Cette Europe-là fabrique-t-elle la paix ?

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Cette Europe-là fabrique-t-elle la paix?

26 février 2007 — L’affaire du veto polonais (en novembre 2006) à l’accord énergétique entre l’UE et la Russie avait été accueillie, dans les milieux européens à Bruxelles, d’abord avec une inquiétude un peu affolée, aussitôt suivie d’un argument d’apaisement dont tout le monde fit des gorges chaudes. La Pologne se crispait mais l’on arrangerait l’affaire d’ici la fin de l’année, et elle serait réglée au sommet de décembre. L’EU retrouverait sa belle unité. Il n’en a rien été. Au contraire, un autre pays, la Lituanie, qui avait été le seul des autres pays UE à soutenir la Pologne, se rapproche de la scène centrale en menaçant à son tour de poser son veto. La dynamique communautaire n’agit plus, si ce n’est en sens inverse, dans le sens de l’aggravation, de l’intransigeance, de l’arrimage à des politiques particularistes marquées par l’absence de mesure, l’emballement de l’agressivité, l’aveuglement implicitement au nom d’une mémoire revendicatrice.

Alors que nous prenions la question, en novembre 2006, sous l’angle “national”, aujourd’hui il est plus indiqué de la considérer du point de vue européen. La durée, l’extension (à la Lituanie) et la cause à peine sous-jacente (une hostilité fondamentale avec la Russie) de la querelle, dans un contexte stratégique d’une tension grandissante en Europe, notamment et justement entre Russes et Polonais, poussent à considérer l’affaire d’un point de vue européen.

Voici quelques indications de EU Observer de ce jour :

«Poland and Lithuania are becoming more deeply entrenched in a blockade on launching EU talks on a new treaty with Russia, as the clock ticks toward the next EU-Russia summit in Samara on 18 May.

»When EU leaders met Russia's Vladimir Putin in Helsinki last November, the conversation was about meat and murder — the Russian embargo on Polish meat exports and the poisoning of ex-KGB man Alexander Litvinenko — with the treaty launch party put on ice.

»Four months later, Moscow has still not set a date for lifting its export ban and Poland has not lifted its veto on treaty talks, leaving Brussels and Moscow stuck with an out-of-date ''PCA'' agreement drafted in the early 1990s and set to expire in November 2007.

»No one can rule out that Russia will back down on meat and Poland will lift its blockade before May, with some Polish experts worried that Warsaw would face political ‘odium’ in Brussels if it did not automatically react to a friendly gesture from Moscow.

»But Polish officials are signalling the situation is not so simple, with Warsaw still interested in putting a clause into the EU treaty mandate allowing any EU capital to trigger suspension of talks in future if Russia does not play ball on bilateral trade or energy interests with EU members.

»On top of this, some Polish officials are widening the veto discussion to encompass the EU's internal negotiations on a new common energy policy, with Warsaw concerned at lack of EU solidarity on issues such as the German-Russian plan to build a gas pipeline bypassing Poland and Lithuania.

»Our veto was put in place for two reasons, not just the meat embargo but also energy relations. We are now negotiating the whole package of EU energy relations, conditions of security of supply, the question of the internal energy market,” Polish undersecretary of state Krzysztof Szczerski said in Warsaw last week. “These two things are connected.”

»Meanwhile, Lithuania — the only EU state to publicly back Poland's veto strategy so far — is threatening to add a veto of its own in order to get Brussels to help break Russia's oil supply blockade on Mazeikiu Nafta, the only petrol refinery in the Baltic states. […]»

L’enchaînement des crises

Même si la matière est compliquée, avec ces querelles diverses, la mauvaise foi et l’agressivité de chaque côté, l’utilisation haineuse de la mémoire, etc., parfois des situations spécifiques singulières, le cas général est évident. Il l’est d’autant plus qu’il se place sur le fond, on l’a déjà dit et on le répète parce qu’il faut le répéter, de la potentialité d’une crise européenne d’une extrême gravité où l’on retrouve à nouveau les mêmes protagonistes avec d’autres qui leur sont proches. Dans le cas considéré ici, bien entendu, la gravité est que cette querelle entre la Russie et un ou deux pays de l’UE qu’il faut absolument qualifier de moindre importance ou de seconde zone sans retenir sa plume, parce que c’est le cas, menace d’aggraver les relations de toute l’Union européenne avec la Russie.

Ajoutez ces deux cas, — les crises particularistes sur l’énergie Pologne-Russie (et Lituanie-Russie) et la crise des missiles anti-missiles (Pologne-Russie parce que la Pologne devrait accueillir ces systèmes, en plus de la Tchéquie éventuellement), — et vous pouvez mesurer le rôle extraordinairement déstabilisateur des “nouveaux” pays d’Europe de l’Est. Bien sûr, on sait par qui ils sont poussés, — tantôt les USA, tantôt les Britanniques, tantôt les groupes de pression anglo-saxons. On sait aussi qu’ils n’ont pas vraiment besoin d’être poussés, la Pologne principalement.

Il serait temps que les hommes politiques occidentaux cessent de raisonner avec leurs sentiments, comme des midinettes poussant la chansonnette. Cela vaut principalement pour les hommes politiques français, et les candidats aux présidentielles au premier rang d’entre eux. Nombre d’entre eux s’affirment “européens” sans réserve. Ils disent en général que c’est par réalisme mais nous continuons à y voir d’abord du sentimentalisme et du conformisme ; puisqu’il est d’ailleurs question de réalisme, les événements pourraient bien les prendre à leur propre piège.

Certes, il serait temps qu’ils commencent à faire leur métier froidement, c’est-à-dire, justement, d’une façon réaliste comme ils aiment bien recommander de faire. Si les deux crises citées ici s’aggravent, et l’on voit mal ce qui pourrait les empêcher de s’aggraver si le comportement général actuel perdure, leurs effets vont s’additionner. Ce ne sont pas les USA, co-acteurs de la crise des systèmes anti-missiles, qui seront les plus inquiétés, mais l’UE, co-acteur de la crise énergétique et dont fait partie l’autre acteur principal de la crise des systèmes anti-missiles.

A ce compte, les nouveaux pays d’Europe de l’Est sont en train de devenir des ferments de crises graves en Europe, pouvant déboucher sur une confrontation. Veut-on aller jusqu’à cette démonstration insensée : à force de prétention vaniteuse à l’élargissement, à force d’irresponsabilité organisée, l’UE arrivant à une situation où sa conformation, notamment par les entraînements de solidarité institutionnelle, l’action d’un seul bloquant la volonté de tous, etc., la conduirait à une position de confrontation avec la Russie ? La formation de l’Europe garantit la paix éternelle ou tout comme en Europe, a-t-on coutume d’argumenter. Peut-on l’affirmer aussi sûrement aujourd’hui ? Si l’Europe institutionnelle entraîne vers le contraire de la paix, que vaut l’Europe institutionnelle ?

Les hommes politiques doivent faire leur métier et se forcer à penser, en laissant leurs sentiments de midinette au vestiaire, à la situation européenne qui se dessine. Il se pourrait que le principal argument de l’Europe institutionnelle, — cette construction dont on nous affirme qu’elle a la vertu de maintenir la paix en Europe, — vole en éclats sous la poussée des crises qui se développent. La gravité de l’hypothèse vaut qu’on la considère.