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385Les interprétations générales et globales, politiques et stratégiques des circonstances fondamentales et des conséquences de l’abandon du système BMDE par les USA varient. Nous en citerons trois principales, qui ne sont pas la nôtre essentiellement. (Cela doit être lu en gardant à l’esprit qu’une telle décision a toujours plusieurs causes, plusieurs composants, donc plusieurs conséquences. Nous nous intéressons au principal des uns et des autres, considéré objectivement, hors des plans et volontés des acteurs. En quelque sorte: quelle mécanique l’abandon du BMDE va-t-elle principalement susciter ?)
• Le New York Times du 18 septembre 2009, dans un article de David E. Sanger et William J. Broad, estime que la décision est un strategic shift en ce sens qu’il fait passer la logique et la problématique des systèmes anti-missiles de la conception reaganienne totale (conception globale d’un bouclier contre toutes les attaques) à une conception régionale (tel système mis en place dans telle région pour contenir telle menace géographiquement identifiée). Dans ce cas, il s’agit bien de l’Iran, et de la stabilité du Moyen-Orient au premier chef. («The new plan that President Obama laid out for a missile shield against Iran on Thursday turns Ronald Reagan’s vision of a Star Wars system on its head: Rather than focusing first on protecting the continental United States, it shifts the immediate effort to defending Europe and the Middle East.»)
• Le Guardian du 17 septembre 2009 attribue la décision d’Obama à la menace qui était apparue, dans l’enceinte de l’ONU, de voir les Russes faire capoter les ambitions d’Obama pour le désarmement nucléaire et la non-prolifération. («Discussions on a US-drafted resolution on nuclear disarmament and non-proliferation had been underway for weeks when, out of the blue, Russia came up with objections to a text that is supposed to be the centrepiece of an extraordinary nuclear summit at the UN next Thursday to be chaired by Obama.») Obama aurait compris que, sans la coopération des Russes, il ne pourrait faire avancer son idée, et il a tenté de débloquer la situation avec l’abandon du BMDE qui soulage les Russes d’une crainte au niveau de leurs capacités nucléaires.
• Pour certains, l’abandon du BMDE est une “mesure tactique” de l'appareil de sécurité nationale US pour “apaiser” notamment l’Allemagne et la Russie, et pouvoir poursuivre son but d’investissement et de contrôle des matières énergétiques du Moyen-Orient et d’Asie Centrale. C’est la thèse du site WSWS.org, ce 18 septembre 2009. Après avoir détaillé les concessions qu’il a obtenues des Russes (ouverture d’une ligne de communication vers l’Afghanistan, durcissement russe vis-à-vis de l’Iran), WSWS.org poursuit: «The shelving of the Polish and Czech bases will also appease Washington’s NATO allies in Europe, especially Germany, who were opposed to the serious deterioration of relations between the US-led alliance and Russia under the Bush administration. […] Rather than the suspension of the planned eastern European bases representing a major change in US strategy, the Obama administration is making a tactical shift in order to meet the same basic strategic goals of American imperialism pursued during the Bush years: US domination of the Middle East and Central Asia, home of the world’s greatest reserves of oil and gas.»
Notre approche est notablement différente. Nous parlons moins d’intentions et de calculs d’Obama ou du système de l'américanisme as a whole, dont nous pensons qu’ils sont largement surestimés en l’occurrence, et dans la façon dont l’opération a été réalisée également, que de réalités objectives, de conséquences entraînées par l’acte lui-même, par ses effets sur les uns et les autres. Pour cela, il faut d’abord bien situer le contexte le plus assuré, le plus affirmé. Pour nous, il s’agit, d’une façon absolument prioritaire, de la situation de la sécurité européenne.
@PAYANT Quels que soient les buts divers qu’on a proclamés à son endroit ou qu’on lui a attribué, le BMDE reste une initiative qui est intervenue au cœur de l’Europe, dans un contexte européen. La fable de la “menace” iranienne, fortement réactivée à l’occasion de la liquidation du système, n’a jamais compté que fort secondairement dans un programme qui était dirigé, avec les activistes impliqués (neocons alliés avec le complexe militaro-industriel et le reste, dont divers directions est-européennes), directement contre la Russie. Le BMDE et la dynamique qui l’accompagnait ont failli déclencher une crise majeure de la sécurité européenne, notamment lorsque les Russes ont menacé de mettre en cause le traité FNI, qui assure l’équilibre nucléaire de la sécurité européenne depuis 1987. Les USA ont implicitement confirmé cette dimension essentielle d’intervention déstructurante dans la sécurité européenne, principale et fondamentale caractéristique de la BMDE, lorsqu’ils ont signé, avec la Pologne le 14 août 2008, l’accord sur la base anti-missiles, devenu caduc évidemment depuis hier. C’était lier directement le cas du BMDE à la crise de la sécurité européenne qui avait atteint un sommet dramatique avec la crise géorgienne du 7 août 2008 alors en pleine activité, à laquelle cette signature du 14 août fut directement liée. Elle-même, la crise géorgienne, était due à l’activisme US, par le biais de l’activisme des organisations frontistes US en Europe de l’Est, dont le BMDE était partie intégrante. Le complexe militaro-industriel US, qui finance nombre de ces organisations frontistes et dont les intérêts étaient engagés dans les équipements du BMDE, porte également une part essentielle du dynamisme et de la responsabilité de cet activisme US.
Dans ce contexte historique des six dernières années (les premiers efforts pour un BMDE datent d’une tournée Wolfowitz-Bolton, liés aux organisations frontistes neocons et autres, en Europe, au printemps 2002), la conséquence inévitable de l’abandon du BMDE, par l'effet de gravité des pressions politiques et stratégiques qu'il va susciter, concerne la sécurité européenne au premier chef et d’une façon radicale. L’évolution des pays d’Europe de l’Est, laissés à eux-mêmes par les USA, celle des pays de l’Europe de l’Ouest (essentiellement la France, l’Allemagne, l’Italie, mais aussi l’Espagne), qui veulent une amélioration des relations stratégiques avec Russie, vont peser d’un poids considérable. La Russie, bien entendu, se trouve en position centrale, dans une position idéale pour relancer son “projet Medvedev” de juin 2008 pour une nouvelle “architecture de sécurité européenne”. L’élimination du BMDE crée effectivement un appel d’air stratégique à cet égard, d’une façon curieusement paradoxale puisque c’est son installation complètement agressive et hors de propos qui a bouleversé la situation que son retrait met désormais dans un contexte demandant un nouvel arrangement de sécurité. D’une certaine façon, le BMDE a suscité un problème, ou plutôt révélé un problème dissimulé depuis 1987 (le traité FNI), et dont son abandon demande une résolution dans des termes complètement nouveaux.
Dans cette partie étrange, les USA, bien qu’ils en aient actionné le détonateur et en aient semblé assurer la maîtrise, seront plutôt beaucoup moins présents dans les futurs événements. Effectivement, l’abandon du BMDE a, pour eux, des raisons qui n’ont qu’indirectement à voir avec la sécurité européenne. Ils cherchent essentiellement la coopération soviétique pour leurs multiples crises, et, surtout, pour n’avoir pas à fournir d’effort en Europe, dans l’état d’affaiblissement accéléré où se trouve leur puissance. De ce point de vue, les USA sont assez indifférents à la situation en Europe, ce qui confirme une attitude générale complètement concentrée sur les crises périphériques qu’ils ont eux-mêmes créées et sur leur propre crise intérieure. Les Européens vont se trouver, qu’ils le veuillent ou non, en première ligne, avec la Russie, placés devant le problème de la sécurité européenne qui doit être désormais réexaminé sur de nouvelles bases. On ne s’en plaindra certainement pas, en observant qu’effectivement ce sont des événements de cette sorte, qui dépassent la maîtrise et les capacités des directions européennes, qui peuvent seuls forcer ces directions à “oser” enfin s’impliquer, éventuellement en position de partie prenante, dans la question fondamentale de la sécurité européenne.
Mis en ligne le 18 septembre 2009 à 14H25