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23 janvier 2004 — Un article paru dans The Guardian du 21 janvier s’attache au sort de la Royal Navy britannique selon une approche radicale, qui pourrait être résumée par la question : avons-nous encore besoin de la Royal Navy ?
Le prétexte de cette réflexion est la décision du gouvernement de “désactiver” quatre destroyers, réduisant le nombre de navires de surface de 36 à 32. C’est l’occasion pour un conservateur, Nicholas Soames, qui a la lourde charge d’être le petit-fils de Churchill et de veiller à la survivance des postures héroïques conformes à l’image grand’paternelle, de s’exclamer avec une emphase particulière. C’est la première fois depuis 300 ans, dit Soames, que la Royal Navy se trouverait en infériorité numérique par rapport à la Marine Nationale, l’ancienne “Royale” qui portait le pavillon fleur-de-lysé avant d’avoir celui aux trois couleurs.
Cette remarque est une sympathique digression des habituelles tendances de notre temps historique, où l’on est plutôt terrorisé par les armes de destruction massive de la catégorie hollywoodienne. Et puis, cette sorte de remarque, qui ne mange pas trop de baguette, fait toujours bien dans les tabloïds et auprès des électeurs.
Prenons d’abord cette chose plaisamment, comme le fait l’auteur James Meek :
« Genetically, if in no other sense, Nicholas Soames is 25% Winston Churchill. Unlike his grandfather, however, the Tory politician and former hussar has yet to be entrusted with sufficient responsibility to have his name associated with a great British naval disaster or expansion. But, as Michael Howard's defence spokesman, he has been trying. A couple of weeks ago he said that the government would be committing an act of ''lunacy'' if, as expected, it decided to mothball four destroyers. If the cuts were made, it was reported gravely by the papers that carried the story, the Royal Navy would, for the first time in 300 years, have fewer surface ships than the French navy.
» The complete lack of panic on Britain's south coast with which this revelation was greeted can be explained in several ways. One is that Napoleon is dead, and we no longer see the French navy as a threat; naval parity with France, as an electoral platform, is too recherché even for the Conservative party. Another is that the ships concerned were designed when Soames — now 54 — was a teenager, and proved their fallibility in the Falklands decades ago, when two of them were destroyed by the Argentinians. A third is that we still have more submarines than they do, so war with France remains an option, should a future Tory administration deem this appropriate. »
La suite de l’article est une interrogation technique sur l’utilité, aujourd’hui, d’une puissante marine de surface. C’est dans l’air du temps. Aujourd’hui, les réflexions les plus révolutionnaires sont recommandées, et celle-là ne déroge pas.
Il s’agit de considérer qu’aujourd’hui, on peut envisager de réduire dramatiquement le nombre nécessaire de plates-formes pour utiliser des armes de frappe, tant celles-ci sont devenues précises et efficaces, tant celles-ci peuvent être dévastatrices. Le débat est intéressant quoiqu’un peu théorique, et appuyé sur des conceptions radicales comme celles du vice-amiral Cebrowski (actuellement directeur de l’Office of Force Transformation de Donald Rumsfeld), — et l’histoire nous apprend que cette sorte de conceptions parviennent rarement, sinon jamais, surtout aux États-Unis, à quitter le domaine de la théorie.
« Cebrowski, a former US Navy fighter pilot, preaches his gospel in the bizarre language of the vast US military bureaucracy, with Delphic touches of his own that make him sound like a cross between a New Labour visionary, a Zen master and Darth Vader. Here, in a recent conference speech, is the voice of the man whose thinking is driving the future of American defence policy, which inevitably drags the Royal Navy along in its wake: “The Transaction Strategy rests on the management of four key flows between the Non-Integrating Gap and the Functioning Core.”
» But not everything he says is geopolitical gobbledygook for top brass, and he is closely listened to in Whitehall. His essential message is that you don't need lots of ships or tanks or planes, as long as the ships and tanks and planes you do have are able to communicate with each other and share information. You don't have so many individual platforms — ships — you have a network of ships. »
Aussi n’est-ce pas ce qui nous paraît le plus intéressant dans ce texte. La fin du raisonnement, par contre, est plus édifiante, notamment la réflexion incidente qui en forme la conclusion. On termine en effet sur le domaine de la politique après avoir rapidement abordé les solutions les plus radicales :
• la fin de la Royal Navy au profit d’un regroupement naval européen. (« If money and effectiveness were the only issues, Britain would long ago have pooled its ships, crews and bases into a European navy. ») Impensable pour des raisons politiques, affectives, sentimentales, — voire hystériques, dans le chef de nombre d’eurosceptiques.
• la fin de la Royal Navy au profit d’une allocation modeste faite à l’U.S. Navy, ce qui permettrait d’ajouter quelques navires supplémentaires à la flotte US et reviendrait à demander à cette flotte d’assurer les tâches navales pour le Royaume-Uni. Là non plus, il n’y a guère de possibilité qu’une idée aussi baroque voit le jour, malgré toute l’affection dont la force militaire US est entourée au Royaume-Uni : « Equally unlikely is the other radical yet rational thought of taking British dependence on the US to its logical conclusion and paying Washington a few billion a year to run a slightly larger navy on our behalf. There are too many military patriots on the right and, though they would hate to admit it, on the left, and politicians and news editors value too highly that obscure chemical rush men of a certain age receive at the sight of an aircraft carrier ploughing through the waves with their country's flag on it. »
En revenant à la réalité pour conclure, l’auteur aborde un point nécessairement bien concret, suggéré déjà par la deuxième hypothèse. L’intérêt du propos, ici, est de nous permettre d’avoir une bonne idée de la situation, — réelle cette fois, pas du tout théorique — que connaissent les Britanniques à cause de leur alliance avec les USA. James Meek met en évidence, dans la situation présente de la Royal Navy, la capacité des Britanniques d’opérer avec les Américains, qui est en général présentée comme une grande vertu. Brusquement, le point de vue bascule complètement.
« The almost unique ability of the Royal Navy to fit into US military operations — “plug and play”, as Till puts it — has dangers. An organisation that acquires a particular skill for a particular task may find itself dragged into other tasks where, without that acquired skill, the question of its participation would never have arisen. That’s a troubling thought when the Pentagon's naval planners are looking forward beyond the current troubles to the developing naval arms race in East Asia.
» “When a crisis emerges in which the US wants a coalition, they will come to Britain and see what we have to offer,” says Professor Malcolm Chalmers, of Bradford University’s Peace Studies department. “If we haven’t got something to offer, they won’t blame us for not having it. But if we have got something to offer, and we don’t give it, they won’t be happy.” »
Retour sans nuances à la réalité : la réflexion en vient à considérer de façon si radicale la pesanteur des liens unissant les USA et le Royaume-Uni que l’hypothèse farfelue d’une disparition de la Royal Navy serait une bonne chose, simplement parce qu’elle priverait de tout fondement l’exigence américaine d’un alignement britannique pour des opérations navales dont les Britanniques n’ont rien à faire, voire même, qui s’avéreraient dangereuses, risquées et politiquement ineptes. C’est une démonstration par l’absurde, ou en forme de plaisanterie, — mais une démonstration tout de même, pour nous en dire long sur l’état d’esprit des Britanniques confrontés à l’alliance américaine. Effectivement, dans de telles conditions telles qu’elles sont sous-entendues, le terme de “confrontés” à l’alliance américaine est préférable à celui de “bénéficiaires” de l’alliance américaine.
Nous restons donc sur notre faim : quel Britannique nous offrira enfin une explication rationnelle, — hors des sornettes sentimentales sur le “cousinage” et sur l’apparence de la puissance, — de l’intérêt pour son pays de se soumettre si complètement à une telle alliance, jusqu’à perdre éventuellement autonomie de décision et choix d’action ? On attend cette explication depuis un demi-siècle, et avec d’autant plus d’impatience aujourd’hui que la situation nous en montre de façon dramatique et saisissante les désagréments.