Cette globalisation-là, ça marche

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Cette globalisation-là, ça marche


23 avril 2006 — La “Long War” ? La “Global War On Terrorism” (GWOT) ? Voilà une globalisation qui, au contraire de la vraie, marche à pleins gaz. Aux commandes : l’inoxydable Donald Rumsfeld. Le Washington Post présente aujourd’hui certains détails des plans qui sont en train d’être adoptés par le Pentagone et de la philosophie qui les sous-tend. Ces détails suffisent à nous faire comprendre leur signification générale.

D’une façon générale, le plan pour la “Long War”, en fait composé de plusieurs plans, est ainsi détaillé : « The long-awaited campaign plan for the global war on terrorism, as well as two subordinate plans also approved within the past month by Rumsfeld, are considered the Pentagon's highest priority, according to officials familiar with the three documents who spoke on the condition of anonymity because they were not authorized to speak about them publicly.

» Details of the plans are secret, but in general they envision a significantly expanded role for the military — and, in particular, a growing force of elite Special Operations troops — in continuous operations to combat terrorism outside of war zones such as Iraq and Afghanistan. Developed over about three years by the Special Operations Command (SOCOM) in Tampa, the plans reflect a beefing up of the Pentagon's involvement in domains traditionally handled by the Central Intelligence Agency and the State Department.

» For example, SOCOM has dispatched small teams of Army Green Berets and other Special Operations troops to U.S. embassies in about 20 countries in the Middle East, Asia, Africa and Latin America, where they do operational planning and intelligence gathering to enhance the ability to conduct military operations where the United States is not at war.

» And in a subtle but important shift contained in a classified order last year, the Pentagon gained the leeway to inform — rather than gain the approval of — the U.S. ambassador before conducting military operations in a foreign country, according to several administration officials. “We do not need ambassador-level approval,” said one defense official familiar with the order. »

Pour l’aspect opérationnel, la star est désormais SOCOM (Special Operations Command), qui regroupe toutes les soi-disant “forces spéciales” des trois armes. Il s’agit d’un commandement qui tend à l’autonomie et dont on peut faire l’hypothèse qu’il pourrait être dégagé de la chaîne de commandement habituelle. Des questions devraient rapidement se poser, pour savoir si SOCOM sera sous l’autorité du Joint Chiefs of Staff ou sous l’autorité directe du président et du secrétaire à la défense, s’il constituera une branche des forces armées à lui seul. Comme le note l’extrait ci-dessous, les tensions à cet égard sont nombreuses au sein du Pentagone et en-dehors, avec les trois armes, avec la CIA et les services de renseignement, avec le département d’État (voir ci-dessus, l’affirmation que SOCOM estime n’avoir pas besoin de l’accord de l’ambassade US dans un pays pour intervenir dans ce pays : « “We do not need ambassador-level approval,” said one defense official familiar with the order. »)

Des détails concernant l’aspect opérationnel: « Special Operations Command, led by Gen. Doug Brown, has been building up its headquarters and writing the plans since 2003, when Rumsfeld first designated it as the lead command for the war on terrorism. Its budget has grown 60 percent since 2003 to $8 billion in fiscal 2007. President Bush empowered the 53,000-strong command with coordinating the entire military's efforts in counterterrorism in 2004.

» “SOCOM is, in fact, in charge of the global war on terror,” Brown said in testimony before the House last month. In this role, SOCOM directs and coordinates actions by the military's regional combatant commands. SOCOM, if directed, can also command its own counterterrorist operations — such as when a threat spans regional boundaries or the mission is highly sensitive — but it has not done so yet, according to Olson, and other officials say that is likely to be the exception to the rule.

» To extend its reach to more countries, SOCOM is increasing by 13,000 the number of Special Operations troops, including Special Forces soldiers skilled in language and working with indigenous militaries, and Delta Force operatives and Navy SEAL teams that form clandestine “special mission units” engaged in reconnaissance, intelligence gathering and man-hunting. Already, SOCOM is seeing its biggest deployments in history, with 7,000 troops overseas today, but the majority have been concentrated in Iraq and Afghanistan, with 85 percent last year in the Middle East, Central Asia or the Horn of Africa.

» But SOCOM's more robust role — while adding manpower, specialized skills and organization to the fight against terrorism — has also led to some bureaucratic tensions, both inside the military with the joint staff and regional commands, as well as with the CIA and State Department. Such tensions are one reason SOCOM's plan took years.

» When SOCOM first dispatched military liaison teams abroad starting in 2003, they were called ‘Operational Control Elements,’ a term changed last year because “it raised the hackles of regional commanders and ambassadors. It was a bad choice of language,” said one defense official, adding: “Who can pick on Military Liaison Elements?” »

Un putsch de Rumsfeld

Ces annonces constituent une nouvelle importante. Il s’agit de la réaction structurelle fondamentale de Rumsfeld (et de “son” Pentagone) à l’attaque du 11 septembre. On dira : ce n’est pas rapide, rapide… On répondra : c’est le rythme américaniste et bureaucratique. Ce n’en est pas moins fondamental. C’est aussi curieusement à contre-pied.

• Il s’agit d’une évolution qui est éventuellement porteuse d’une révolution dans la mesure où elle pourrait tendre à bouleverser les priorités et les hiérarchies dans la bureaucratie du Pentagone, beaucoup plus encore que dans les unités combattantes. Cette (r)évolution tend également à affirmer le pouvoir du Pentagone (Rumsfeld) contre les services de renseignement et le département d’État. C’est une sorte de putsch que tente Rumsfeld dans la distribution des pouvoirs au sein de la bureaucratie autant qu’au sein du gouvernement. (On dit : “tenter” car il y a loin de la coupe aux lèvres, entre la tentative et la réussite du putsch, entre un organigramme à mettre en place, avec des unités disparates dépendant par ailleurs des trois armes et de divers commandements installés, aux dépens de forces déjà en action, aux dépens de missions d’ores et déjà assumées par la CIA, voire par le département d’État, — et le fonctionnement effectif et efficace de la structure.)

• Sans qu’il y ait nécessairement de lien de cause à effet direct, la réorganisation donne une nouvelle cause à la “révolte des généraux” qui représente les forces armées conventionnelles. Il n’est pas sûr qu’on ne puisse aller plus loin et trouver des arguments plus fondamentaux, de forme institutionnelle : s’il s’avère que la structure SOCOM échappe ou pourrait échapper à la chaîne de commandement classique, on pourrait avancer qu’il s’agit là de la voie vers la formation d’une “garde prétorienne”, à usage direct de certaines autorités civiles, dont un tel usage peut mener à bien des abus.

• On l’a vu, il y a un décalage considérable entre la cause de cette réforme (l’attaque 9/11) et la mise en place de la réforme. Ce qui aurait pu être pris en 2002 ou 2003 comme une réaction logique et dynamique, et applaudie dans de nombreux pays soucieux de se concilier Washington et sa puissance alors incontestée, peut aujourd’hui au contraire alimenter tous les soupçons. SOCOM semble devenir une force destinée à intervenir où elle le veut, sans souci des normes internationales et des souverainetés. L’opinion étrangère y verra un nouvel outil de l’interventionnisme américaniste, dans la plus complète illégalité. Certains diront que Washington faisait déjà cela, avec la CIA et les groupes d’illégaux divers conduisant des opérations clandestines (Iran, Cuba, etc.) ; voire des opérations de déstabilisation de plus grande envergure (celles qui furent lancées, — sans aucun succès, — contre certains pays de l’Est entre 1947 et 1952). Mais il s’agissait justement d’opérations clandestines (“covert operations”) qui n’impliquaient pas formellement Washington. Avec SOCOM, l’implication est indéniable et dégrade encore un peu plus la réputation et l’influence déjà fortement compromises des États-Unis. Est-ce un avantage ?

• Le décalage par rapport à la situation générale est une fois de plus étonnant. Alors que les forces US rencontrent les plus grandes difficultés en Irak et en Afghanistan, selon des formules opérationnelles qui font un très gros emploi de forces spéciales et autres unités “para-militaires”, ce qui devrait faire s’interroger sur l’efficacité de la formule, on en rajoute des tonnes avec SOCOM. Alors que toute l’attention se porte sur une intervention possible contre l’Iran, présentée comme un épisode de guerre conventionnelle high tech, on met à nouveau l’accent sur la lutte contre le terrorisme. L’opération est peut-être une victoire bureaucratique de Rumsfeld, — et encore reste-t-elle à confirmer. Mais sur le terrain? (C’est-à-dire : dans la réalité?)

• Car, bien entendu, Rumsfeld, partout contesté à Washington, continue à s'affirmer comme un maître du renforcement bureaucratique. De plus en plus faible ici, de plus en plus puissant là. Qui cherche encore à comprendre la cohérence des choses à Washington?