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96623 mars 2003 —
Nous envisageons cette guerre comme autre chose que la tragédie qu’est une guerre selon la signification profonde du terme. Il y a de multiples tragédies, individuelles, collectives, etc, dans cette guerre, mais cette guerre n’est pas elle-même une tragédie. (Certains disent que c’est la première guerre réalisée pour être filmée par la télévision. On verra.) Cette absence de substance tragique de la guerre, cette absence de réalité de la guerre en un sens, c’est ce que nous essayions d’exprimer dans un F&C récent. Pour l'instant, il s’agit d’une sensation, peut-être d’une intuition, et cela reste à être exploré plus avant, avec l’outil de la raison.
Le premier effet est que, jusqu’ici mais cela devrait durer et se confirmer, la guerre ne s’est pas imposée dans notre vision de la crise comme un élément fondamental qui bouleverse tout le reste, comme l’aurait fait une véritable guerre (qui serait une tragédie). Elle n’a pas provoqué une “catharsis” changeant toutes les conditions de la crise. Par exemple, les protestations anti-guerres continuent (réunir plus de 200.000 personnes contre la guerre à Londres ce 22 mars, après 3 jours de mobilisation, alors que les soldats britanniques se battent, ce n’est pas mal et cela indique que le rythme et le sentiment d’avant la guerre n’ont pas été rompus). La guerre a pris sa place à côté du reste, comme un élément de plus, d’ailleurs prévu, dans une crise qui compte de nombreux éléments, — et rien, absolument rien ne dit qu’il s’agisse du plus important (nous-mêmes ne le pensons pas, comme nous le disons dans le R&C déjà indiqué).
Le phénomène dont nous voulons rendre compte plus précisément ici, c’est que les lecteurs de ce site semblent statistiquement réagir de la sorte. Selon notre expérience de ce site, c’est une situation peu ordinaire et donc significative, justifiant d’autant ce commentaire. Jusqu’ici, tous les événements importants, par surprise ou annoncé, comme principalement le 11 septembre 2001 et sa commémoration du 11 septembre 2002, ou encore l’attaque en Afghanistan du 7 octobre 2001, — tous ces événements ont été l’occasion d’un afflux temporaire de visiteurs du site le jour même et pour ce jour seulement, jusqu’au doublement des entrées normale (cas du 11 septembre 2002). Cette fois, rien de semblable.
Notre taux d’entrée est extrêmement satisfaisant
765 (dimanche 16), — 1.187 (lundi 17), — 1.179 (mardi 18), — 1.214 (mercredi 19), — 1.153 (jeudi 20), — 1.094 (vendredi 21), — 896 (samedi 22).
Pourquoi cette sorte d’indifférence relative ? (“Relative” parce qu’à l’intérieur d’un phénomène, la crise générale, qui provoque une attention passionnée, ce qui fait que la guerre intéresse évidemment le public mais pour d’autres raisons que par elle-même.) Nous faisons une hypothèse : parce que cette guerre n’est pas perçue comme un terme logique d’une situation en aggravation (comme le premier Golfe) ni comme un accident dramatique (comme le Kosovo, qui ne devait durer que 3 jours) ni comme une nécessité (approuvée ou pas) de vengeance (comme l’Afghanistan), mais qu’elle fait partie d’une politique (ou perçue comme telle) et de la crise qu’engendre cette politique, et elle n’a aucune légitimité en tant qu’événement propre. (D'ailleurs, qui douterait de l'illégitimité d'un événement si totalement justifié par le mensonge ?) Cette politique intéresse plus que l’un de ses produits, surtout si ce produit est perçu comme frelaté parce qu’illégitime. Cette illégitimité peut conduire plus au désordre qu'aux actions décisives qu'on attend d'une guerre, et les éléments observés en Irak aujourd'hui avec la résistance renforcée des Irakiens tendraient à renforcer cette perception.
La conclusion est inéluctable : l’appareil militaro-industriel américain, qui a comme seul outil d’affirmation de sa puissance la force militaire parce qu’il n’en imagine pas d’autre, n’a plus de moyen de contrôler la situation. Cet outil n’est plus capable de susciter des situations qui aient, pour le meilleur ou pour le pire, une légitimité propre.