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16 janvier 2005 — Les Britanniques ont soulevé un sourcil pour exprimer leur profonde indignation. “Cultural Vandalism”, apprécie Le Guardian, à propos de l’allié privilégié de l’Angleterre, i.e. les Etats-Unis. Le quotidien se fend d’un édito rageur, d’un récit détaillé des circonstances de la catastrophe, d’un inventaire détaillé des conséquences de la catastrophe, des commentaires désolés d’un invité de marque, un spécialiste américain des problèmes archéologiques, Francis Deblauwe.
Il s’agit de la catastrophe archéologique qui a frappé les vestiges de l’antique Babylone, selon un rapport furieux du British Museum qui fait le bilan. L’U.S. Army y avait installé une base dont on aura peu de mal à croire qu’elle était stratégique. (Les soldats polonais leur succédèrent, prenant la suite logique pour un pays si admirateur des États-Unis du travail de dégradation d’un des plus grands sites de l’histoire de l’humanité. En l’occurrence, les Polonais sont des comparses sans beaucoup d’intérêt, tout comme la décision de leur gouvernement de faire partie de “la coalition”. On n’en parlera plus.) Deblauwe trouve un bon titre pour résumer cette aventure: « American Graffitti ».
Quelques extraits de l’édito du Guardian pour préciser le problème.
« The damage wrought by the construction of an American military base in the ruins of the ancient city of Babylon must rank as one of the most reckless acts of cultural vandalism in recent memory. And all the more so because it was unnecessary and avoidable.
» The camp did not have to be established in the city - where the Hanging Gardens, one of the seven wonders of the world, once stood - but given that it was, the US authorities were very aware of the warnings of archaeologists of the historic importance of the site. Yet, as a report by Dr John Curtis of the British Museum makes clear, they seem to have ignored the warnings.
» Dr Curtis claimed that in the early days after the war a military presence served a valuable purpose in preventing the site from being looted. But that, he said, did not stop “substantial” damage being done to the site afterwards not just to individual buildings such as the Ishtar Gate, “one of the most famous monuments from antiquity”, but also on an estimated 300,000 square metres which had been flattened and covered in gravel, mostly imported from elsewhere.
» This was done to provide helicopter landing places and parking lots for heavy vehicles that should not have been allowed there in the first place. He describes this as “extremely unfortunate” from an archaeological point of view since it means previously undisturbed archaeological deposits will now be “irrevocably contaminated”, seriously compromising the status of future information on the large areas that have not been excavated (including, possibly, the remains of the gardens themselves). The damage was compounded by bringing in sand and earth from elsewhere some of which may have been archaeological deposits in their own right. »
On reste fasciné devant l’extraordinaire constance des forces armées américaines, qui devraient être plus justement qualifiées d’américanistes, à se précipiter sur toutes les sottises que peut concevoir l’esprit humain dans cette campagne irakienne. On croirait qu’il y a quelque chose de magique dans cette constance. Les scénaristes de Hollywood sont complètement dépassés.
Le saccage du site de Babylone, évidemment involontaire puisqu’il y avait au départ l’intention de le protéger, — cela n’en est que plus bête dans ce cas, — prend la suite du pillage “autorisé” du Musée National de Bagdad, en avril 2003, dont on se demande encore si l’“autorisation” était involontaire ou non.
Qu’importent ces détails. Le fait est que l’action des armées américanistes en Irak laisse une longue trace de saccages, certains sanglants d’autres “simplement” culturels comme celui-ci, dont la caractéristique essentielle est la déstructuration: déstructuration de l’architecture sociale, déstructuration de l’organisation urbaine (c’est comme cela qu’on pourrait qualifier la destruction de Falloujah, non?), déstructuration de la mémoire historique, etc, — c’est-à-dire, déstructuration de toute structure dont on peut juger qu’elle participe, de près ou de loin, au renforcement de la civilisation. Que certains actes soient volontaires et d’autres pas, voilà qui est plus significatif qu’accidentel; cela indique bien que nous avons affaire là à une tendance fondamentale, de type irrépressible, habitant autant l'inconscient que ce qui sert de conscience. Cette tendance habille même l’ignorance et l’inculture des généraux et des colonels, qui vont toujours dans le même sens, qui est celui de la déstructuration. Il y a là quelque chose de freudien. Les exigences de la haute technologie militaire, celle qui ne sert à rien dans le conflit comme chacun sait, font le reste pour achever le saccage.
Il faut classer cette sorte d’actes, tout comme la guerre d’Irak dans son ensemble (tout comme l’attaque contre la Serbie/Kosovo il illo tempore, etc), dans la logique du mouvement de globalisation. On sait que la globalisation présente pour la caractériser fondamentalement une caractéristique quasiment automatique et irrépressible de dérégulation qui en fait un mouvement subversif de la civilisation, au contraire de la mondialisation. Le fonctionnement et l’action des armées américanistes, même involontairement, sont tels qu’ils ne nous laissent pas souffler, et nous rappellent sans cesse à qui nous avons affaire.
Quelques mots désolés de l’Américain Deblauwe pour conclure:
« To paraphrase Lord Byron's lament about the Parthenon: Quod non fecerunt Baathi, hoc fecerunt Americani Polonique (what the Ba'athists did not [destroy], the Americans and Poles did).
» What started on a good and decent impulse, to protect the ancient site of Babylon, the “mother of all archaeological sites”, ended up doing more damage than probably any of the misguided megalomanical reconstruction projects of Saddam Hussein.
» I read the report the Guardian sent me with growing dismay.
» How on earth all this was allowed to happen, long after the fiasco with the National Museum in Baghdad, is beyond my comprehension.
» Any civil affairs officer worth his/her salt should have known immediately that levelling whole areas of an ancient archaeological site such as Babylon is just not done.
» My guess is that their protests were summarily brushed aside once the wheels of the military machine came into motion.
» It seems the infrastructure necessary for modern hi-tech warfare was installed and provided for without much — if any — regard for the exceptionally sensitive and unique setting.
» Furthermore, the constant traffic of heavy trucks and machinery wreaks havoc on the archaeological deposits right underneath the surface.
» Due to security concerns, Iraqi experts were shut out, especially the people from the State Board of Antiquities and Heritage (SBAH) whom the coalition military probably saw as Ba'athist holdovers. »