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62724 avril 2020 – Grâce à notre lecteur Dominique Larchey-Wendling (Forum de notre texte d’hier), on a pu prendre connaissance, et moi-même avec un particulier intérêt, d’un texte et d’une vidéo mis en ligne hier soir par CNN. La vidéo d’abord, parce qu’elle est très parlante : c’est l’instant où le commandant du USS Theodore Roosevelt (“T.R.”, ou “Big Stick”), le capitaine de vaisseau (Captain) Brett Crozier, quitte le porte-avions qu’il commandait, descendant la passerelle qui le conduit au quai. Une foule impressionnante est rassemblée sur le quai, sans aucun doute des marins du “TR”et d’autres de la base de Guam, et peut-être des familles, acclamant l’officier et scandant “Captain Crozier !... Captain Crozier !...”.
Dans l’esprit la scène rappelle le départ du général de Villiers, au milieu d’une haie d’honneur spontanément formée par les effectifs de son cabinet. Ainsi les gens qui ont choisi le métier des armes saluent-ils d’une façon qui n’est pas prévue par le protocole et qui est même vue d’un très mauvais œil par le règlement, surtout dans de telles circonstances, les chefs qui ont mis leur situation professionnelle en jeu pour défendre ceux qu’ils commandent contre les autorités et la bureaucratie militaire, lorsqu’ils jugent erronées et préjudiciables les décisions de ces structures dont ils dépendent...
Le Pentagone n’a pas dû goûter le spectacle, mais il fait contre mauvaise fortune bon cœur car la communication et l’affectivisme régnant dans ce monde du Système le commandent. Interviewé par le même CNN, le ministre de la Marine par intérim Modly a renouvelé les reproches faits à Crozier, – avoir fait connaître son message à 20-30 personnes et n’avoir pas suivi la voie hiérarchique, – mais a surtout parlé de l’affection liant ses marins à l’ex-commandant du porte-avions : « Je suis entièrement convaincu que votre commandant vous aime, et qu’il vous avait dans son cœur et dans son esprit dans chacune de ses décisions. Je sais aussi que vous avez également beaucoup d’affection et d’amour pour lui. » (Difficile de retenir ses larmes : peut-être renverront-ils Crozier comme aumônier-en-chef sur le “T.R.” ?)
Le texte de CNN est intéressant. Il apporte des détails inédits, et d’abord l’impression que le Pentagone, secoué par l’affaire Crozier et la popularité de l’acte de l’officier ainsi sacqué, est en plein branle-bas pour partir en guerre contre Codiv-19 et protéger la précieuse santé de ses marins, soldats et aviateurs. De ce point de vue, Crozier a bien tapé du pied dans la fourmilière. Bien entendu, cette mobilisation commence par l’habituelle mesure du Pentagone : désormais, la lutte contre Covid-19, comme toute opération stratégique de haut niveau, sera couverte par le secret. Les sottises pourront donc être faites en toute tranquillité mais pas nécessairement en toute impunité pour leurs conséquences, – en effet, jusqu’à ce que les fuites et les lanceurs d’alerte, qui pullulent autant que Covid-19, en décident autrement, – et cela ne tardera pas, comme le montre déjà l’affaire-Crozier.
Deux autres nouvelles que donne le même texte montrent effectivement que cette Grande Guerre du Pentagone versus l’épouvantable Covid-19 ne fait que commencer.
• Le texte mentionne qu’une source au Pentagone a indiqué à CNN, en tout anonymat, que le USS Ronald Reagan, porte-avions de la même classe que le “T.R.”, connaîtrait les premiers signes du même problème affectant le susdit “T.R.”
• Un groupe de sénateurs démocrates envoie une lettre, dans des termes mesurés et prudents mais tout de même transparents et empreints de fermeté, au Contrôleur Général du Pentagone Glenn Fine, pour qu’il mène « une enquête officielle sur la réaction de la Navy aux rapports concernant l'épidémie de COVID-19 à bord du USS Theodore Roosevelt et la décision de relever le capitaine de vaisseau Brett Crozier de son commandement. [...] Compte tenu des préoccupations pour la santé et la sécurité des marins à bord du USS Theodore Roosevelt, en plus du risque d'une future épidémie de COVID-19 sur d’autres navires et sous-marins, nous vous demandons instamment [d’évaluer la situation pour savoir]si la Navy met en œuvre toutes les mesures de précaution appropriées et les meilleures pratiques pour protéger la sécurité de notre flotte... »
Voilà à peu près ce que nous apprend CNN, et peut-être l’un ou l’autre lecteur s’interroge-t-il pour savoir pourquoi dedefensa.org et moi-même accordons tant de place à cette affaire alors qu’il existe tant d’autres centres d’intérêt dans cette Grande Crise d’Effondrement du Système. Cette question est justifiée, et je vais m’en expliquer aussitôt à deux niveaux, – et montrant ainsi que cet incident qu’on pourrait juger mineur a ses rapports avec la GCES.
Le premier est l’extension de l’affaire : il en faudrait peu (par exemple s’il se confirmait que le USS Ronald Reagan est également infecté) pour que la question du Covid-19 dans l’armée devienne un débat public et humanitaire, avec ce qu’il faut d’affectivisme pour rudement faire pression sur la bureaucratie du Pentagone. Si l’on commence à s’inquiéter de la santé des soldats dans cette atmosphère d’hyperpuissance de la communication, le Pentagone devra apprendre à marcher sur des œufs dans un champ de mines et devra supporter d’autres Crozier, et peut-être même décorer Crozier rétroactivement.
(Voir, pour d’autres cas et pour le climate général en dégradation au Pentagone, ce texte de Eric Felten, dans RealClear Investigations.com.)
Or, cette situation, toujours à cause de cette terrible pression de la communication, peut aller jusqu’à un point où le Pentagone peut décider de réduire ses engagements outre-mer, là où il peut très mal lutter contre le Covid-19 et trop exposer la santé de ses soldats. Et l’on sait que cette logique est en lien avec la possibilité d’un intérêt très-activiste du Pentagone pour une situation intérieure US qui se détériorerait. Cela renvoie à ce passage d’une analyse du 27 mars, où déjà le USS Theodore Roosevelt jouait son rôle, mais avec une situation qui s’est aggravée depuis, tant pour le Pentagone que pour la sécurité intérieure des USA confrontés à une terrible attaque de Covid-19.
« Ce cas met en pleine lumière ce qui se répandait déjà au gré de certaines rumeurs : le problème que Codiv-19 pose aux forces US en déploiement extérieur. Ces forces n’ont guère de soutien sanitaire dans ce domaine du déploiement extérieur, et elles sont loin des structures de défense contre la pandémie qui sont en train d’être mise en place aux USA même. C’est pourquoi nous évoquons dans le texte sur le USS Theodore Roosevelt la possibilité d’un repli des positions impérialistes US vers le sol national:
» “Ce mouvement de retrait pourrait prendre une ampleur intéressante, surtout à la lumière du cas du USS ‘Theodore Roosevelt’ et de ses effets psychologiques. L’on pourrait ainsi imaginer, à partir de cette sorte d’évacuation, la décroissance voire l’abandon des positions et de l’effort de l'impérialisme US, vaincu par l’épidémie et obligé de se retirer sur la formule isolationniste du territoire national. Il s’agirait d’une formule très originale de décadence, voire d’effondrement de la puissance”.
» Ainsi établissons-nous un rapport inverse à celui que propose Sjursen. La crise-Covid19 oblige le Pentagone à envisager un repli partiel, ou un repli important, devant la menace de voir ses structures de force paralysées par la pandémie. En même temps, ce repli partiel augmente l’intérêt des militaires pour la situation intérieure, pour les structures de luttes contre la pandémie, pour un regard toujours plus critique sur la conduite catastrophique de la caste politicienne dans cette crise. Il s’agit d’un reflux vers une sorte d’isolationnisme de “loi martiale” structurelle, une sorte d’“isolationnisme martial” suivant un “flux impérial” présentant désormais plus d’inconvénients dont certains mortels, que d’avantages. »
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