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1er juillet 2003 — La guerre contre l’Irak, avec tous ses tenants et aboutissants, conduit à un enchaînement de déstabilisations et de mises en question, notamment et particulièrement au Royaume-Uni. Le fait notable est que la querelle des WMD irakiennes introuvables, au lieu de s’apaiser et de se banaliser, se poursuit en s’institutionnalisant et en s’élargissant. Le dernier pas à cet égard est la querelle Campbell-BBC (Alastair Campbell, le conseiller spécial en communication et en stratégie de Blair, le “gourou” ou l’“âme damnée” du PM selon ce qu’on en a, et l’homme qui conduit la stratégie de la politique blairienne depuis l’origine de ce gouvernement ; mais qui prend le pas sur les autres centres de pouvoir en temps de crise, notamment les guerres dont Blair est friand, à cause de sa proximité de Blair et de son influence, — et comme le gouvernement de Blair est devenu un phénomène de crise permanente...)
En réalité, la nouvelle étape Campbell versus BBC comme représentation de la crise UK pourrait être désignée d’abord comme “Campbell” versus tous les opposants à Blair, tant l’antagonisme avec Blair et sa façon de gouverner s’est focalisé sur Campbell. (Lequel l’a bien cherché, d’une certaine façon, dans tous les cas son intrusion publique la semaine dernière a beaucoup aidé à cette focalisation.) La hargne extraordinaire des hommes politiques hors du “cercle magique” de Blair (ce cercle de conseillers proches qui ressemblerait à une prison aujourd’hui) et de la presse toutes tendances confondues contre Campbell comme représentant de ce “cercle”, est analysée par Brendan O’Neill dans son article “Dodgy dispute” du 30 juin.
La hargne est bien visible, par exemple dans des articles du Times qui sembleraient aller à contre-courant de ses propres engagements. Le cas reste l’affaire irakienne et l’engagement UK manipulé par Campbell, or Times et les conservateurs atlantistes et libre-échangistes ont été les plus fermes soutiens de cette guerre. Mais cela, c’est fini. La fureur anti-Campbell est aussi forte chez les conservateurs que chez les travaillistes, elle est aussi forte dans la presse, hors de toutes les étiquettes politiques. Brendan O’Neill résume bien cet aspect de la bataille :
« According to Sunday Times columnist Minette Marin, he is the “Fuhrer of Fuddlement”, who launched a “relentless assault upon our memories” and helped to “gang rape the truth” . Others say he is the “King of Spin”, whose “sexing up” of a government dossier on Iraq made otherwise sceptical politicians support the war; some even claim that he pulled the prewar strings in Downing Street, playing the “dominating role” in a “master/servant relationship” with prime minister Tony Blair.
» Alistair Campbell, the government’s spindoctor-in-chief, is seen as being responsible for (mis)leading Britain into war. »
Cette hargne générale contre Campbell, voilà qui semble un peu trop commode, qui ressemble à l’habituelle “démonisation” dont on sait qu’elle cache souvent bien des faiblesses de soi-même. O’Neill tente d’expliquer cette évolution, cette focalisation d’une frustration générale sur un homme, au-delà des partis, au-delà des engagements politiques. Son explication est celle du bon sens, dans la mesure où elle tend à rappeler que certains des principaux critiques de Campbell (les politiciens travaillistes qui critiquent Blair et son “cercle”) font partie du même système, position conduisant à s’interroger sérieusement sur l’“innocence” des arguments qu’ils utilisent dans leurs critiques. Il s’agit aussi bien de dépit, de frustration, d’envie, que d’appréciations civiques et morales.
« Yet rather than challenging what they perceive to be Campbell's stranglehold over political life, many in the New Labour camp hide behind Big Bad Campbell as a cover for their own lack of backbone. Some Labour ministers already claimed that Britain's dodgy evidence duped them into backing the war — as if the weak and plagiarised evidence could dupe anybody with an ounce of principle. Now, some point the finger at Campbell, unelected, ever-present, all-powerful Campbell, claiming that he single-handedly conned them into supporting the attack on Iraq. If it is politicians' impotence that blows Campbell's role out of proportion, it is their lack of principle that means he is blamed for everything.
» If Campbell is really so powerful, why hasn't he put a stop to the current mess (and erased the masses' memories while he's at it)? Instead, the government faces further embarrassment over its prewar evidence and ministers have become embroiled in a sad scrap with the BBC. The truth is that it is nonsense that Campbell runs the world — just as it is nonsense that adding a little white lie (allegedly) about Saddam's 45-minute capacity to an already dodgy dossier could make antiwar politicians become pro-war overnight.
» The Campbell affair indicates how much British politics itself has become a war of spin. In the absence of political conviction or principles, mainstream politics has become about personality and image, with blame-shifting taking the place of debate. As elected political leaders abdicate responsibility for the war in Iraq, the “debate” about whether it was right or not has been reduced to an unsavoury spat between a spindoctor and a BBC journalist. The longer this drags on, Britain's dodgy dossiers are exposed as the product of dodgy politics. »
Nous aurions tendance à aller plus loin encore que O’Neill. Pour nous, la frustration, le dépit, etc, sont généraux et ne peuvent être limités aux seuls politiciens travaillistes. Les politiciens conservateurs, la presse de toute obédience, tous font partie du même système, et c’est bien le spin-system.
[Admirable verbe anglais dont la multitude de sens, — pour une fois, l’imprécision anglaise à cet égard est bienvenue, — est révélatrice : spin veut bien sûr dire “raconter des histoires”, “inventer une histoire”, etc ; mais il veut aussi dire, selon les emplois, et l’on découvre qu’il s’agit d’une véritable définition de tout un système qui correspond à la situation qu’on veut décrire : “fabriquer”, “tisser” et, au-delà, “tisser sa toile” ; et aussi, “jouer à pile ou face”, “filer à toute vitesse” ; et encore, “faire durer”, “délayer”, “donner de l’effet” ; et toujours, “faire tourner” (une personne dans une danse, mais aussi ... en bourrique), “pêcher à l’hameçon” (mais aussi “prendre quelqu’un à l’hameçon”) ; enfin, terme technique d'aéronautique signifiant “partir en vrille”, ce qui implique un mouvement où l’on fait défiler une même situation sous différents angles, donc différentes interprétations ; enfin (bis), termes proches avec spin dry pour “essorer” ou spindrift pour “embruns”, “poudre”, qui se rapprochent d’images caractérisant le travail du spin doctor (essorer pour faire le ménage en remplaçant une réalité par une autre, poudre ou embrun pour “jeter de la poudre aux yeux”).]
Il nous semble plutôt que cette “révolte contre Campbell” relève de la réaction psychologique générale dans la situation d’un système général de dissimulation et de transformation de la réalité (le spin-system est évidemment en parenté directe avec le virtualisme). C’est la réaction de psychologies fatiguées par des mois de tension, par la nécessité de soutenir constamment des positions où des parcelles de réalité côtoient des montages du conformisme imposé par le système, etc. L’élite politique et l’élite d’opinion au Royaume-Uni sont fatiguées et elles le sont, d’une façon plus générale, par cette obligation de soutien aux relations privilégiées avec les USA, qui implique un soutien général à une politique jugée de plus en plus absurde, dont la guerre en Irak est le fruit le plus juteux à cet égard. En l’occurrence, il y aurait indirectement un reproche fondamental adressé à Blair, derrière l’attaque contre Campbell. Le spin-system serait forcé implicitement par Blair à construire un monde, épuisant pour les psychologies, pour défendre une position qui est due en grande partie, désormais, aux propres engagements de Blair, à sa part d’utopie politique qui le fait souscrire de facto à la croisade US contre evil, avec son côté humanitaire, et parfois même à en rajouter en fait de maximalisme.
C’est une crise étrange pour ce pays qui s’est toujours targué d’un réalisme imperturbable, voire impitoyable, dans la conduite de ses affaires.