Cadeau US à l’OTAN : le piège afghan, avec mode d’emploi et “kit” au complet

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Cadeau US à l’OTAN : le piège afghan, avec mode d’emploi et kit au complet


29 septembre 2006 — La situation étant de plus en plus grave en Afghanistan, l’OTAN s’y trouve de plus en plus impliquée dans des conditions de plus en plus délicates. La réunion des ministres de la défense de l’Organisation en Slovénie l’a confirmé, sous la forme d’une démonstration verbale d’une solidarité incertaine suivie de très peu d’effets, tandis que se referment sur l’OTAN les mâchoires du piège américain — pardon, du piège afghan.

Les ingrédients sont désormais en place pour faire de l’Afghanistan un vaste champ de bataille où l’Organisation devrait se trouver complètement prise au piège :

• un engagement politique de “solidarité forcée” (devoir d’alignement des membres européens sur les consignes atlantistes) sans forces armées significatives supplémentaires ;

• une extension géographique de la zone d’opération de l’OTAN avec l’Est du pays passant sous le commandement de l’ISAF (et les forces US qui s’y trouvent étant mises sous commandement OTAN — là est la beauté de la chose [voir plus loin]) ;

• une tactique catastrophique sur le terrain, toutes les forces, notamment européennes, opérant dans ce contexte étant “américanisées” par les procédures et les contraintes opérationnelles . (L’exemple le plus frappant concerne les forces britanniques, normalement d’un très bon niveau, sachant se battre selon les normes imaginatives des puissances européennes ; dans le contexte OTAN de l’Afghanistan, les forces britanniques sont devenues des forces “américanisées”, qui se battent selon les principes désormais connus : destructions maximales avec de fortes pertes chez les civils, par conséquent une aide substantielle apportée aux talibans qui peuvent compter sur un soutien populaire grandissant.)

Le Daily Telegraph note aujourd’hui :

«Last night the ministers agreed a major expansion of Nato's mission into the volatile east of Afghanistan — but their agreement owed nothing to European willingness to offer more troops. Instead, ministers simply agreed to place some 12,000 mostly US forces, already in the region, under Nato command.

»The move will place US troops in eastern Afghanistan under the command of a British officer, Lt Gen David Richards — the largest number to be under foreign command since the Second World War.

»In Germany the lower house of parliament voted by a large margin to extend the peacekeeping mandate of the 2,750 German troops serving with Nato for a further year.

»The German foreign minister, Frank-Walter Steinmeier, told the Bundestag that Nato had no choice but to stay. “Afghanistan is only lost if we give it up,” he said.

»Des Browne, Britain's Defence Secretary, praised Poland for rushing forward the deployment of 900 troops to Nato's International Security Assistance Force (ISAF), but said he would be urging other nations to think about doing more.

»“Allies must step up to the plate to meet our collective commitment to support the government and people of Afghanistan,” he said.

»However, even as Mr Browne headed for Slovenia, Spanish officials briefed the Madrid press that their government — in conjunction with France, Germany and Belgium — had seen off a request from the military commander of Nato, Gen James Jones, to mobilise ground forces from the ‘Eurocorps’ — a rapid reaction force made up of troops from several European nations.

»Spanish sources told El Pais newspaper that the four European nations had told Gen Jones the rapid reaction force was for unforeseen emergencies, and not for propping up an existing mission.»

“Zapper” l'Afghanistan des écrans US

Du point de vue qui compte, de la politique et des émotions psychologiques, le point le plus important dans ces décisions est évidemment l’extension de la zone OTAN à l’Est de l’Afghanistan et, surtout, le passage sous le commandement OTAN des (presque) 12.000 soldats américains qui s’y trouvent. Les Britanniques, qui assurent ce commandement (général Richards), ne se tiennent plus d’une fierté à peine rentrée.

(Il suffit de sentir, ceci pour les nez fins, combien la plume du rédacteur du Telegraph est mouillée d’une humidité reconnaissante lorsqu’il écrit : «The move will place US troops in eastern Afghanistan under the command of a British officer, Lt Gen David Richards — the largest number to be under foreign command since the Second World War.»)

Pour les Britanniques, qui n’en sont décidément plus à une sottise près, cette décision est une sorte de confirmation de la réciprocité des liens transatlantiques. Ainsi, écrira-t-on plus tard dans les livres d’histoire transatlantique, non seulement les Américains commandent à tous mais il peut arriver qu’ils acceptent d’être commandés.

Bien entendu, une autre lecture est nécessaire, les Américains restant par ailleurs ce qu’ils sont.

Les Américains ont l’Irak et c’est bien suffisant. Le naufrage sans fin du régime Bush et de l’establishment washingtonien dans la catastrophe irakienne impose que tout autre inconvénient de la réalité du monde soit écarté. Pour l’Afghanistan, il importe de “zapper” au plus vite. Assez curieusement, notre remarque accessoire et presque ironique concernant les couvertures de Newsweek concerne peut-être l’essentiel. (Notre F&C d’hier, avec cette remarque : «A la limite, on dirait, sans vraiment solliciter la caricature ou le sarcasme, que la manipulation des couvertures de Newsweek concerne aussi bien l’establishment de Washington que la population US elle-même — et peut-être la direction et la rédaction de Newsweek elles-mêmes, pourquoi pas?»)

Placer les forces US en Afghanistan sous commandement OTAN, c’est poursuivre et accentuer la “narrative” selon laquelle l’Afghanistan n’est plus un problème pour les USA depuis la tonitruante victoire de novembre 2001. On s’en tiendra donc là.

Cela écrit, si les Britanniques croient que le général Richards aura son mot à dire dans l’évolution et l’action des (presque) 12.000 soldats américains dans l’Est de l’Afghanistan, c’est qu’ils ont perdu leur sens proverbial de l’ironie. On dit le général Richards assez peu subtil, plutôt dans le genre culotte de cuir et beau parleur (un peu trop, parfois). Il sera d’autant plus aisé de lui faire comprendre que son commandement s’arrête aux déclarations à la presse. Le reste, qui est le détail du commandement, voilà l’essentiel (“Devil’s in the detail, old chap”). Les Britanniques s’apercevront assez vite, s’ils ne le savent déjà, que leur autorité s’arrête à la couverture-OTAN mise sur les soldats US pour que, au moins jusqu’aux élections mid-term, on n’aille pas imaginer, dans le middle west profond, que l’Afghanistan existe encore.

Pour le reste, tous les éléments du paradigme de l’échec parfait se trouvent réunis pour l’OTAN en Afghanistan. Que faire d’autre qu’y aller, pour ceux qui y croient encore, les fidèles des fidèles de la mystique atlantiste, puisque le désordre est là, agencé avec soin par Rumsfeld & compagnie depuis trois ans? Effectivement, rien d’autre à faire. (Parole d’or du ministre allemand des affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier : «NATO had no choice but to stay. Afghanistan is only lost if we give it up.»)

Nous reparlerons donc de l’Afghanistan et des tourments intérieurs des nations otaniennes “bon chic bon genre” engagées dans l’aventure. En effet, les répercussions ne manqueront pas de se faire sentir lorsque les opinions publiques des pays en question s’apercevront qu’il se passe quelque chose. Premier rendez-vous : les prochaines (octobre) élections néerlandaises et la possible-probable nouvelle majorité de centre-gauche qui en sortira, — centre-gauche en général assez peu inspiré par les aventures extérieures arrangées par l’oncle Sam.