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30 mars 2008 — A Londres, on l’a assez écrit et dit, Carla fut divine. Le royal prince consort et duc d’Edimbourg, Philip, se croyait revenu au temps de sa jeunesse sémillante. Sarko? Boh… Comme l’écrit John Lichfield le 28 mars dans The Independent: «Carla was perfect. Sarko was, despite his best efforts, Sarko.» Tout est dit.
Il y a deux façons de prendre l’enthousiasme londonien pour Carla: la façon “people” (plutôt que son sous-sous-produit, la référence “bling-bling”) ou la façon de la tentation de la perspective historique. L’image qui est le plus souvent venue à l’esprit imagée des commentateurs est celle de Jackie Kennedy en visite en Europe en 1962, avec les phrases fameuses de JFK, utilisées et essorées jusqu’à plus soif, par l’auteur comme par les commentateurs («Bonjour. Je suis le type qui accompagne Jackie Kennedy en visite en Europe»… ou bien: «I am the man who accompanied Jacqueline Kennedy to Paris – and I have enjoyed it.»). Bien que la référence soit du très haut de gamme, elle reste dans la catégorie “people”, parce que Jackie Kennedy n’a jamais eu, – peut-être parce que le temps lui a tragiquement manqué, – d’influence politique sur son mari. Pour Carla, nous parlons de l’hypothèse d’une influence politique et au-delà, et alors la référence qui vient à l’esprit est beaucoup plus celle d’Evita Peron.
C’est l’idée implicite, – non, même, explicite, – développée par Kate Weinberg, dans le Sunday Telegraph, hier par conséquent.
«Eva Peron and Carla Bruni, one feels, would have enjoyed shopping together. In the musical Evita, which dramatises the short life of the glamorous First Lady of Argentina, Eva sings:
»“They need to adore me, So Christian Dior me, From my head to my toes.”
»Words that could just as easily have belonged to Carla Bruni, singing to John Galliano as she prepared the five costume changes for her 36-hour trip to London.
»Carla and Eva have more than a taste for Dior in common. As with Carla, Eva worked as a model (and actress) before she met the soon-to-be President of Argentina, Juan Peron. Peron's description of meeting her, and being captured by those “fevered eyes”, has been a charge variously dumped on Prince Philip, Prince Charles and Gordon Brown this week.
»The difference, of course, is that Eva cast herself as a powerful political figure in her own right, speaking for the descamisados (those without shirts), and highlighting her own humble beginnings to show solidarity with the masses. But that wasn't always the case. Her biographers tell how, in the early days, she sat in meetings between Peron and his advisers, absorbing what she heard. A not-so-distant echo of Carla Bruni, speaking on her State visit to Africa, who said: “For the moment, I am listening to what everyone tells me. That is how I see my role.”
»For the moment…»
D’autres comparaisons sont faites par Kate Weinberg dans le texte cité, comme Grace Kelly devenue princesse ou même Marie-Antoinette, qui ne venait pourtant pas du show-business: «When I later asked Lady Antonia [Fraser] how Carla might compare to Marie Antoinette, the glamorous queen to Louis XVI of whom she has written a critically acclaimed biography, she pointed out that the difference between them was what was most interesting. “Marie Antoinette was a private person who wasn't really in control of her image,” she said. “What I liked about Carla Bruni was that she knew exactly what she was doing. No one could put something over her. If she were dressed as a call girl, I wouldn't mind because I would know it was planned. Poor Marie Antoinette, who was married at 14, never had that chance.”»
Si l’on cite Kate Weinberg, c’est parce que l’analogie avec Evita Peron, qui est le principal dans ce texte, est la plus intéressante hypothèse qui ait été développée pour notre propos. Mais ce type de spéculation n’est certes pas isolé. La presse londonienne en a été littéralement farcie durant le voyage présidentiel à Londres. Il y a là un phénomène d’intérêt spontané qui n’est pas sans signification, entre l’inévitable “écume des jours” des commentaires à sensation et la plus profonde réalité d’un véritable problème politique.
Si l’on cite ces divers extraits et si l’on avance des considérations situées à égale distance de la rubrique “people” et d’une rubrique aux marges de la grande politique institutionnelle, c’est parce que des questions importantes de politique institutionnelle ont surgi en France à cet égard. La chute de popularité du président français de ces derniers mois est essentiellement due à une question de comportement dont les liens avec la rubrique “people”, sous-sous-rubrique “bling-bling”, sont bien connus, beaucoup plus qu’à une question politique de fond. Cela justifie qu’on s’intéresse au cas soulevé par le comportement de Carla Sarkozy-Bruni à Londres, aux commentaires qui ont été faits à cette occasion, et notamment à ce commentaire de Kate Weinberg qui un de ceux à tisser le plus nettement le lien entre la rubrique “people” et la question politique.
L’analogie d’Evita Peron est alors un cas immanquable. Outre les remarques que fait Kate Weinberg en rappelant le rôle politique fondamental d’Evita Peron, il y a aussi les analogies des deux maris. Nicolas Sarkozy s’est montré souvent aisément influencé par sa précédente femme, qui occupait des fonctions politiques effectives au ministère des finances avec son mari et qui avait son mot à dire, et un mot de poids, sur les nominations qu’effectuait son mari. Cette pratique s’est poursuivie avec les premiers mois de la présidence, qui furent les derniers du mariage. On a aussi pu constater la facilité avec laquelle le président français envisageait de confier des missions politiques à sa femme (intervention de Cécilia dans l’affaire des infirmières bulgares détenues en Libye). De ce point de vue et de ce qu’on sait, et de ce qu’on découvre encore plus du caractère de Sarkozy, on n’est pas infondé à croire qu’il existe certaines similitudes de caractère, dans le sens de la médiocrité, entre Nicolas Sarkozy et Juan Peron. (Il est assez connu que, dans le couple Peron, l’ascendant d’Evita fut considérable. La mort tragique d’un cancer d’Evita, en 1952, entraîna une rapide dégradation de la position politique de Juan, incapable d’assurer l’héritage d’un régime autoritaire marqué par l’enthousiasme populiste de sa femme, et dont la seule légitimité reposait, on s'en aperçut, sur le rôle d'Evita.)
La situation française est aujourd’hui extraordinaire, avec la question du président de la République posée non pas tant au niveau de sa politique qu’au niveau de son caractère. Ce n’est pas la première fois qu’un problème de caractère affecte un dirigeant suprême mais il s’agit d’une occurrence extraordinaire dans la mesure où ce problème de caractère est publiquement exposé et donc chaque jour rappelé, par le comportement de la personne. Le problème pèse de tout son poids comme un ferment permanent d’instabilité à une époque où les variations de l’opinion publique sont mesurées d’une façon apparemment précise, régulière, et qu’elles pèsent à leur tour d’autant plus sur la stabilité de la position du chef de l’exécutif. L’instabilité actuelle n’est pas soluble par de simples variations ou artifices politiques. Qui plus est, la démonstration est donnée chaque jour que le comportement du chef de l’Etat ne change évidemment pas la fonction et ses exigences, qui ont été “sacralisées” par la marque du général de Gaulle et qu’on ne manipule pas aisément; on dirait même que tout apprenti-manipulateur, qui l’est par évidente médiocrité de conception comme il faut avoir pour former un tel dessein, ne peut qu’aller à l’échec puisqu’il s’attaque à une institution d’une telle puissance avec de tels moyens dérisoires. L’actuel chef de l’Etat se trouve par conséquent menacé d’être de plus en plus en décalage avec sa fonction, avec les effets irrésistibles de perte d’autorité qui en résultent. C’est une sorte d’étrange duplication postmoderne et républicaine de la fameuse doctrine des “deux corps du Roi” d’Ernst Kantorowicz, le “corps terrestre” se trouvant de plus en plus détaché de l’apparat du “corps divin” et en décalage contradictoire grandissant.
C’est dans de telles conditions exceptionnelles que Carla Sarkozy-Bruni, si elle acquiert une dimension symbolique et politique dans le couple, peut jouer un rôle politique important. Si elle se transforme en une sorte d'“Evita à la française”, version postmoderne, elle peut effectivement contribuer à stabiliser la présidence par l’influence exercée sur son mari, et/ou par un rôle politique effectif. La chose est déjà arrivée à des Italiennes en France, comme la Médicis exerçant une influence prépondérante sur ses trois fils François II, Charles IX et Henri III.
Bref, nous passerions de la rubrique “people” à la rubrique politique, selon des normes surréalistes mais correspondant assez bien aux temps postmodernes. En attendant, effectivement, nous sommes entre le domaine “people” et la politique, suspendus entre une scène politique grotesque et la possibilité de modifications complètement inédites. Cette possibilité reste encore minime ou dans tous les cas incertaine, vu le nombre de variables en jeu, dont la personnalité précise de Carla Sarkozy-Bruni et l’influence de son rôle sur cette personnalité ne sont pas les moindres. Tout cela rend un son à la fois dérisoire et tragique, balançant entre l’un et l’autre, toujours selon une interprétation “maistrienne” où les êtres ne peuvent tenir un rôle que s’ils se conforment aux exigences des forces historiques en action.
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