Buy Chinese, ou le triomphe du virtualisme

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Il n’y a pas de débat sur le protectionnisme puisque le protectionnisme n’existe pas, – period. Le non-débat sur le protectionnisme-qui-n’existe-pas est un des phénomènes les plus intéressants de cette crise. La décision chinoise d’instaurer une sorte de clause Buy Chinese, à l’exemple de notre Grand Inspirateur général (Buy American), est la dernière nouvelle en date de cette étonnante aventure. Joe Quinlan, chef de la stratégie des marchés, de la gestion des investissements et de la richesse globale (nous traduisons comme cela nous vient sous la plume, sans comprendre) de la Bank of America, – Quinlan, donc, trempe la sienne, de plume, dans une encre furieuse pour observer sarcastiquement et d’une manière désolée, dans le Financial Times du 21 juillet 2009: «The new polices have sparked a sense of unease in Washington, but with the $787bn US fiscal stimulus package choked full of “Buy American” provisions, the US does not have a leg to stand on when it comes to opposing “buy China” initiatives.»

Cette remarque conclut trois paragraphes d’introduction qui nous dressent un bilan particulièrement édifiant de l’engagement général du monde civilisé et alentour de ne pas céder au “vieux démon”.

«The rally since March in global equities has been underpinned by the massive policy response from governments round the world. How ironic, then, that the very policies promoting global growth – fiscal spending, tax breaks, bank bail-outs, etc – could ultimately be diluted by government initiatives supportive of protectionism.

«Protectionism has become a growth industry, with numerous nations – including the US – opting for various direct and indirect barriers to trade since the global financial meltdown of September 2008. The World Bank notes nearly 90 new restrictions on trade since October 2008. Of the G-20 nations, 17 countries have implemented some type of trade protectionism since pledging not to in November 2008.

»Recent trade infractions range from iron and steel tariffs in Russia, to massive automobile subsidies in the US and Europe, to agricultural restrictions in Argentina and Brazil. Everyone, so it seems, is doing it, with China the latest to embrace a “buy local” platform. Beijing has introduced an explicit “Buy China” policy that requires government procurement to be focused only on Chinese products or services unless they are not available within the country or cannot be bought at a reasonable commercial price. The new polices have sparked a sense of unease in Washington, but with the $787bn US fiscal stimulus package choked full of “Buy American” provisions, the US does not have a leg to stand on when it comes to opposing “buy China” initiatives.

Quinlan se désole: si la Chine, ce modèle d’expansion et de commerce globalisés, entame une grande politique de protection pour tenter d’apaiser le mécontentement de ses travailleurs, qu’en sera-t-il du reste, tous ces pays déjà au fond du gouffre et qui tremblent à la perspective de l’explosion sociale? Suit une longue complainte sur le phénomène de dé-globalisation, sorte de double négatif, ou positif c’est selon, de la fameuse dé-localisation. La conclusion de Quinlan est particulièrement désolée.

«The risks of de-globalisation, however, should not be lightly dismissed. History shows us that protectionism begets protectionism. As the jobless ranks swell around the world in coming months, the backlash against globalisation will grow. The alternative may be de-globalisation or the unbundling of a tightly wrapped global economy that has yielded widespread growth and prosperity for rich and poor nations alike. This may sound far-fetched and alarmist. But it wasn’t that long ago that US subprime loans were considered benign and contained to the US.

»The bull case for global equities is premised on the belief the worst is past – that the global economy is on the mend. This assumption has yet to be proven but a few promising signs are emerging. Yet the government-led global rebound could still be aborted by government-sponsored protectionism.»

Ainsi sommes-nous certes fascinés, plus encore par la manière du triomphe du protectionnisme que par le protectionnisme lui-même. Ce triomphe est bâti, non sur du sable, mais sur une campagne négationniste sans précédent, assortie de signatures, de points solennels de tel et tel communiqués, de réaffirmations tonitruantes dans chaque discours que le ciel nous réserve. Cette formidable campagne de virtualisation de la pratique du protectionnisme consiste en un impeccable barrage sémantique bannissant le mot comme absolument impie, sacrilège, complètement détestable, – au point qu’il ne vous viendrait pas à l’esprit, finalement, de simplement enquêter sur l’existence du protectionnisme puisque la suppression du mot et sa combustion instantanée dans les flammes grondantes de l’enfer induisent l’inexistence complète du mal désormais.

Le cas lui-même n’est pas en question. Nous pensons bien entendu que le “protectionnisme” (quel mot est-ce là?) a toute sa place dans diverses circonstances, et qu’il a la vertu, dans le cas que nous expose un Quinlan désolé, de développer une campagne persistante de dé-globalisation. A défaut du reste, on ne peut mieux faire, face à la globalisation telle qu’ils l’ont faite, que de tenter par tous les moyens de défaire cette globalisation-là. La question que nous posons porte plutôt sur cette méthode de gouvernement, reposant massivement sur quelque chose de bien plus que le mensonge, qui est cet univers absolument fabriqué selon les techniques du virtualisme.

La remarque que nous faisons est que, paradoxalement, cette façon de faire prive le protectionnisme d’une de ses vertus principales lorsqu’il est appliqué à bon escient, nous dirions même sa vertu principale, qui est d’établir dans la population un sentiment de sécurité puisqu’il y a la perception de l’existence d’une protection, et ce sentiment de sécurité contribuant fortement à l’apaisement social en général. Dans le cas qui nous occupe, cette perception n’existe pas puisque tout ce que nous avons à percevoir est que le protectionnisme n’existe pas, qu’il n’est pas question qu’il existe, et que c’est la plus mauvaise chose du monde. Ainsi fait-on quelque effort pour protéger certaines formes économiques, certaines situations sociales nationales, tout en jurant ses grands dieux qu’il n’est pas question qu’on le fasse car cela est évidemment indigne et inconcevable. Cette curieuse situation à laquelle on arrive prive ainsi les dirigeants des avantages politiques de leurs décisions, en privant les citoyens des pays concernés du réconfort psychologique de se savoir protégés par ceux qu’ils élisent pour les diriger et assurer leur protection. Il y a une certaine perfection de la situation vicieuse, de la politique qui se subvertit elle-même, en une sorte de cercle effectivement vicieux. Il n’y a par ailleurs aucune raison de s’étonner de quoi que ce soit.


Mis en ligne le 22 juillet 2009 à 14H41

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