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354610 novembre 2014 – Certes, nous proscrivons absolument toute prospective dans une époque métahistorique où des forces incontrôlées font sentir tout leur poids et toutes leurs dynamiques, dans un sens qui leur est propre, tout cela hors de toute capacité humaine de les identifier, de les mesurer et, par conséquent, d'en apprécier les conséquences. Nous pouvons par contre observer et mesurer des circonstances nouvelles qui installent ce que nous appelons des “vérités de situation”, – c’est-à-dire des situations qui, en un instant où elles apparaissent et pour l’instant où elles sont signifiantes, nous disent une vérité fondamentale.
La surprise pourrait être en ceci que ce grave et complexe préambule s’applique effectivement à une “situation” que nous avons déjà traitée, et cela dans la plus complète dérision. (Voir le 5 novembre 2014.) Mais surprise et dérision ne signifient pas nécessairement erreur, démarche faussaire, etc. Une “situation” de cette importance (la situation politique formelle du Congrès des États-Unis) peut évidemment être appréhendée selon divers points de vue, tous aussi valables et aussi importants les uns que les autres. Pour cette raison, les élections US décrites comme une sorte de désert ossifiée de la prétention démocratique, de l’impuissance, de la paralysie et de l’hybris irresponsable, peuvent également être décrites comme productrices d’une situation complètement explosive, d’une dynamique dévastatrice. Cela correspond parfaitement aux convulsions et aux complexités des évolutions d’un sujet ou d’une situation de l’asservissement au Système à la fonction souvent temporaire de l’antiSystème, de la surpuissance à l’autodestruction avec des stades intermédiaires qui font qu’on passe de l’une à l’autre fonction sans activer rien de décisif, – jusqu’à ce “point Oméga” fondamental (image proposée à dessein) où, soudain, tout devient décisif... La question se pose, aujourd’hui, avec le nouveau Congrès des Etats-Unis issue des élections mid-term.
La complexité de la chose se trouve dans ce qu’il n’y a plus aucune correspondance entre le vote et le résultat du vote, entre la volonté des électeurs et ceux qu’ils élisent, entre les intentions des élus et leurs actes législatifs, entre leurs actes législatifs et les effets de ces actes législatifs. Cette démocratie ossifiée, impuissante et paralysée, ombre et carcasse sinistres de ce qui prétendit être ce «gouvernement aussi parfait que la raison humaine peut le concevoir» dont Germaine de Staël parlait à Jefferson, est aussi et fort logiquement une démocratie absolument dissoute, un régime politique absolument déstructurée où les notions de rapports de cause à effet n’existent plus, où l’intérêt national est mesuré par chacun à l’aune des verres horriblement déformants des centres d’intérêt privés dont il dépend et de la pathologie de la psychologie qu’il subit.
Cet état de la situation américaniste s’est affirmé lors des élections du 4 novembre parce que ces élections ont montré qu’une étape avait été franchie. L’époque des agitations enregistrées entre 2007 et 2012, autour des possibilités d’une accession dans les rouages du Système d’un courant réformiste à tendance antiSystème est close. C’est ce que nous constations le 5 novembre 2014, – actant l’échec d’une dynamique politique (principalement représentée par un Ron Paul) mais en confirmant le travail antiSystème effectif de cet effort qui a largement accentué le processus d’ossification du Système, avec la démonstration que le Système est irréformable et que le seul objectif concevable est sa destruction totale :
«Les “mid-term” ne sont donc plus ce qu’elles étaient, ni ce qu’elles furent pendant quelques années fiévreuses, de 2007 à 2012, lorsque se pressaient des forces nouvelles, qu’elles fussent celles du “Tea Party” ou celles d’une frange progressiste du parti démocrate. [...] L’apathie a donc même gagné les “forces vives” qui existaient encore au sein du corps politiques, ou tentaient de s’y faire une place pour éventuellement chercher à y susciter des réformes. Cela signifie moins une opération de récupération par un Système placé au centre du jeu et assez dynamique pour cette opération de récupération, qu’un état d’ossification, bien au-delà de la gangrène-qui-pue (ce qui disqualifie finalement comme trop modéré le “il y a quelque chose de pourri”), de toutes les structures politiques, sécuritaires, corruptrices, etc., du système de l’américanisme qui est, dans son évolution, directement alimenté par le Système lui-même.»
L’effet de cette évolution a été le retour en force de la tendance-Système des partis traditionnels expurgés des manifestations de leurs éléments contestataires selon le constat que la contestation interne est devenue inutile et improductive. Ce n’est pas pour autant une “victoire” du Système dans le sens d’une régénération du Système, comme on le voit, mais au contraire une évolution supplémentaire de son autodestruction. Le résultat est remarquable et pouvait déjà être distingué dans la polarisation des arguments officiels autour des questions polémiques de politique extérieure (notamment la “guerre” contre ISIS/EI/Daesh). A côté de l’habituelle paralysie/impuissance renforcées du président Obama, à côté des habituelles promesses de coopération de la nouvelle majorité républicaine avec le président que ce parti poursuit de sa haine depuis 2008, le résultat est un regroupement massif de ces mêmes républicains dans une rhétorique belliciste extrémiste dont le symbole est, par exemple mais exemple inévitable, le sénateur John McCain. Sur ce point, l’opposition de la minorité démocrate à cette tendance est promise à être négligeable ; en effet, les démocrates l’ont eux-mêmes cultivée, cette tendance qu’on juge en général impérialiste et expansionniste, et que nous qualifions pour notre part de complètement nihiliste et à finalité autodestructrice selon une complète identification à la politique-Système.
• Le constat de cet aspect fondamental des élections mid-term s’est très vite retrouvé dans les principaux sites antiSystème dont l’expérience dans la lutte contre ce qu’il est convenu de nommer “the War Party” est très grande. On en trouve une illustration dans l’analyse ramassée de Jason Ditz, de Antiwar.com, le 7 novembre 2014, – avec, effectivement, John McCain comme symbole de ce changement du centre de gravité opérationnel du Congrès...
«Tuesday’s victory in the Senate for Republicans is set to usher in a new cast of rogues and villains who, following the example of long-time hawks like Sen. John McCain (R – AZ), never saw a war they didn’t not only like, but wanted to precipitously escalate. A party shift in Congress isn’t so unusual, but the shift this time is bringing in a lot of newcomers who are outspoken in their love of military interventionism, and have not been shy in talking about their ambitions to force America down an even more disastrously warlike path than the one they are already on.
»They don’t even take office for two months, but they’re already holding secret meetings, with the usual suspects like McCain and Sen. Bob Corker (R – TN) preparing for a transition from the loudmouth pro war fringe to the leaders of very powerful Senate committees. McCain confirmed such meetings, saying there have been considerable discussions on plans to start sending arms to the Ukrainian government, hoping to get that (currently ceasefired) civil war going again, with similar eyes on further damaging already soured US relations with both China and Russia.
»For years, McCain’s nigh-apocalyptic pronouncements about the need to start or escalate wars in every corner of the globe have been taken with a grain of salt. The man had a soap box, but no real political power. Now, he’s the incoming Armed Services Committee Chairman, and the leader of a disturbingly large crew of like-minded super-hawks hoping to move from speeches to action...»
• La position d’Obama est semblable à celle d’un boxeur enfermé dans un coin plutôt que celle d’un boxeur KO ; il est privé de sa capacité de manœuvre mais nullement hors de combat (KO) puisqu’il n’a jamais été vraiment au combat. L’organisation de la présidence autant que les tendances-Système naturelles renforcent encore cette position en situant Obama comme complètement enfermé dans une “bulle” qui le prive de contacts avec la réalité pour se concentrer sur sa perception, comme l’exprime avec inquiétude Harlan K. Ullman (sur UPI, le 5 novembre 2014) : «Complicating corrective action is the impression that Mr. Obama is in over his head and is unable or unwilling to burst the protective bubble around him provided by his long-term friends and closest political advisors.» Cette position d’enfermement et de rupture avec la réalité n’empêche évidemment pas Obama de disposer encore de pouvoirs, et certains signes ont montré qu’il les utiliserait en affrontant le Congrès là où il peut, moins dans un souci d’efficacité que dans un souci d’affirmation de son autorité, sinon de son existence. (Voir RT le 5 novembre 2014, FreeBacon.com le 7 novembre 2014.)
• Avec ces constats de la mise en place d’un Congrès complètement belliciste et nihiliste, et en présence d’un président encore plus diminué après avoir montré tant de marques de faiblesse politique au travers d’un caractère extrêmement incertain et temporisateur, il apparaît évident que nous nous dirigeons très rapidement vers une situation de prédominance de ce même Congrès. Cette prédominance ne devrait pas s’exercer au niveau des affaires intérieures, où la division, la paralysie et l’impuissance devraient continuer à dominer à cause des divisions chez les républicains eux-mêmes, de la résistance et de l’obstruction du parti démocrate beaucoup plus fortes et efficaces dans ce domaine, des capacités de blocage du président permettant un certain activisme de sa part (notamment son droit de veto et certains aspects de son pouvoir exécutif). C’est donc le domaine de la politique extérieure qui devrait réunir une majorité solide, cette fois avec un parti démocrate éventuellement prêt à ne pas s’y opposer, sinon à la soutenir en partie. Il s’agirait alors d’un programme belliciste et agressif dont on a déjà vu tant d’exemples, qui serait radicalisé sans la possibilité de freins efficaces, et qui s’exercerait dans la plus compète irresponsabilité.
• C’est par exemple la conclusion de deux commentateurs de la presse antiSystème, dont le domaine de prédilection est effectivement la politique de sécurité nationale, et essentiellement la politique-Système suivie de plus en plus brutalement et sans la moindre dissimulation depuis 2001, et plus encore depuis 2007-2008. On observera combien leurs conclusions sont similaires, jusqu’à nommer le seul homme qui pourrait tenter quelque chose contre cette tendance, – et contre cette tendance qui nous promet la guerre, – le sénateur Rand Paul, sans qu’aucun des deux commentateurs n’y mettent beaucoup d’espoir. Cette communauté d’analyse reflète l’évidence de la situation, réduite à une simple alternative dont l’un des termes est mentionné essentiellement pour lui dénier la moindre efficacité...
Voici donc les deux commentateurs, avec, en souligné de gras, les phrases de conclusions qui ont le même écho dramatique.... Justin Raimondo, le 7 novembre 2014, sur Antiwar.com : «Who will stand against the War Party when it comes to the question of World War III in the Middle East? Sen. Paul – who’s spent the last few months kissing up to the Israel lobby? I’d like to believe it’s likely, or even a real possibility – but, like the Senator, I’m a realist, so I’m just going to sit back, chill out, and watch the drama unfold.»... Et Wayne Madsen, le 8 novembre 2014, sur Strategic-Culture.org : «Americans have voted to install a war party in control of the legislative branch of their government. They will have war unless the generally anti-neocon Senator Rand Paul of Kentucky can prevail on Senate Majority Leader Mitch McConnell to reign in the neocons. Paul came to McConnell's assistance during his primary challenge by a Tea Party candidate and McConnell owes Paul a huge political debt. However, as Paul ratchets up his 2016 presidential campaign, there is every likelihood that the junior senator from Kentucky will start to waddle and quack like a “neocon-lite” duck. In that event, a multi-front war is inevitable.»
• Pour fixer les enjeux, ou plutôt les rappeler, on citera Noam Chomsky, interviewé par RT. Il met en évidence le danger de guerre nucléaire entre les USA et la Russie, notamment et essentiellement sur la question ukrainienne et la dégradation des rapports entre les deux pays qui s’ensuit, et en introduisant des considérations collatérales qui mettent bien le problème dans son contexte (le 7 novembre 2014)...
«The world has come ominously close to a nuclear war in the past and it could happen again as Russia and the West have slipped back into what seems like another Cold War, world-renowned scholar Noam Chomsky tells RT’s Sophie & Co. Once NATO has expanded its borders all the way to reach Russia, its mission has very much changed since it was initially established, Chomsky said. Now, its aim is to take control of global energy systems rather than maintaining intergovernmental military balance.
»The world has never been closer to a nuclear war that could wipe out all of its initiators, and the threat is no longer a thing of history, according to Chomsky. “The worst-case scenario, of course, would be a nuclear war, which would be terrible. Both states that initiate it will be wiped out by the consequences. That’s the worst-case. And it’s come ominously close several times in the past, dramatically close. And it could happen again, but not planned, but just by the accidental interactions that take place – that has almost happened,” Chomsky told Sophie Shevardnadze.
»The overall situation of international instability was worsened by US involvement in the Middle Eastern affairs and damaging regional conflicts, Chomsky says, comparing its actions in Iraq to a hit with a “sledgehammer.”»
• Pourtant, – et c’est un “pourtant” de taille, – le vote du 4 novembre ne signifie en rien, en aucun sens, que les votants, – qui n’ont représenté entre les abstentions, les non-inscrits, etc., que 39,4% des citoyens US en âge de voter, – éprouvent de quelque façon que ce soit des intentions bellicistes ni belliqueuses, notamment et précisément à l’encontre de la Russie et de la Chine pour citer le plus grand axe d’affrontement. Raimondo développe ce point dans sa chronique, montrant que les votes pour les républicains étaient essentiellement des votes de mécontentement de la situation intérieure, de révolte critique contre les élites-Système, – idée retrouvée dans le chiffre de 39,4% cité plus haut. John Helmer, le plus ancien correspondant occidental en poste à Moscou, développe largement ce thème sur son site Dances with the Bears, repris par Russia Insider le 8 novembre 2014 :
«...[E]xit polls are reporting the overwhelming majority of American voters to have ignored Ukraine and Russia at this week’s midterm Congressional elections, telling the winning candidates and the pollsters they have no appetite for confrontation with the Kremlin.That also means no mandate from US voters for the new Congress to spend cash in Kiev to save Ukrainians from the cold weather and the economy ruined by civil war. For most Americans, according to the polls, the cold and failing economy they are afraid of are at home. The second meaning of the US election result is that the US presidential campaign, which starts up immediately, can’t promise anything better for the Ukrainian war party or the Russian regime-changers... [...]
»One of the only think-tank analyses of American voter sentiment towards a range of foreign security threats comes from the Pew Research Center in Washington, DC. Its money was originally from the Sun Oil Company. From dividends and capital gains, the Pew family endowed the eponymous trust which pays for the think-tank. That in turn supports research of mixed quality, including a brush with Russian policy towards the Antarctic toothfish and the London Guardian’s Russophobia. Here is Pew’s comparison of its most recent poll of US voter sentiment in August 2014, compared to November 2013:
»“After months of confrontation with Russia over its actions in Ukraine, the share of Americans who view the Kremlin with concern has risen, but only modestly. About a quarter (26%) saw Russia as an adversary and another 49% as a serious problem, but not as an adversary, in a July survey. Those figures were little changed from our March poll, after Russia annexed Crimea. A survey in April again illustrated the public’s caution on involvement: 53% favored the use of increased economic and diplomatic sanctions against Russia, but 62% opposed sending arms or military supplies to the Ukrainian government.”“ISIS is now on the American public’s radar as a top threat. Islamic extremist groups like al Qaeda have been at the top of the list for years in our surveys of what the public sees as major global threats to the U.S. About seven-in-ten (71%) Americans held that view in our latest poll, while 67% of Americans say that a major threat is ISIS, which a year ago was not even on the radar. The only other threats that have ranked as high as these two since 2009, at different points in time, have been North Korea’s nuclear program, Iran’s nuclear program, cyber attacks from other countries and the Taliban’s growing strength in Afghanistan.”»
Avec ce vote des mid-term, la situation washingtonienne- pourrait finalement être définie comme s’étant radicalement simplifiée vers l’extrémisme et transformée en un état de radicalité et d’extrémisme complets, sinon absolus. Littéralement, cette position s’est “verrouillée” selon des positions radicales et extrêmes. Les acteurs principaux du pouvoir washingtonien sont effectivement enfermés dans des positions figées où s’expriment et ne peuvent s’exprimer, si l’on veut encore exister, que l’extrémisme et la radicalité. Bien entendu, dans le contexte qu’on connaît, ces “positions figées” sont antagonistes et d’une façon générale complètement “en désordre”, sans rapport de coordination entre elles. Cela conduit à interpréter ce radicalisme et cet extrémisme comme l’expression d’une politique nihiliste totale exprimant parfaitement le constant basculement de la dynamique du Système de la surpuissance vers l’autodestruction. La pratique de ces dernières années, avec la manufacture d’une politique qui n’est que le reflet des pressions du Système, – donc parfaite expression d’une politique-Système, – s’est traduite par un état d’esprit général de complète irresponsabilité ; l’opérationnalisation de cette irresponsabilité, à la lumière de la quasi-contrainte de radicalisation extrémiste, est plus un hyper-désordre de surenchères qui peut très bien basculer brusquement, lors des paroxysmes de crise, dans des directions inattendues.
Le Congrès, en position dominante, s’est particulièrement distingué dans la matière de l’irresponsabilité. Un corps législatif est effectivement très vulnérable à l’irresponsabilité, par définition, et c’est ainsi que le Congrès a évolué, selon une marche radicale et extrémiste depuis la fin de la Guerre froide et surtout depuis le 11 septembre 2001. Sa situation est désormais simplifiée en une sorte d’oxymore orwellien et catastrophique : les mid-term lui donnent les plus grandes responsabilité possibles, notamment dans la matière d’une politique étrangère réduite à des mesures de coercitions qui le concernent directement (politique des sanctions, actions de communication, livraisons d’armes, etc.), et il les exercera dans la plus grande irresponsabilité possible. Encore une fois, un John McCain est le stéréotype de cette situation, sinon l’archétype du domaine : activiste extrémiste, vide de toute conception stratégique et politique, absolument inculte, croyant absolu dans les vertus de la force et dans la narrative démocratique du Système. On ne le désignerait pas comme une sorte de “président-bis” mais comme une sorte d’“anti-président” avec une capacité de nuisance extrême dans le maniement de toutes les forces de subversion d’un système de l’américanisme complètement éclaté, passé d’une autorité politique responsable à une autorité-Système méprisant complètement toute responsabilité politique.
Cet activisme extrémiste dans le domaine extérieur n’est pas, à première vue, celui où Obama pourrait exercer le plus les capacités de blocage qui lui restent. Même s’il reste quelque illusion sur des tendances “modérées” qu’il pourrait manifester, le plus probable est son acquiescement dans une orientation du Congrès où il pourrait encore trouver quelques débris de gloriole. Il s’agit d’une réaction classique du type “embrasser ce que tu ne peux étouffer”, satisfaisant sa vanité évidente, assortie d’un piètre hybris marquant sa parfaite assimilation américaniste, – puisqu’effectivement Obama en est aujourd’hui réduit à cette sorte de définition rassemblant les débris d’une personnalité que l’on pouvait juger brillante et qui n’a servi à rien. Comme l’écrit Jason Ditz dans le texte déjà cité : «The biggest risk here is that while President Obama has long prided himself on ignoring Congress at every opportunity, his commitment to the current level of escalation is paper-thin, and he’s likely not to take much cajoling to agree to escalate on assorted fronts.»
Il est logique de penser que ces sombres perspectives de l’activisme belliciste du Congrès s’exercent surtout vers le grand axe d’affrontement qu’est l’Ukraine et la Russie. Encore une fois, McCain est parfaitement représentatif, avec sa stupidité qui atteint presque l’absolu de ce que nous nommons le “point Oméga inverti” (on en verra plus là-dessus, plus loin). Allant à tous les foyers de conflit pour les attiser, on l’a vu dans l’affaire syrienne se compromettre par inadvertance et ignorance, et au gré des soutiens multilatéraux des USA pour toutes les forces déstructurantes, avec des islamistes qu’on retrouve aujourd’hui du côté de ISIS/EI/Daesh. Cela se passait dans l’hyper-désordre de l’“Orient compliqué” qui ne l’a sans doute jamais été autant grâce à la subversion folle de l’américanisme ; cette complexité qui demande de la subtilité pour se découvrir pour ce qu’elle est, tend à décourager la psychologie américaniste qui s’attarde rarement à la subtilité. Par contre, l’axe Ukraine-Russie présente, pour cet esprit vide (McCain, toujours lui), les avantages d’un remake de la Guerre froide et de la “panique anticommuniste” qui a marqué la vie intérieure foisonnante des USA tout au long du XXème siècle. Il y est poussé par une organisation lobbyiste, d’influence, etc., à orientation antirusse radicale qui est en train d’acquérir une puissance également radicale. On y retrouve les usual suspects, les Soros & Cie, avec l’apparition d’un nouveau leader d’influence, Anne Applebaum (épouse de l’ancien ministre des affaires étrangères polonais Sikorski) et son organisation autour du think tank d’influence, le Legatum Institute (voir Patrick Armstrong sur Russia Insider, le 7 novembre 2014)... (Une dame chasse l’autre, quant au leadership de l’entreprise où le pion devient reine : Applebaum plus activiste que Nuland ? On reste dans le même capharnaüm.)
Bien évidemment, cette orientation belliciste est favorisée par la hauteur prodigieuse des enjeux, – notamment la suprématie du dollar directement mise en cause, – et l’attitude décisive adoptée par la Russie, entraînant les BRICS derrière elle. C’est bien là que se situe un point de rupture catastrophique, là où la situation demanderait une diplomatie subtile et ouverte au compromis et où l’on va voir évoluer, complètement déchaîné et débridé, un taureau (bull) au front bas et à la puissance incontrôlée. (L’image concerne parfaitement McCain, toujours lui, quoique c’est peut-être montrer bien peu d’attention et de reconnaissance pour la noblesse de l’animal que de faire cette comparaison... Là est bien le nœud de l’affaire : nous sommes en plein au cœur du royaume des imbéciles quasiment par profession dogmatique et par fatalité de transmutation, où trône John McCain...)
... Donc, situation simple, et perspective irrémédiable ? Mais cette simplicité des situations et des opinions dont le radicalisme absolu doit tant à un “affectivisme” (*) contre lequel la raison elle-même subvertie ne peut rien ni ne veut rien pouvoir, ne doit pas dissimuler des complications, voire des contradictions internes qui ne seraient, ou plutôt ne seront pas sans conséquences. Prenons une fois de plus McCain, notre tête de turc. Son maximalisme belliciste absolu devrait en faire le chouchou du complexe militaro-industriel, autre force puissante qui fait peser sa formidable influence ; eh bien, ce n’est pas le cas. Les complications vertueuses de son esprit simpliste font que McCain, lorsqu’il présidera la Commission des Forces Armées au Sénat à partir du 1er janvier 2015, devrait se montrer un critique harassant des innombrables gaspillages, erreurs, entourloupettes, etc., autant des industriels que des militaires. (On a déjà vu comment l’inénarrable McCain pouvait devenir antiSystème par simple mécanisme évolutif des positions et être décrit alors, par nos soins, en termes presque attendris [voir le 23 mai 2011] ; cette attitude est, aujourd’hui, confirmée dans sa mécanique par les sources-Système les plus respectables.) Un tel antagonisme, dans des situations de tension extrême marquées par des propositions maximalistes et un désordre complet de l’autorité, peut amener à des positions inattendues, – notamment chez les militaires, qui ne goûtent pas toujours le bellicisme débridé des parlementaires irresponsables.
Un autre facteur important s’impose de lui-même, à la lecture des diverses pièces du dossier. Si le maximalisme belliciste d’un Congrès devenu instrument favori du Système pour opérationnaliser la politique-Système trouve son miel essentiellement dans la pureté de l’axe Ukraine-Russie plutôt que dans la complication de l'Orient, il se heurte à la complète indifférence qu’on a vue du citoyen pour cette perspective, qui touche souvent jusqu’à l’incapacité de situer l’Ukraine sur une carte géographique. Même si le citoyen ne compte pas en temps normal, même s’il est grugé, roulé dans la farine de son indifférence qui se transforme en impuissance, les périodes de tension brutale que peut ménager cette situation le font parfois sortir de ses gonds, – ou du moins le monde politique a-t-il cette perception. Là aussi joue cet “affectivisme” déjà mentionné, cette fois à front renversé. On l’a vu en août-septembre 2013, où une brutale affirmation de l’opinion publique, – dans tous les cas dans son interprétation par le système de la communication, – a fait complètement dérailler la mécanique qui menait à une intervention contre la Syrie. C’est alors qu’il est apparu que le Congrès, poursuivant dans le registre de l’irresponsabilité, allait lui-même se retourner et mettre le président qui représentait alors le parti de la guerre dans une position très difficile, en se prononçant éventuellement contre cette intervention. Bref, le cas limpide et joyeux de l’attaque contre le Syrie s’était abîmé dans une soudaine crise intérieure, crise du pouvoir impuissant et irresponsable, crise d’une opinion publique brusquement réveillée sinon représentée par le système de la communication, – tout cela sauvé in extremis, ironie des ironies, par Poutine lui-même...
Il s’agit, on le comprend, de constats plus que de supputations, montrant que la situation washingtonienne est devenue brusquement, non seulement “encore plus” radicale et belliciste qu’elle n’était, mais d’une certaine façon totalement radicale et belliciste ; mais elle est aussi devenue, plus qu’“encore plus”, totalement incertaine, incontrôlable, insaisissable. Cette situation ne résulte pas d’un complot, elle n’est bien entendu pas une “technique” de gouvernement ; elle est plus simplement le produit catastrophique d’une descente dans l’effondrement. Elle se place dans un ensemble d’événements qui sont autant d’indications de la pression terrible que les circonstances diverses nées du Système font peser sur le Système lui-même. C’est alors que nous approchons d’un nouveau paroxysme, ou, pour utiliser un concept déjà proposé il y a deux ans, un nouveau “point Oméga inverti”. Nous avions utilisé cette expression le 12 novembre 2012, pour définir une série d’événements affectant Washington à l’occasion de la crise de Benghazi (assassinat de l’ambassadeur des USA Stevens, en septembre 2012). Nous prolongerons ce commentaire sur les événements qui se mettent en place à Washington après les mid-term, par une réflexion autour de ce concept de “point Oméga inverti” adapté aux circonstances présentes de Washington.
(*) Revenant très récemment sur ce texte du 11 mai 2012, un de nos lecteurs, monsieur Michel Donceel, a proposé fort justement (Voir le Forum du même texte) ce terme d’“affectivisme” plutôt que le terme d’“affectivité” que nous employions. Il a parfaitement raison, selon une perspective qui, à notre sens, mériterait un débat. Nous le remercions de sa suggestion, ainsi bien entendu que son amie de laquelle vient au premier chef cette proposition.
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