«Ce n’est pas le Scott que nous connaissions…»

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En effet, qu’est devenu le brave vieux (très jeune d’ailleurs) Scott McClellan, qui fut porte-parole de la Maison Blanche de 2001 à 2006 avec l’équipe GW Bush? (Dès 1999, McClellan faisait partie de l’équipe GW, — un vieux de la vieille.) Le commentaire général qu’on entend ici et là, des divers lambeaux de ce qui reste de l’administration GW Bush, est bien dans cette phrase de l’actuelle porte-parole de GW, Dana Perino: “This is not the Scott we knew.” («Scott, we now know, is disgruntled about his experience in the White House. For those of us who fully supported him before, during and after his time as press secretary, this is puzzling and sad. This is not the Scott we knew.»)

En cause, comme chacun ne cesse de la répéter depuis deux jours à Washington, le livre de Scott McClellan, What Happened: Inside the Bush White House and Washington's Culture of Deception. Une peinture réaliste, donc formidable, d’un gouvernement fondé uniquement sur le mensonge, la manipulation, la déformation, la dissimulation, – bref, tous les ingrédients de mauvais réputation d'un virtualisme qu'on croirait parfois presque angélique, puisque tout cela est dominé par une vertueuse et entêtée bonne conscience, sinon une croyance sincère... (Y compris McClellan, après tout, lorsqu’il dit ceci, lorsqu’on comprend qu’il disait sincèrement des choses mensongères: «I spent countless hours defending the Administration from the podium in the White House briefing room. Although the things I said then were sincere, I have since come to realise that some of them were badly misguided.»)

Associated Press (SFGate.com) fait, le 28 mai, un compte-rendu de cette description d’un gouvernement en constante campagne de dissimulation et de manipulation («Exposing Washington's spinning permanent campaign»).

«Instead of effective government, Americans were subjected to a “permanent campaign” that was “all about manipulating sources of public opinion to the president's advantage,” McClellan writes in a book stunning for its harsh criticism of Bush. “Presidential initiatives from health care programs to foreign invasions are regularly devised, named, timed and launched with one eye (or both eyes) on the electoral calendar.”»

L’analyse d’AP s’attarde surtout à la technique du contrôle de la réalité puis de sa déformation, de sa distorsion, pour en faire une réalité plus conforme à ce qui se disait, ce qui se pensait, ce qui se croyait à l’intérieur de l’administration GW et à l’entour. La dernière phrase (“It starts at the top”) montre bien que tout le monde est soumis à la discipline de fer du virtualisme.

«Each day, underscoring the daily blend of politics and government, Bush and his administration make an extraordinary effort to control information and make sure the White House message is spread across the government and beyond. The line for officials to follow is set at early-morning senior staff meetings at the White House, then transmitted in e-mails, conference calls, faxes and meetings. The loop extends to Capitol Hill where lawmakers get the administration talking points. So do friendly interest groups and others.

»The aim is to get them all to say the same thing, unwavering from the administration line. Other administrations have tried to do the same thing, but none has been as disciplined as the Bush White House. It starts at the top.»

De son côté, le site WSWS.org, dans un article mis en ligne aujourd’hui, a pris notamment comme objectif le comportement des médias US, notamment libéraux, tel que le décrit McClellan. Là non plus, la chose n’est pas triste.

«Even more telling, particularly coming from an official who was in charge of dealing with the press, is McClellan’s harsh indictment of the American media as a servile and willing accomplice in this process.

»“If anything, the national press corps was probably too deferential to the White House and to the administration in regard to the most important decision facing the nation during my years in Washington, the choice over whether to go to war in Iraq,” he writes. “The collapse of the administration’s rationales for war, which became apparent months after our invasion, should never have come as such a surprise. ... In this case, the ‘liberal media’ didn’t live up to its reputation. If it had, the country would have been better served.”

»Significantly, in their main articles on McClellan’s book, neither the New York Times nor the Washington Post, which together played the most influential roles in selling the war, chose to quote this passage.

»Elsewhere, McClellan describes the press as “complicit enablers” in the White House’s “carefully orchestrated campaign to shape and manipulate sources of public approval” in the drive to war. It was guilty, he says, of “spreading distortions, half-truths, and occasionally outright lies.”»

WSWS.org commence son texte par cette introduction: «In a stunning blow to what very little remains of the Bush administration’s political credibility…» C’est vrai, il restait “fort peu de chose” de ce lointain phénomène qu’on nommait “la crédibilité politique de l’administration GW Bush”; mais voilà que l’on est tout de même secoué par les révélations de McClellan, et l’administration GW avec nous, signe qu’il ne faut jamais baisser les bras.

Non, il s’agit de considérer ce phénomène avec des yeux débarrassés de toute référence dans ce domaine; car il n’y en a pas, et le domaine est effectivement nouveau, complètement vierge, du fait de sa puissance et, d'une certaine façon, de son ingénuité dans la manufacture faussaire… McClellan confirme s'il en était besoin, à partir d’une expérience privilégiée, que le gouvernement des USA se trouve, aujourd’hui, comme il s’est trouvé pendant au moins six ans, fonctionnant dans un univers sans lien avec la réalité. Tout le monde a suivi, relayé, opiné, cru avec autant de zèle, etc., – la presse US, certes, l’opinion US également, mais aussi combien de gouvernements étrangers, de personnalités, d'experts, d’intellectuels? (Ils y croient toujours un peu d'ailleurs.) Décidément, nous ne verrions pas dans cette situation générale un vaste complot mais l’effet d’une convergence de pressions, de moyens très puissants de communication, d’une complicité générale des psychologies s’inclinant devant une consigne conformiste engendrée par la mécanique du système.

L’aventure virtualiste du gouvernement Bush se perpétue aujourd’hui, à un autre niveau mais dans la même sphère conformiste, dans la résistance du système, relayée dans tous les domaines des élites et des institutions nationales et internationales, à l’évidence de la crise systémique globale de ce même système. Tout cela se fait dans le désordre général qui permet aux uns et aux autres d’évoluer dans un étrange état dualiste de la psychologie, – la révérence au conformisme terroriste et, à côté de cela, dans des instants d’inattention, la vague conscience ou parfois la conscience aiguisée qu’il se passe quelque chose de grave. Nous en rencontrons, de ces fonctionnaires modèles qui égrènent leur catéchisme conformisme de croyance dans le système, puis qui laissent échapper une phrase où le doute angoissé se fait jour, presque par inadvertance. Parfois, l’un ou l’autre s’échappe un peu comme on s'évade, pour des raisons diverses où les circonstances jouent leur rôle, où la vénalité peut côtoyer la simple révolte de la conscience, et cela nous donne un McClellan. Inutile de l’applaudir ou de le maudire; il fait partie de cette tragédie extraordinaire d’une civilisation déchirée entre un rêve maintenu dans un étrange état de survie artificielle, jusqu’au bout, jusqu’on ne sait où ni pourquoi, et la réalité d’un destin terrible.


Mis en ligne le 29 mai 2008 à 11H48