Cablegate leur délierait-elle la langue ?

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Internaute Anonyme nous indiquait obligeamment, dans le Forum d’un Bloc-Notes, le 10 décembre 2010, l’excellente intervention du président polonais Bronislaw Komorowski.

Internaute Anonyme citait un texte de CNN.News, du même 10 décembre 3010, qui percevait le discours du président polonais dans ces termes :

«In Washington, most speeches by representatives of other countries are, well, diplomatic, carefully written to avoid controversy. A speech by Polish President Bronislaw Komorowski at the German Marshall Fund of the United States on Wednesday broke that mold.

»Speaking off-the-cuff for much of it, Komorowski gave a frank and, at times, sarcastic evaluation of U.S.-Polish relations. Citing Wikileaks disclosures of State Department cables, which some Polish officials believe show the United States put relations with Russia ahead of Poland's security interests, Komorowski said: “Like in marriage – from time to time its worth taking your wife for a date.” Translation: The United States should not take Poland for granted.»

Etc., etc. Jusqu’à l’histoire, assez courante pour les Polonais, qui demandent depuis plus de dix ans de bénéficier de facilités de visa avec les USA et qui se heurtent, malgré des promesses répétées, à un mur bureaucratique totalement infranchissable. Cela, suivi de la part du président polonais, de jugements sévères.

«Komorowski said, when he filled in his U.S. visa form, he was asked whether I am involved in prostitution or if perhaps I was involved in genocide or whether I was a terrorist.”

»“Well, I don't take it as an insult,” the Polish president added. “I'm not a prostitute. But I have to tell you when I had to answer the question whether I was a terrorist my hand shook a little. Because I do not want to lie. I do not want to lie to the United States.

»“But I had some doubt. At the time of the Communist regime I was considered to be a terrorist. It was the language of some of the charges formulated by the prosecutor in the Communist state. So I did not know: Should I write the truth or lie in that form? So my suggestion is to skip that form. ... It's not understandable for us. It's nonsense. It spoils a lot in Polish-American relations.”»

Notre commentaire

C’est une étrange sarabande. Des “fuites” de Cablegate, les Russes ont retenu que les Polonais semblent mener un double jeu à l’instigation des USA, en acceptant des plans de défense et certaines promesses de déploiements épisodiques de forces US en Pologne à côté du processus de réconciliation Russie-Pologne en cours. Mais les réalités découvertes par Cablegate montrent que c'est d'abord du côté US, de la part d'éléments incontrôlés du Système, que se situent les responsabilités. (Voir ce 13 décembre 2010.) De Cablegate, les Polonais ont retenu que les diplomates américanistes les considèrent comme quantité négligeable, qu’on manipule à sa guise, et que l’essentiel pour les USA ce sont les relations avec la Russie. Pour les Polonais, la duplicité est d’abord du côté US… Il y a convergence (nous voulons dire, – entre Russie et Pologne).

Ce qui nous frappe, nous, au-delà de la logique même du propos, c’est bien entendu la verdeur du langage du président polonais. Et la question qui nous taraude est bien celle-ci : s’il n’y avait eu Cablegate, le président Bronislaw Komorowski aurait-il parlé de la sorte ? Notre conviction est qu’il n’aurait pas parlé de la sorte, et le caractère polonais, la fierté polonaise ne contrediront certainement pas cette conviction. D’où une nouvelle perspective qui s’ouvre sur les conséquences éventuelles de Cablegate, qui est celle de savoir dans quelle mesure certains dirigeants, certaines directions politiques ne vont pas choisir la voie d’une certaine, – comment dit-on ? Ah oui… “transparence”, c’est cela. En réalité, le mot “transparence”, qui fait partie du code sémantique du Système, doit être revu dans ce cas, et acquérir la dimension, la substance et la forme qui importent.

Ce qui est caractéristique est que nous n’avons pas eu de telles réactions dès les premières fuites, alors que certaines de ces fuites pouvaient provoquer bien des colères et des rancunes, et qu’elles les provoquèrent secrètement sans nul doute. Ces réactions publiques de contestation, de colère, d’expressions tranchées, sont apparues le 7 décembre, avec l’intervention de l’Australien Rudd (voir notre Ouverture libre, du 9 décembre 2010). Puis d’autres ont très vite enchaîné : les Russes et Lula, notre président polonais… Mais c’est évidemment cette dernière intervention qui nous impressionne le plus, car elle est faite d’une façon calculée, de sang froid, devant une conférence (le Marshall Fund) réputée pour son atmosphère feutrée et dévotement pro-américaniste. Le processus est bien celui évoqué par le titre : “les langues se délient”, au contraire d’un coup de colère immédiat et vite apaisé. Dans l’évaluation contraire entre le département d’Etat (dégâts à long terme) et le Pentagone (cela se calmera vite), c’est le premier qui aurait raison. Nous le croyons volontiers.

…Car, non seulement “les langues se délient” en public, comme elles vont le faire épisodiquement, d’ailleurs alimentées par le flot constant de nouvelles fuites qui se poursuivent, mais elles vont se délier également en privé, dans les négociations entre les USA et leurs universels amis du Rest Of the World. Il nous paraît assuré que les relations normales (privées, non publiques, dans les négociations, etc.) vont être grandement affectées dans leur climat, ce qui est un facteur d’une grande importance dans la mesure où la cohésion à leur avantage que tentent de maintenir les USA repose d’abord sur la narrative du virtualisme, les rapport de force et les stabilités réciproques étant en très rapide changement au désavantage complet des USA. La crise Cablegate n’est pas seulement un formidable éclat public et une cyber-insurrection, elle est aussi, peut-être, et d’une façon complètement essentielle, l’amorce de fissures, voire de ruptures fondamentales entre les directions politiques. Nous n’exprimons nullement cela dans un sens géopolitique, par exemple par rapport à des alliances ou des renversements d’alliance même si la chose prenait cette forme, – ce qui nous paraît fort improbable (notre leitmotiv : nous ne sommes plus dans l’ère géopolitique) ; nous exprimons cela par rapport à l’attitude de ces directions politiques vis-à-vis du Système en général, dont effectivement le “centre” se confond avec le “centre” washingtonien. Des fissures ou des ruptures avec la direction des USA dans le contexte ne signifie pas un déplacement géopolitique spectaculaire des rapport de forces, voire même des liens contractuels et d’alliances diverses mais un déplacement fondamental de certaines positions, par le biais du système de la communication dans ce cas, vis-à-vis du Système en général. Une façon éventuelle, pour certaines directions politiques, de se rapprocher un tout petit peu, – il faut un début à tout, – de la cyber-insurrection.


Mis en ligne le 13 décembre 2010 à 07H44

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