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1111...En Afghanistan, bien sûr. Plusieurs articles parus simultanément dans la presse anglo-saxonne font état de “discussions de paix” concernant l’Afghanistan, entre les talibans au plus haut niveau (dont Mohammad Omar, ou Mollah Omar) et le gouvernement Karzaï. Il s’agit notamment d’un article de The Independent de ce 7 octobre 2010 et d’un article du Washington Post du 6 octobre 2010. The Independent affirme que les négociations ont lieu à Doubaï, tandis que le Post est moins affirmatif tout en citant cette possibilité.
Les deux articles affirment que les USA, sans être impliqués directement, sont plutôt favorables. The Independent parle d’une participation des talibans au gouvernement Karzaï et de la possible acceptation des talibans d’un accord sans que toutes les troupes étrangères (US) aient quitté l’Afghanistan. Le Post indique que les talibans négocient surtout parce qu’ils seraient menacés de divisions internes («The leadership knows “that they are going to be sidelined,” the source said. “They know that more radical elements are being promoted within their rank and file outside their control. . . . All these things are making them absolutely sure that, regardless of [their success in] the war, they are not in a winning position.”»). Les deux journaux rappellent des déclarations du général Petraeus la semaine dernière, affirmant que les talibans cherchent à négocier et ajoutant cette phrase qui pouvait paraître énigmatique et qui paraît désormais pleine de tendresse pour la perspective évoquée aujourd'hui : «This is how you end these kinds of insurgencies.»
Ces nouvelles interviennent alors que la tension est très grande entre l’ISAF (les USA) et le Pakistan, avec la frontière afghane fermée par le Pakistan et des attaques quotidiennes contre les convois de l’OTAN bloqués au Pakistan. Dans son éditorial de ce même 7 octobre 2010, The Independent conclut :
«Either way, the attacks on the convoys are costly for Nato – in practical terms, because of the losses, and in image terms, because of the vulnerability they expose. After nine years, the Western forces are no closer to victory than they ever were. The Prime Minister conveyed a similar message yesterday. While Afghans were not ready to take over their own security, Britain was not in Afghanistan to build a perfect democracy – “no dreamy ideas; just hard-headed national security”. British combat forces would not be in Afghanistan after 2015.
»What Afghanistan looks like then will be its own judgement on 14 years of war. And if the processes now beginning result in President Karzai effectively sharing power, or even losing it to Mullah Omar's men, the usefulness of the whole engagement would be called into question. It is a price, though, that might have to be paid for bringing this sorry enterprise to an end.»
Bien entendu, ces divers “bruits de paix” interviennent quasi simultanément avec les “bruits de guerre” qu’on sait, cette fois des USA avec (contre) le Pakistan, et le Washington Post dans ce cas, et sans surprise, farouche partisan de la guerre. Comme à l’habitude, c’est autour de la situation US, et la situation intérieure des rapports entre les différents pouvoirs US, qu’il faut considérer les “bruits de paix” d’aujourd’hui (comme, d’ailleurs, les “bruits de guerre” d’hier). Cela signifie simplement, d’une façon très générale, que, sans les USA, bien entendu, le conflit afghan serait très certainement terminé depuis un temps considérable… Et il n’est pas certain du tout qu’il le serait plus mal que la prévision, assez acceptable, que fait The Independent de l’hypothèse sans aucun doute très ténue d’une issue heureuse des actuelles tractations, – c’est-à-dire, la possibilité d’un accord qui ramènerait la situation de l’Afghanistan pas très loin de ce qu’elle était il y a 14 ans, lorsque les talibans prirent le pouvoir.
Le point essentiel, en fait, reste cette question interne de la décrépitude du pouvoir US avec les incessantes querelles intestines et la bataille bureaucratique permanente, qui colorent nombre de manœuvres US, sinon toutes, avec leur influence puissante sur la situation, avec les interférences sans nombre des divers services impliqués, les actions diverses en général illégales, les interventions politiques et clandestines, etc. La “question interne” aux USA, à Washington, aujourd’hui, c’est pour l’immédiat la “revue stratégique” de la situation en Afghanistan dont parlait Andrew J. Bacevich (voir Ouverture libre le 5 décembre 2010), que le général Petraeus doit donner au président Obama en décembre prochain.
Petraeus et le Pentagone savent que le président est politiquement sur le fil du rasoir, que la décision de décembre 2009 (engagement de 30.000 hommes de plus au Pakistan) est désormais publiquement perçue comme une capitulation d’Obama devant ses généraux, d’après le livre de Bob Woodward (Obama’s Wars) que tout le monde accepte pour un compte-rendu presque officiel des négociations entre Obama et ses généraux. Le Pentagone et ses généraux s’attendent donc à trouver un BHO qui tentera d’avoir une attitude dure contre eux, pour tenter de nuancer cette impression désastreuse et renforcer sa position intérieure, voire un BHO ordonnant effectivement un début de retrait en juillet 2011, qu'il avait exigé en décembre 2009 comme condition de son acceptation du renforcement US en Afghanistan. La tactique de Petraeus pour obtenir la levée de la “ligne rouge” de juillet 2011 serait alors de faire pivoter complètement les obligations.
• D’une part, l’affirmation que la situation en Afghanistan s’améliore, mais non pas militairement, ce qui est un peu dur à faire avaler, mais dans les relations avec les talibans, notamment à cause de divisions internes chez ces mêmes talibans et la menace de l’arrivée d’une nouvelle génération plus radicale. D’où l’argument de Petraeus : nous devons rester, non pour vaincre les talibans, mais pour protéger l’actuelle évolution (accord Karzaï-talibans) et empêcher l’arrivée de talibans plus radicaux. Cela implique que la “ligne rouge” de juillet 2011 est malvenue, que les forces US ainsi dotées d’une vertu “stabilisatrice” tout à fait inédite doivent impérativement rester en Afghanistan.
• Mais, surtout, le vrai danger, pas nouveau mais soudain devenu épouvantable, c’est le Pakistan, – l’instabilité pakistanaise, la faiblesse du gouvernement, un coup d’Etat possible (d’ailleurs connecté aux manigances US), les “sanctuaires” pour des groupes dont certains peuvent envisager des actions de force, provoquer des troubles, s’emparer de matériels nucléaires pakistanais, etc. Le cauchemar habituel, remis au goût du jour pour le service du président des Etats-Unis, dont on sait qu’il a toujours placé très haut, dans ses préoccupations stratégiques telles qu’elles ont été déterminées par son équipe, le rôle et le poids du Pakistan. Si Petraeus parvient à modifier la perception d’Obama dans ce sens, et de façon radicale, il devient complètement essentiel que les forces US restent en Afghanistan, à leur niveau actuel, pour tenir à l’œil et en mains le Pakistan. Dès lors, le Pentagone a ce qu’il veut, et l’hubris de l’establishment, Washington Post en tête, reste en bon état de marche… On reste en Afghanistan, avec les forces qui importent.
L’affaire pourrait-elle marcher ? Par exemple, les talibans pourraient-ils négocier un accord alors que les forces US seraient toujours présentes en Afghanistan au niveau où le veulent les militaires US, alors que ces mêmes talibans sont proches des Pakistanais qui devraient servir dans ce cas de bouc émissaires de la rhétorique du Pentagone ? Ces questions n’ont aucun intérêt parce qu’elles sont politiques et stratégiques. Le Pentagone, Petraeus, ce général bureaucrate-lobbyiste en premier, ne raisonnent qu’en termes bureaucratiques. Il leur importe de verrouiller un avantage dans la seule bataille qui compte, celle du pouvoir à Washington. La prospective de la réflexion actuelle, leur “grande stratégie”, c’est la rencontre de décembre avec Obama et une nouvelle neutralisation du même Obama, c’est tout. Après, on verra, et toujours selon la situation bureaucratique de la bataille du pouvoir à Washington.
Mis en ligne le 7 octobre 2010 à 07H36