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13 décembre 2004 — Il est assez rare de ressentir un tel sentiment de désillusion pour une présidence qui n’a pas encore commencé, et à Washington encore, qui s’affirme (mais avec de moins en moins de conviction) comme un Empire d’une puissance inégalée et sait manier la communication pour le faire savoir. Il y a à peine plus d’un mois que GW a été réélu, salué par des hyperboles de langage qui paraissent étonnantes et bien déplacées aujourd’hui. L’on parlait alors de pas loin d’un raz de marée (appréciation surprenante pour une victoire 51-48), d’une légitimation (remarque étonnante pour un homme en place depuis quatre ans) et ainsi de suite.
Nous sommes victimes de nos outrances de communication, de ce monde factice construit selon les règles du virtualisme, de ses promesses fallacieuses. Nous sommes prisonniers des obligations d’un conformisme épuisant pour la psychologie. Aussi, les réactions de dépression sont de plus en plus rapides, violentes, débilitantes, et elles accentuent la perte de contrôle.
• Le désastre politique du retrait du nouveau secrétaire au Homeland Security, Bernie Kerik, donne le ton. Peter Preston en fait un tableau rapide et expéditif, qui nous fait mesurer à quoi nous avons échappé, entre les supposées qualités de Kerik et les diverses casseroles qu’il traînait derrière lui : « Long ago, [Kerik] was Rudy Giuliani's driver, the chauffeur who became chief of Rudy's NYPD, the capo di tutti copos in charge for 9/11, the mate the ex-mayor recommended when he turned down the homeland job himself. […] Kerik was a flawed candidate from the beginning, selected sloppily from a lacklustre field. »
Mais, constate Preston, la nomination de Kerik s’expliquait par le refus de Rudy Giuliani de prendre ce poste. Cette position rencontre d’autres signes de la désaffection qui, aujourd’hui, entourent l’administration actuelle et, plus généralement, le gouvernement. L’évolution américaine à cet égard a été celle du discrédit constant, sous les coups de l’agitation effrénée de la vanité impériale, des mensonges empilés (l’Irak et le reste), de la corruption générale, du virtualisme couvrant tout cela d’une enveloppe éclatante et d’autant plus insupportable. Le résultat est bien résumé par le titre et sous-titre du commentaire de Preston : « Four more years of decline — George Bush's new administration will be filled with mediocrities. »
• Le paradoxe de cette évolution est que son effet sera non pas une modération de la politique, comme on pourrait attendre assez naturellement (la médiocrité, c’est l’affadissement, c’est aussi l’apaisement des passions vers une position plus moyenne, plus prudente, etc). Au contraire, nous annonce Scott McConnell d’une façon extrêmement convaincante, l’extrémisme est plus que jamais l’orientation d’actualité. Les néo-conservateurs restent en place alors qu’on les croyait condamnés après les multiples échecs nés de leur aveuglement et de leur hystérie. C’est-à-dire que l’extrémisme reste en place comme représentant paradoxalement la médiocrité politique. Cela montre à quel point les valeurs se sont renversées : l’extrémisme n’est plus l’aventure, l’audace, le risque, mais la médiocrité presque bourgeoise, comme l’était hier la modération des régimes usés. Ceci est orwellien : l’extrémisme est la modération. L’effet d’une telle situation pourrait être explosif, dans la mesure où les choses les plus extrêmes, évidemment se banalisent, qu’elles peuvent éclater sous la pression d’une hystérie sous-jacente. Ainsi de l’option nucléaire dans les futures crises, comme le note McConnell :
« How has the country changed? Two years ago, when National Review editor Rich Lowry said that an appropriate response to a WMD attack on the United States might be to nuke Mecca, there was a fair amount of outrage. But Lowry, recall, was imagining how the United States might respond to a massive terrorist attack. Now the American airwaves and blogosphere are rife calls to nuke those whom military invasion couldn’t turn into democrats. “Could it happen here?” the old question goes. In one sense it already has. »
• Dernier point, cerise fanée sur le gâteau moisi : les rapports Europe-USA. Ce deuxième mandat doit être celui de la réconciliation ; eh bien, l’on serait bien avisé d’employer le passé. Déjà, avant même l’inauguration de GW-II, la discorde est installée. Elle ira loin parce qu’elle concerne ce problème considérable qu’est l’Iran. Plus l’on avance dans cette question, plus les méthodes, les buts et les conceptions divergent. La crise iranienne devrait être le nouveau théâtre de la brouille transatlantique.
D’ores et déjà, les commentateurs affûtent leurs stylos pour démontrer ce caractère décisif du nouveau champ de la discorde : « Despite a renewed American effort to repair relations with Europe, a disagreement between the Bush administration and European leaders over how best to persuade Iran to abandon its suspected nuclear weapons program has deepened in recent weeks, diplomats on both sides say. »
Là encore, tout laisse à penser que le deuxième mandat GW continuera et accentuera le premier, instituant et banalisant la mésentente entre l’Europe et l’Amérique. On se heurte au même phénomène de l’incapacité à modifier l’orientation des choses. L’extrémisme de l’administration GW, “sanctuarisé” en un sens par sa médiocrité et la désaffection du monde washingtonien pour elle, va également phagocyter les relations transatlantiques dans l’actuelle situation d’affrontement.