Brown, l’OTAN et Poutine (et Sarko-Merkel, éventuellement)

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Les Britanniques sont face à un problème complexe. Brown est placé face à au moins trois exigences, qui peuvent paraître difficiles à concilier par les temps qui courent.

• Maintenir de bonnes relations avec les USA, comme toujours, – “relations spéciales” qui ne le seraient plus tout à fait mais qui doivent tout de même le rester un peu...

• Tout faire pour conserver l’OTAN en bon état de marche. Cette préoccupation renvoie moins au “lien” avec les USA qu’au poids supplémentaire que l’OTAN, où ils sont formidablement implantés, donne aux Britanniques dans l’ensemble transatlantique.

• Rétablir des relations acceptables, tant du Royaume-Uni lui-même que de l’Europe, avec la Russie. La politique de confrontation lancée par Blair ne donne aucun résultat intéressant et crée des tensions inutiles qui interfèrent sur nombre de domaines importants, dont les relations commerciales. De ce point de vue, Brown serait plutôt du côté du “couple” Sarko-Merkel, qui n’existait plus il y a deux semaines mais qui s’est reformé à Bucarest. (Les choses vont vite, dear.)

Ces idées apparaissent en filigramme dans divers articles, notamment de la presse londonienne du centre et du centre-gauche (The Independent, The Guardian) qu’on peut juger proche du parti travailliste. L’éditorial de The Independent d’aujourd’hui est particulièrement révélateur à cet égard. C’est un article typique d’“apaisement” où il nous est dit que Bush et Poutine se sont merveilleusement entendus, que le sommet de Bucarest a été un succès pour tout le monde, – y compris pour Bush et pour Poutine, rien que ça, – qu’il a détendu l’atmosphère entre la Russie et l’OTAN. Notamment, ne vous y méprenez pas, poursuit l’article, l’affaire Ukraine-Géorgie n’avait aucune importance, c’était une sorte de plaisanterie folklorique parce que tout le monde sait très bien qu’on est bien loin de l’entrée de ces deux pays dans l’OTAN. Du coup, il n’y eut pas de défaite de Bush et pas de mécontentement de Poutine... Ce simple paragraphe que nous rapportons ci-dessous résume cette pensée, qui est aussi celle du gouvernement britannique: réduire à rien l’affaire Ukraine-Géorgie, c’est-à-dire apaiser la tension Europe (Merkel)-USA et affirmer que tout va bien à l’OTAN, réduire à rien la “défaite” (guillemets nécessaires dans ce cas) de Bush et rassurer les Russes.

Voici le passage de l’éditorial, par ailleurs écrit à la gloire de la retenue et de la modération de la ... Russie (d’où le titre: «It's time for a more nuanced approach to the Kremlin»)

«Then there was the supposed clash in Bucharest over Ukraine and Georgia's Nato membership. Billed as a pistols-at-dawn affair, it was nothing of the sort. Mr Bush went through the motions of advocating membership for appearances’ sake and his “defeat” over this issue had a farcical quality, because no one seriously considered either country ready to join the alliance.»

Identifier un dossier-vedette d’une réunion de l’OTAN comme étant de “farsical quality” alors que c’est le président des Etats-Unis qui l’a défendu a de quoi vous faire mourir de rire ou trembler de terreur c’est selon. Un dossier défendu en priorité par un président US à l’OTAN, fût-ce l’affirmation que la terre est plate et que le singe descend de Charles Darwin, ne peut avoir l’air d’une farce. Le président des Etats-Unis suggérerait-il à tel ou tel Premier ministre britannique (un nom vous vient-il à l’esprit?), avec soutien du MI6, d’identifier une maquette d’avion à cent sous pour adolescent en un redoutable UCAV (Unpiloted Combat Air Vehicle) capable de transporter à des distances intercontinentale une arme de destruction massive de Saddam, qu’il serait obéi au doigt et à l’oeil. Pas question de farce. C’était la même chose pour l’affaire Ukraine-Géorgie, qui soulevait des hochements de tête gravissimes à Whitehall avant Bucarest et n’avait rien d’une farce, — et qui devient après le sommet, ô miracle, une farce à la Bush qui n’a jamais eu le moindre sérieux et dont, surtout, la défaite n’entache en rien la réputation d’irrésistible gagnant au sein de l’OTAN de tout président US normalement constitué. Ainsi, espère-t-on, à Londres, que les USA garderont leur statut au sein de l’OTAN et que l’OTAN continuera à fonctionner comme toujours.

Là-dessus, on espère également qu’il serait temps de mettre une sourdine à l’activisme anti-russe qui commence à faire désordre et l’on trouve brusquement aux Russes bien des vertus. Cela permettrait à Londres, indirectement, d’entretenir de bonnes relations avec Merkel, et aussi avec Sarko qui se retrouve comme d’habitude avec une nième politique de rechange, rejoignant, – raccourci saisissant, – ce que fut in illo tempore l’axe Paris-Berlin-Moscou cher à l’antique Chirac. L’“Entente formidable” d’il y a deux semaines serait de nouveau d’actualité, avec de nouveaux partenaires européens.

Bien entendu, nous souhaitons bonne chance à la subtile politique étrangère britannique. Elle est un peu trop subtile pour se salir les neurones dans la réalité des temps courants. Au contraire du «no one seriously considered either country ready to join the alliance», nous pensons que la réalité, du côté de Washington, que ce soit du côté de Bush, de McCain (ô combien) ou de n’importe quel démocrate, est bien que tout le monde considère sérieusement que ces deux pays (Géorgie et Ukraine) non seulement sont prêts à entrer dans l’Alliance mais doivent y entrer. Contrairement aux voeux des Britanniques, l’affaire Géorgie-Ukraine est là pour durer, insister et en remettre une couche, et trouver une opposition de plus en plus résolue de ceux qui se sont opposés à l’entrée de ces deux pays dans l’OTAN. Les ennuis de l’OTAN à cet égard ne font que commencer. Bucarest a bien été l’image du désordre considérable de l’OTAN, et cela durera et s’amplifiera. Pour le plaisir, ajoutez-y l’Afghanistan.


Mis en ligne le 7 avril 2008 à 13H43