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2 novembre 2004 — L’importance de l’élection américaine du 2 novembre 2004 est aujourd’hui l’objet d’un consensus mondial. C’est un gain sans aucun doute de la globalisation que la plupart des citoyens informés du monde et la plupart de leurs dirigeants, Etats-Unis compris, considèrent l’élection américaine comme “historique”. Nous avons au moins un consensus mondial dans un monde dont, pour cette occasion, les Etats-Unis font complètement partie. The Independent d’aujourd’hui n’hésite pas à titrer sur ce qui est désormais un cliché : « A day that will decide the fate of the world ».
Nous aurions tendance à être beaucoup plus mesurés, à voir dans ces jugements beaucoup d’émotion liée au symbolisme du jour, à la rhétorique sur la démocratie et l’acte du citoyen et ainsi de suite. Le président élu aujourd’hui, qu’il soit nouveau ou réélu, ne disposera que d’un choix limité quant à l’orientation de sa politique, — encore, bien sûr, s’il y a effectivement décision, puisqu’on sait combien est considérée l’hypothèse du blocage juridique avec une contestation des résultats, pouvant conduire à un blocage constitutionnel.
L’élu d’aujourd’hui trouvera en effet une situation nationale et internationale extrêmement instable, avec des forces d’ores et déjà en mouvement, une mécanique puissante qu’il est difficile, voire impossible de réorienter. Le choc du choix d’aujourd’hui sera surtout psychologique, faisant croire que rien ne peut changer ou que tout peut changer dans la politique US, — il n’est question, comme l’on voit, que de croyance. Ce choc psychologique a sans aucun doute son importance mais il sera vite nuancé par les événements qui viendront confirmer combien l’“homme le plus puissant du monde” est également lié à des forces et à des contraintes qui n’autorisent l’exercice de sa puissance que dans des voies extrêmement étroites.
On peut en attendant suggérer deux textes qui permettent d’avoir une idée de la situation qui attend l’élu d’aujourd’hui, et des difficultés, par conséquent, qu’il devra affronter. Jamais, — cela aussi, et surtout, est historique — la situation dans ces deux domaines n’est apparue aussi instable et incertaine.
• Un texte du site WSWS.org présente les perspectives essentiellement intérieures. WSWS.org est le site de la section US de la Ive Internationale (trotskiste), qui présente un candidat du SEP (Socialist Equality Party). On connaît WSWS.org et l’on sait que ses analyses ne sont pas trop encombrées de la rhétorique marxiste, et sont en général bien informées. La perspective de WSWS.org semble souvent très pessimiste mais ce pessimisme s’avère souvent justifié. Dans ce texte, WSWS.org met bien en évidence le caractère central du scrutin : la tension intense, la bipolarisation sont beaucoup plus le fait des votants que des candidats, qui sont assez proches l’un de l’autre sur les principaux problèmes. Le signe évident de cela est qu’un nombre important des électeurs du candidat démocrate le sont pour simplement s’opposer au candidat républicain.
« The press is filled with commentaries noting the acute polarization in the presidential vote: the huge numbers attending rallies on both sides, the doubling of turnout in early and absentee voting, the dramatic increase in voter registration, the obvious intensity of popular feeling against Bush and his policies. There is an undercurrent of concern about the potential for individual eruptions of violence or even wider civil strife, particularly in response to the Republican Party’s unprecedented efforts to suppress voter turnout in minority working class areas.
» This political polarization is strangely disproportionate to the stated differences between the candidates. On the war in Iraq, whatever their disputes over its origins, both Bush and Kerry pledge to maintain the US occupation and achieve a military victory over the Iraqi resistance. Both subscribe to the doctrine of unilateral, pre-emptive US attack on any country deemed to be a potential threat, and both single out Iran and North Korea as the likely next targets. Both unreservedly support Israeli military violence against the Palestinian people.
» The two candidates have clashed on some areas of domestic social policy, principally abortion, stem cell research and health care, but they agree on the fundamentals: defense of the profit system and the subordination of American society to the interests of giant corporations and the very wealthy. Both are multi-millionaire representatives of the financial aristocracy. Both were educated at Yale, having even been members of the same exclusive society at the elite university—Skull and Bones.
» Kerry has identified himself as a capitalist (he is married to the billionaire heiress of the Heinz ketchup fortune) and explicitly rejects wealth redistribution as a goal of social policy. He has made balancing the federal budget his top domestic priority, pledging to scrap his promises of more affordable health care coverage and other social reforms if and when they come into conflict with deficit reduction.
» Given the relatively narrow substantive differences between the Democratic and Republican parties, what accounts for the enormous tension over the outcome of the presidential vote? »
• Le second texte (dans Newsweek, daté du 8 novembre) est très court mais il situe bien, et il mesure bien l’enjeu de l’élection pour les relations internationales. Il est du vieil Henry Kissinger et renvoie à ce qui fut l’obsession de l’ancien secrétaire d’État, pour un ordre international stable, établi à l’avantage des Etats-Unis, selon les règles du réalisme le plus ferme et le plus cynique quand il le faut. Kissinger identifie effectivement ce point fondamental parmi les tâches qui attendent l’élu du 2 novembre 2004 : « The newly elected president will have to lead an effort to define and then maintain an international system that reflects the new, revolutionary circumstances. » On accepte ce diagnostic, tout en observant qu’il est peut-être paradoxal, voire contradictoire, et dans tous les cas très symptomatique, de confier au pays qui est le principal responsable du désordre qui a bouleversé les relations internationales, la tâche de remettre en ordre ces relations internationales.
« The newly elected president's task is perhaps most analogous to that inherited by President Truman at the end of the Second World War. In 1945, the Soviet Union was emerging as a threat to the global equilibrium, while the war had left a vacuum in Central Europe. But the Soviet challenge was concrete and geographically definable. Today's principal threats are abstract and mobile. Terror has no fixed address; it has attacked from Bali to Singapore, Riyadh, Istanbul, Moscow, Madrid, Tunis, New York and Washington. In the 1940s, the solution to the crisis was straightforward, albeit difficult: to construct a defensive line in the center of Europe and an economic program to close the gap between public expectation and the reality of shortages that threatened domestic stability.
» The contemporary security challenge arises from two unprecedented sources: terror caused by acts until recently considered a matter for internal police forces rather than international policy, and scientific advances and proliferation that allow the survival of countries to be threatened by developments entirely within another state's territory. Truman could take the legitimacy of the international system for granted; the Atlantic alliance rallied America's West European allies from the Second World War. The newly elected president will have to lead an effort to define and then maintain an international system that reflects the new, revolutionary circumstances. »