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15 novembre 2003 — Il est difficile de trouver événement plus mal à propos, plus déplacé, plus contre-productif pour ceux qui l’ont initié, en un mot événement plus stupide que cette visite de GW Bush à Londres la semaine prochaine. Elle a un effet principal, massif, dévastateur : elle impose au monde politique britannique, et à Blair en particulier, une relance du désordre post-irakien de mai-septembre à Londres (avec la mort du professeur Kay et l’enquête Hutton). Le monde politique britannique (Blair en premier) est épuisé depuis cette période, la visite de GW Bush lui donne un coup de couteau dans le dos en plus ; car, évidemment, la seule chose qu’apporte GW Bush dans son voyage, c’est la seule chose que les Américains de Washington sont capables d’exporter et de donner : leur désordre. Dans ce cas, le désordre washingtonien, dont on juge chaque jour de l’intensité et de la puissance.
Le Guardian, journal classique dit “de référence”, résume bien, dans son éditorial, la stupéfiante maladresse de l’événement, — maladresse involontaire, certes, puisque cette visite fut décidée en des temps plus favorables à l’exhibition de GW à Londres ; mais maladresse significative de l’orientation des choses, puisqu’elle n’est maladresse de cette taille qu’en fonction de la situation irakienne.
« ...To many in the Labour party, Mr Bush's arrival is about as appropriate as the appearance of a stripper at a wedding. Admittedly, the US president's visit has been on the cards for a couple of years and is overwhelmingly driven by US electoral imperatives. Yet, at the start of the year there was at least the possibility that it might have coincided with the overthrow of Saddam Hussein, the unearthing of his weapons of mass destruction programme and the early stages of a sustained reconstruction of a new Iraq.
» Even the millions who opposed the war, or who refuse to accept the Bush administration's world view, or who were ashamed at Britain's self-subordination to Washington's imperatives, might have grudgingly allowed Mr Bush his moment of grandeur in such circumstances. But events have destroyed that possibility. The visit now offers a focus for the expression of postwar discontent with US-led policy towards Iraq. Mr Bush arrives here next week not as a vindicated war leader but as an incumbent whose re-election chances are apparently dependent on a set of Buckingham Palace photo-opportunities. Surely not even Mr Blair in his most stubborn moments can see this as much more than a week to be got through. »
On peut juger ici des effets dévastateurs de cette visite, selon notre appréciation :
• Elle met en évidence l’impuissance britannique dans le processus décisionnel d’une crise irakienne, où les Britanniques trouvent chaque jour de quoi alimenter leur fureur contre leurs “amis” américains.
• A côté de cela, les tentatives d’une consternante médiocrité de l’un ou l’autre (de Condoleeza Rice dans le cas le plus récent d’une interview au Guardian) de redonner du lustre aux thèses grandioses sur la démocratisation du Moyen-Orient ne servent qu’à mettre en évidence l’ampleur du désastre anglo-américain. Ces explications désormais incroyablement poussives paraissent totalement irréalistes à la lumière et au son des événements qui déchirent l’Irak.
• Elle ranime l’opposition antiwar à Londres, avec des manifestations massives prévues, dans une ville qu’on mettra en état de siège pour l’occasion. Nous aurons donc le spectacle surréaliste de ce qui pourrait être la proclamation anti-américaine publique la plus massive de ces dernières années dans la capitale du meilleur allié de Washington.
• Elle relance même, ou plutôt fait progresser le débat critique sur les special relationships. L’interview en forme de dialogue entre Clara Short et Malcolm Rifkind dans le Guardian est symptomatique à cet égard. C’est évidemment le point le plus important qu’il faut relever ici.
Contre cela, que peut-on attendre ? Blair espère obtenir des concessions US pour éviter une “guerre commerciale” transatlantique. On lui souhaite bien du plaisir. Le seul résultat visible, pour l’instant, sera de mettre en évidence la volonté d’affirmation du chancelier de l’Échiquier Gordon Brown (contre Tony Blair), qui va signer un “pacte” grandiose avec les Américains.
Toutes les choses accessoires (comme l’est cette tentative de Brown) mises à part, la visite de GW Bush devrait agir comme un nouveau pas dans la dégradation des rapports entre USA et Royaume-Uni. Alors que les special relationships seront célébrées comme il se doit dans quelques discours convenus, la réalité mettra encore plus en évidence le décalage de ce qu’il reste de la politique pro-américaine de Blair par rapport aux sentiments et aux intérêts du Royaume-Uni. Il n’y a rien de pire, pour les politiques virtualistes caractérisant les deux pays anglo-saxons, que la confrontation à la réalité.