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29 août 2003 — Effectivement, ce fut une confrontation entre le spin-system et la réalité cruelle du monde. Personne n’a jamais dit que le système virtualiste que nous avons érigé pour tenter de contrôler ce qui nous échappe, — le sort du monde, en gros — n’était qu’une montagne de mensonges. C’est une montagne de mensonges, avec quelques escarpements qui brillent de la plus intense vérité, celle de la conviction. Tony Blair est un escarpement de vérité, si la conviction est une sorte de vérité, peut-être la plus noble en vérité, et l’escarpement est effectivement du plus pur granit. Cet homme est habité, et cela s’exprime par ses talents innombrables d’homme public, d’homme en représentation. Tony Blair est le plus grand interprète des temps présents de la conviction d’un homme, ce qui est un étrange paradoxe, celui du comédien après tout, — pour ceux qui croient, faussement à notre sens, que l’art du comédien est celui de la représentation seulement.
Certains ont senti cela, ce fut même une réaction, assez saine, qui leur vint assez vite sous la plume, — que tout ne se passait pas dans cette seule pièce où Tony Blair répondait avec le brio de son art consommé aux questions de Lord Hutton, son juge. The Independent, qui titra et sous-titra ceci qui, après tout, nous dit tout : « Soldier's funeral a long way from Hutton inquiry, — Captain David Jones 1974-2003: Yesterday, they buried Capt Jones, killed when a bomb hit a Red Cross ambulance near Basra. Hundreds paid their respects at his funeral. For them, the appearance 150 miles away of Tony Blair at the Hutton inquiry must have seemed an irrelevance. » Un autre journal britannique dit à peu près la même chose, sous la plume de Polly Toynbee, dans le Guardian. Voici la péroraison de son article, qui nous dit, là encore :
« If the prime minister had bought an evening paper as he stepped out of the law courts yesterday, there was the headline: “50th British soldier killed in Iraq as mob opens fire with guns and grenades.” News from Iraq gets worse by the day, aid workers are withdrawn and all the US promises is that electricity might return to its pre-war inadequacy in a month or two. Why he took Britain to war gets more pressing every day. He is lucky the important questions are not on the agenda in the Hutton courtroom. His performance yesterday helps get the government off the Hutton hook, but his greatest political danger now lies beyond his control on the dusty ground of Iraq. »
... En d’autres mots : que Tony Blair ait “sa” vérité qui soit une part de la vérité n’implique nullement que cet homme évolue dans la réalité du monde. La vérité de l’homme n’implique pas que le Premier ministre soit dans la réalité du monde. Bravo l’artiste, qui sait y faire pour parler de choses incertaines avec tant de maestria et de conviction qui ressortent de la vérité. Ce qui importe est le Premier ministre et son activité dans la réalité du monde. Et là, vraiment, rien n’est fini et jamais il ne parut plus intensément dérisoire de discuter avec tant d’habileté de choses si secondaires, alors que le résultat s’étale chaque jour, dans le désordre, dans le sang, dans l’injustice et la confusion irakiennes, cette caricature impitoyable élevée comme un monument à l’arrogance d’une certaine catégorie d’“homme blanc” (allusion, sans le moindre racisme on s’en sera douté, au « white men’s burden ») que notre époque prétend, curieusement, ressusciter comme si l’on pouvait reculer d’un siècle.
Sur sa tactique lors de son audition, Blair est semblable à lui-même : il fonce, il enfonce, il bouscule, toujours la force de la conviction. Il pousse aux extrêmes. C’est une tactique du “tout ou rien”. La victoire est totale ou bien l’issue recèle des surprises mortelles. Polly Toynbee, à nouveau, résume bien cela.
« Deftly, he delivered a challenge to Hutton that was almost an affront. His words had an apparent ring of nobility when he said that if the BBC's allegation that he knowingly lied had been true, it would have “merited my resignation”. “This was an attack that not only went to the heart of the office of prime minister but an attack on how our intelligence services operated ... and on the country as a whole.”
» Yet on reflection, this resignation remark holds a knife to the throat of Lord Hutton — “Back me or sack me.” It suggests, none too subtly, that if this inquiry finds the BBC in the right and Downing Street in the wrong, Hutton will have prime ministerial blood on his hands. That's the kind of thing that gives unelected judges the constitutional heebie-jeebies. How else could this be interpreted? Blair spoke in the past tense — “it would have merited my resignation” — as if the inquiry was already done and dusted, the conclusion foregone and any danger to himself long past. It might have been more politic to assume Lord Hutton still has to make up his mind about that, even if the evidence is swinging Blair's way.
» One thing was clear from the back-to-back evidence yesterday of the prime minister and the chairman of the BBC, Gavyn Davies. The ferocity of the enmity between the two sides remains unabated, a pair of stags with antlers fatally locked. The battle is still on and it has not been cooled one iota by the still perplexing death that brought all this to a crisis. »
L’enquête de Lord Hutton n’est pas close. La situation en Irak est de plus en plus incertaine. Personne n’est vraiment convaincu de choses par ailleurs accessoires (les armes de destruction massive, la menace que posait Saddam, etc), par rapport à l’essentiel qui est, n’est-ce pas, de répondre à cette question : pourquoi cette guerre ? La plupart des analystes britanniques, même ceux qui le détestent, prédisent que Blair s’en sortira et qu’il remportera, haut la main, les prochaines élections, d’abord parce qu’il n’a aucun adversaire. D’ailleurs, disent-ils, l’affaire actuelle n’a rien à voir avec le Watergate. Quelques-uns, très rares, — comme Christopher Montgomery, un tory original, — disent que non, parce que Tony Blair s’est laissé emporter par la passion en choisissant sans raison fondamentale d’affronter la BBC.
Qui peut dire ? Qui aurait dit, il y a un an, après la “fantastique” victoire d’avril en Irak, que l’Angleterre serait plongée dans une des plus graves crises qu’ait connue son système, en train de discuter de cette question essentielle, mais absurde, au fond, une fois que la guerre est gagnée : mais pourquoi sommes-nous partis en guerre ?