacité) contre le corporate power qu’on a laissé usurper le pouvoir politique, à qui, même, on a facilité l’usurpation de ce pouvoir politique. Nous sommes là au rendez-vous ultime et explosif de la crise du système, lorsque le pouvoir politique en danger de mort du fait des monstrueuses actions du corporate power à qui tout est permis, devrait réagir pour sa survie par des moyens de coercition indirects, voire même directs contre le corporate power, en menant par conséquent une action d’agression fondamentale contre le système dont il est lui-même le défenseur et le lmeilleur soutien. (Lorsque nous parlons de moyens de coercition directs, nous entendons bien ce que nous disons : des moyens policiers et militaires de saisi et d’arrestation, revenant à une “nationalisation” par la force, avec élimination du pouvoir du corporate power… Une telle opération est-elle encore possible, serait-elle efficace ? On mesure la profondeur de la crise au fait qu’on puisse en arriver à de telles spéculations.)

Bien sûr, la crise dans cette prospective la plus dramatique pourrait être évitée si, effectivement la fuite, par 1.500 mètres de fond, est colmatée. Mais, même dans ce cas qui serait basé sur des affirmations de BP, le doute subsisterait. Dans tous les cas, cette crise a l'avantage de bien mettre en évidence le formidable blocage auquel conduit le système tel qu'il a évolué dans toute sa perversion.


Mis en ligne le 28 mai 2010 à 07H03

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