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813Achevons la phrase : “…qu’on ne peut pas le critiquer”. De qui s’agit-il ? Du président Barack Obama. Et qui tient ce langage qu’on pourrait juger évidemment raciste ? Un autre black, bien entendu… «It's not personal. They're attacking his policies, or lack thereof, with regard to this gigantic unemployment problem among African-Americans. If we can't criticize a black president, then it's all over.»
Le mot est pourtant d’un Africain Américain de la meilleure composition qui soit. Le président du Congressional Black Caucus, le député démocrate Emanuel Cleaver, tient un poste important au Congrès, surtout dans une période où le président est Africain Américain, et il a été placé là où il se trouve à cause de ses “qualités” de modération et de loyauté à l’égard du président en place. Il reconnaît abruptement que, s’il y avait encore Bill Clinton à la Maison-Blanche, plutôt que Barack Obama, les Africains Américains marcheraient sur la Maison-Blanche.
RAW Story nous rapporte, ce 18 septembre 2011, ces signes du malaise des dirigeants noirs, parmi lesquels Cleaver est de loin l’un des plus modérés.
«The Congressional Black Caucus is growing increasingly frustrated with a black unemployment rate of nearly 17% – almost twice the national average. Even the group's chairman, Rep. Emanuel Cleaver (D-MO), believes they'd already be leading a march on Washington if not for a desire to avoid weakening President Obama.
»“If Bill Clinton had been in the White House and had failed to address this problem, we probably would be marching on the White House,” Cleaver told McClatchy Newspapers for an article published on Sunday. “There is a less-volatile reaction in the CBC because nobody wants to do anything that would empower the people who hate the president.” […]
»Cleaver, a Methodist minister who founded a Civility Caucus some years back, is known for his non-combative style and strong party loyalty. He recently told the National Journal, “I am convinced, irreversibly, that the lack of civility is causing most of the problems we have in our government. We’ve gotten to the point now where Republicans and Democrats have nothing in common besides being members of the ‘caustic caucus,’ and we can’t get anything done.”»
Un autre écho nous vient d’un Africain Américain beaucoup moins modéré que Cleaver, et dont les propos sont à mesure. Pour le révérend Jeremiah Wright, Barack Obama ne peut être décrit que come un traître ; il a trahi tout ce qui lui était cher et nécessaire, sa force morale, ses engagements les plus sacrés ; Barack Obama, enfin, s’est trahi lui-même, il est une sorte d’apostat par rapport à tout ce qu’il y eut de plus essentiel dans sa vie. Chris Hedges, cet ancien journaliste du New York Times qui obtint le Prix Pulitzer et qui fait partie désormais de la dissidence affichée aux USA, a rencontré Wright, le révérend furieux. Obama a rompu avec Wright en 2008 parce qu’il n’apparaissait manifestement pas convenable d’entretenir de telles relations alors que le candidat BHO préparait son entrée pompeuse dans le cœur de l’establishment du Système. Les accents de cet entretien sont effectivement religieux, et l’ensemble mérite la lecture tant ces accents religieux sont d’abord ceux de la colère, une colère dont le fondement dépasse très largement les querelles religieuses et témoigne évidemment de la misère et du malheur dont sont accablées une communauté, une population, une époque dans son entièreté. Obama, dit le révérend Wright, a perdu la Grâce en perdant son âme… («Jeremiah Wright Recalls Obama’s Fall From Grace», sur Truthdig.org, le 19 septembre 2011.)
«Barack Obama’s politically expedient decision to betray and abandon his pastor, the Rev. Jeremiah Wright, exposed his cowardice and moral bankruptcy. In that moment, playing the part of Judas, he surrendered the last shreds of his integrity. He became nothing more than a pawn of power, or as Cornel West says, “a black mascot for Wall Street.” Obama, once the glitter of power fades, will have to grapple with the fact that he was a traitor not only to his pastor, the man who married him and Michelle, who baptized his children and who kept him spiritually and morally grounded, but to himself. Wright retains what is most precious in life and what Obama has squandered—his soul. […]
»“President Obama was selected before he was elected,” Wright said, “and he is accountable to those who selected him. Why do you think Wall Street got the break? Why do you think the big three [financial institutions] were bailed out? Those were the ones who selected him. We didn’t select him. We don’t have enough money to select anybody. You’re accountable to those who select you. All politicians are. Given those constraints, he is doing the best he can because he is accountable to the ones that put him where he is. Preachers, pastors, ministers, we are not accountable to these people. I’ll never forget one of the most powerful things he said to me in my home, second Saturday in April 2008. He said, ‘You know what your problem is?’ I said, ‘What is that?’ He said, ‘You have to tell the truth.’ I said, ‘That’s a good problem. That’s a good problem.’”…»
Le propos est éclairant, devant ce candidat (BHO) qui se lamente sincèrement de la position épouvantable du révérend Wright, épouvantable parce qu’il est dans ses fonctions de “devoir dire la vérité”. Wright exsude, tout au long de l’entretien, une colère terrible en décrivant le sort qui est fait aux Africains Américains dans l’Amérique de Barack Obama. Hedges commente avec une fureur non moins sacrée cette ironie monstrueuse d’un BHO qui doit inaugurer le 16 octobre un emplacement commémoratif à la mémoire du pasteur Martin Luther King. («These political and corporate figures—many of whom donated significant sums to build the $120 million memorial (General Motors, which gave $10 million, uses the memorial in a commercial for its vehicles)—seek to silence King’s demand for economic justice and an end to racism and militarism. King’s vision is grotesquely deformed in Obama’s hands.»)
Aujourd’hui, effectivement, il ne s’agit plus d’une critique politique, d’une appréciation mesurée d’un comportement politique dans le cadre d’un désaccord politique. Il s’agit d’une colère sacrée dont les échos transcendent largement les divisions sociales et raciales. Il s’agit ici de la “communauté” africaine américaine mais il est évident que cette colère a beaucoup de traits en commun avec d’autres, et qu’elle participe d’une colère commune à la population entière. La question raciale, qu’on disait si promptement résolue par l’élection de BHO, l’est peut-être effectivement mais par inversion, dans l’espèce d’“union sacrée” que les événements provoqués sans relâche par un Système totalement aveuglé par sa surpuissance sont en train de mettre en place. La colère des Africains Américains vaut celle des protestataires du Wisconsin en février dernier, des “occupants” de Wall Street depuis ce week-end, et même, bien entendu, celle des furieux de Tea Party. Cette colère n’a pas de couleur politique, ni de couleur de peau évidemment, malgré toutes les leçons de morale que les commentateurs du Système ne cessent de dévider à propos des conflits sociaux et raciaux, – pourtant et bien entendu engendrés et alimentés par le Système lui-même pour pouvoir mieux régner. Il est d’évidence qu’aux USA, l’union entre les Noirs et les “pauvres Blancs” victimes directes et indirectes du Système, si elle avait pu se faire, aurait mortellement mis en cause ce Système. (L’historien William Pfaff a pu remarquer que si la Guerre de Sécession s’était terminée par la victoire du Sud, la question de l’esclavage aurait été résolue naturellement, par l’évolution des conditions sociales et économiques, sans imprimer une marque de division sans retour fondée sur la transformation du racisme historique en racisme d’affrontement politico-économique habillé par une narrative idéologique convenant au Système. Nous aurions eu en plus, grâce à l’éclatement des USA, la mise en cause de la monstrueuse surpuissance du Système qui s’alimente principalement à la puissance des USA.)
La question que pose ce malaise aujourd’hui évident chez les Africains Américains est d’observer que les soubresauts furieux du Système en voie d’autodestruction sont peut-être en train de faire de facto cette union, qui ne peut avoir de finalité qu’antiSystème, qui ne peut se fonder que sur le but (qui n’est pas nécessairement exprimé) d’un antagonisme antiSystème. Dans ce sens, l’“opération Obama” (élection d’un président Africain Américain) qui pouvait sembler un coup de génie du Système, recèle des effets considérables d’inversion. Dans la situation qu’on décrit, il ne s’agit pas d’un mouvement des communautés les unes par rapport aux autres, d’antagonismes changeant de place ou de sens, mais bien d’un mouvement d’unification antiSystème. On voit bien que la colère montante des Noirs contre Obama n’est en rien rattrapée par des avantages du côté des “petits Blancs” ultra-conservateurs .On ne peut avancer que cette évolution des Noirs (et des “petits Blancs” ultra-conservateurs) soit rattrapée par une évolution en faveur du Système de la puissante communauté des Latinos. Celle-ci, aujourd’hui, est de plus en plus polarisée par la crise de l’immigration, des troubles à la frontière mexicaine, des effets évidemment déstructurants et maintenant dissolvants du régime de libre-échange établi entre les USA et le Mexique (accord ALENA). Il n’est d’ailleurs même pas nécessaire que ces diverses “colères” s’organisent entre elles comme s’il était question de conduire un affrontement selon les termes classiques, puisque leur effet nécessaire est d’accélérer la dissolution du Système, c’est-à-dire d’agir passivement, par l’effet de leur pression psychologique et politique, en provoquant ou en accélérant des réactions d’autodestruction dans le Système lui-même.
Cet étonnant phénomène de la colère des Africains Américains qui salue la fin du premier mandat du premier président africain américain, constitue un pas remarquable vers la dissolution des effets de cette opération (l’élection du premier président africain américain) qui devait couronner l’assimilation “multiculturelle” comme outil d’intégration de la population en faveur des intérêts du Système. En trahissant son destin nécessaire d’“American Gorbatchev”, Obama s’est effectivement trahi lui-même, comme l’observe le révérend Wright, mais il a également trahi la mission qui lui était assignée. Excellent exemple d’inversion réussi, de passage de la dynamique de surpuissance à la dynamique d’autodestruction du Système.
Mis en ligne le 20 septembre 2011 à 06H47