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30 août 2003 — Ce n’était pas inattendu mais ce fut une surprise pour nous tous. Après tant de spéculations, d’hypothèses, de commentaires venimeux sur son départ imminent, on avait fini par croire qu’Alastair Campbell, le “vice Premier”, le “vice Premier à la place du Premier”, l’éminence grise de Blair que
David Aaronovitch avait malencontreusement, ou justement dans son inconscient, désigné comme « the Richelieu of Blair » , — on avait fini par croire qu’il resterait, au moins jusqu’à la fin de la bataille de la Commission Hutton. (A propos, de contre-interrogatoires en interrogatoires de vérification, cette enquête pourrait nous emmener jusqu’à la fin de l’année, ce qui promet.) Le départ de Campbell est quelque chose comme un pétard mouillé qui s’affirme, une fois qu’il a éclaté, comme un événement de grandes dimensions.
Ce qui est remarquable dans ce départ, c’est la couleur des commentaires et des réactions qui l’ont accueilli, dont on peut accepter toute la véracité puisque la surprise ne laissait aucune place à la préparation. Un mot convient : funèbre, — non pour Campbell, mais pour Tony Blair lui-même. On ignore, nous, quel poids Campbell pesait dans le couple Tony-Alastair mais son départ semble annoncer rien moins que la fin d’un phénomène mirobolant de la fin des années 1990 : le mirobolant Premier ministre Tony Blair. Ce titre de l’article de Jonathan Freeland, ce matin dans le Guardian nous en rend bien compte, qui nous fait frissonner dans ces jours de retour de la pluie : « Blair all alone at the end of an era. »
L’impression générale est que ce départ affirme quelque chose d’inéluctable, effectivement “la fin d’une époque”. La question vient aussitôt à l’esprit de savoir combien de temps celui qui caractérisa cette époque résistera encore dans la solitude d’un pouvoir assiégé de toutes parts ... Assiégé de toutes parts et, pourtant, aujourd’hui dans tous les cas, assuré d’être réélu par absence d’alternatives. C’est une bonne mesure de la crise du système britannique, qui est un mélange de la crise démocratique générale et de la crise de la souveraineté, également générale et particulièrement forte au Royaume-Uni.
On peut faire des comptes d’apothicaire et continuer à se féliciter de la façon dont le New Labour continue à dominer la scène politique britannique. C’est voir l’aspect le plus plat de cette situation si contrastée et faire bon marché des surprises possibles, et même probables si l’on se tient aux dernières années de la marche du gouvernement Blair. Cette période depuis le 11 septembre 2001 a vu l’étonnant et contradictoire spectacle d’un gouvernement superbement majoritaire réduit à l’impuissance par un comportement plus que suspect et une impopularité extraordinaire, et ainsi incapable d’éviter les surprises et les coups du sort. Pour Tony Blair, dominateur de la scène, la situation ressemble à celle de la puissante armée américaine en Irak, avec cette incapacité désormais de contrôler la situation.
On a donc mieux à faire que de spéculer sur le sort chronologique et politicien de Tony Blair . On doit adopter le choix du commentaire plus ample. Celui de William Pfaff, écrit à la suite de l’audition de Blair jeudi et manifestement avant le départ de Campbell, prend donc des allures prophétiques en restituant, avant même l’événement, ce climat qui drape aujourd’hui la scène de la crise britannique, — «A sad end to the era of Tony Blair's magic», écrit Pfaff. Il amène justement l’éclairage là où il doit être mis et qui est l’essentiel. Le départ de Campbell, la Commission Hutton, la mort du docteur Kelly, la guerre contre Kelly, c’est d’abord la crise du choix imposé par Tony Blair du complet abandon de la souveraineté nationale britannique au profit d’un alignement inconditionnel sur les USA. C’est là qu’est le coeur de tout.
« Blair has been a brilliant communicator, successful if slippery, while keeping the respect of the electorate, at least until now. He has also been a masterful manipulator, both in party matters and in governing Britain since 1997. But until now his trials had always been domestic. He had never before been seriously tested in foreign policy.
» The Iraq affair revealed that in such matters he is an amateur. He clearly failed to understand that in international relations you cannot readily ''triangulate'' interests and issues, as he has been accustomed to do in internal affairs. You are dealing with war and peace. »
La magie de Blair s’en est allée avec Campbell. Celui-ci était son maître en spin, cette activité virtualiste qui, effectivement, si elle est bien manipulée, peut parvenir à créer cette sorte d’attirance pour un homme politique qu’on nomme “magie”. Les événements au Royaume-Uni tiennent du paradoxe le plus complet : c’est comme une fin de règne, pour un souverain dont on ne voit personne qui puisse le faire chuter, à plus forte raison le remplacer. Une situation purement virtualiste et postmoderne d’où peuvent sortir les surprises les plus inattendues (comme, par exemple et exemple essentiel, celle qui conduirait à un débat sérieux et profond sur la politique des relations entre le Royaume-Uni et les États-Unis).
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