Changement de point de vue

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Changement de point de vue

31 août 2010 — Cette réflexion analytique a pour thème central le constat de la nécessité et de l’urgence de l’effondrement du système de américanisme, ou des USA, par quelque voie et moyen que ce soit et pour quelque cause que ce soit (c’est de peu d’importance), pour qu’enfin apparaisse la vérité de la crise générale. Il ne s’agit donc pas d’une prévision mais du constat d’une nécessité urgente.

Nous prendrons comme argument de départ de cette même réflexion analytique un message d’un de nos lecteurs en commentaire du texte de notre F&C du 23 août 2010, sur le Forum de ce texte, à la date du 24 août 2010. Il s’agit des remarques de monsieur Dominique Larchey-Wendling.

«Abonné à l'année, votre site est passionnant. On sent toutefois un agacement de plus en plus important vis-à-vis du système de l'américaniste, proche de l'exaspération, agacement que je ressentais moins il y a deux ans, même un an ... Etrange d'ailleurs de rejeter les contestataires de la version officielle de 9/11 et d'affirmer hier que la vérité de l'incident Assange/Pentagone avait peu d'importance ... il fallait s'en servir pour dézinguer le système.»

Commençons par un a parte sur une interprétation contestée, qui lancera notre commentaire, qui le nourrira d’ailleurs d’un thème concret, qui le fera avancer naturellement par conséquent. La phrase, ou le membre de phrase : «Etrange d'ailleurs de rejeter les contestataires de la version officielle de 9/11…», qui s’adresse à dedefensa.org, ne nous rend pas vraiment justice. On peut consulter les masses de textes concernant 9/11 sur ce site, malgré la faiblesse de notre moteur de recherche (notamment le 30 juin 2002, le 27 décembre 2005, le 30 mai 2006, le 18 décembre 2006, le 10 septembre 2006). On n’y trouvera pas la moindre attitude de “rejet” des thèses de complot, quelles qu’elles soient. La position de dedefensa.org sur le fait même de l’attentat est bien résumée par une déclaration que Philippe Grasset fit au Soir. (Le Soir de Bruxelles avait eu la curieuse idée d’une interview de PhG, et d’une interview expresse par téléphone, le 10 septembre 2008 en fin d’après-midi. Le résultat fut assez mitigé quant à l’exactitude du rapport des propos de PhG, et parut dans un entrefilet dans les éditions du 11, dans un ensemble consacré à l’anniversaire.) Nous citons cette phrase précisément dite (de PhG), qui inspira le titre de l’entrefilet et dont l’esprit se retrouve dans tous les textes de dedefensa.org : «La seule chose dont je sois sûr [concernant 9/11], c’est que la version officielle est fausse…» On ne peut désigner cela comme un rejet des “contestataires de la version officielle”.

Mais ce n’est pas le cœur de notre propos, même s’il y conduit, – mais justement, avec l’avantage de nous y conduire… Nous avons toujours estimé l’importance de 9/11 comme psychologique, voire métahistorique, et, plus récemment, dans la logique de cette interprétation originelle (nous en reparlerons), pour le changement radical que l’événement symboliserait et confirmerait à la fois dans le destin d’une crise terminale et accélérée de ce système de puissance et de la “matière déchaînée” ; tout cela, beaucoup plus que l’importance politique interne (aux USA) de 9/11, ce qui explique notre peu d’intérêt pour l’attentat lui-même. Les magouilles et manœuvres, réelles ou éventuelles, avérées ou semi réelles, de la direction politique US ou de l’un ou l’autre des multiples centres de pouvoir, autour, avant et après, au-dessus et en-dessous de 9/11, ne nous apprennent rien que nous ne sachions déjà de la valeur morale, du comportement ontologique de cette direction, de ses méthodes politiques, de son activité considérable voire compulsive au niveau de la communication et de la dissimulation (déception), de son addiction à la guerre, à l’agression, au “sales coups” dissimulés (“dirty tricks”). 9/11 n’a pas changé dramatiquement le pouvoir US ni marqué un changement dramatique de ce pouvoir ; il a exposé un peu plus à ciel ouvert le “totalitarisme démocratique” fondamental de ce pouvoir, derrière une communication marquée par une démagogie également totalitaire. (L’aspect totalitaire du pouvoir US, quelle que soit la forme qu’il prenne, notamment celle de la communication, est une nécessité pour remplacer la légitimité que ce pouvoir n’a jamais eu en raison des conditions non-régaliennes de sa création.) Il y aurait, avec 9/11 considéré du point de vue intérieur comme on l’a vu, plus continuité que rupture, même si dans un mode certes spectaculaire et dramatique.

Ce qui nous intéresse, c’est la nouveauté et la globalité, – 9/11 comme événement psychologique et métahistorique qui accélère la crise générale de l’effondrement du système historique “de la matière déchaînée” (pour cette conception du système historique “de la matière déchaînée”, voyez la thèse de La grâce de l’Histoire). L’élément conjoncturel qui nous permet d’utiliser 9/11 à partir de la phrase citée comme fil rouge initial de notre propos, c’est que nous commençons à percevoir, comme une grande tendance de la situation actuellement, une évolution capitale de la perception de la crise, et au-delà, finalement, de l’évolution de la crise elle-même. Il faut toujours un certain temps pour percevoir les grandes tendances historiques et métahistoriques, leur confirmation, leur intégration dans les événements, entre le moment où vous en percevez les premières indications et le moment où il vous semble que vous pouvez affirmer l’événement. Encore sommes-nous particulièrement favorisés, dans notre époque, par la rapidité de ce processus généralement beaucoup plus long, au point qu’on pourrait presque parler aujourd’hui d’une certaine immédiateté de l’Histoire.

Il fut un temps où 9/11 constituait un événement américain et américaniste (le «Nous sommes tous Américains» d’un Français qu’on reconnaîtra, parce que les Français n’en ratent pas une), – donc événement qui était à la fois symbole d’une volonté de puissance, de pratiques d’un gouvernement démocratique totalitaire, puis inspirateur général d’une période mélangeant des ambitions stupéfiantes de “guerre sans fin” et des circonstances de plus en plus évidentes de revers catastrophiques des aventures militaires US. Cet événement lui-même et ses conséquences, – d’abord illusoirement triomphantes puis rapidement catastrophiques, – restaient typiquement dans le cadre de l’agitation américaniste. Il constituait la structure, le moteur psychologique, l’outil de communication d’un ensemble d’événements animés successivement sinon parallèlement, ironie particulièrement remarquable, par l’exaltation de la puissance américaniste et par la mise à nu des limites catastrophiques de cette puissance. Là encore, il n’y avait rien de tout à fait nouveau, sinon la mise en évidence exacerbée de toutes ces tendances, illusions et pathologies diverses.

Cette schématisation, avec ce rôle purement américaniste de 9/11, a commencé à décliner d’une façon appuyée entre les élections mid-term de novembre 2006 (défaite des républicains) et la crise du 15 septembre 2008. Ce déclin a ensuite accéléré et il est en train de se concrétiser, pour nous observateurs, en un changement complet d’interprétation des événements, et donc du rôle et de la place qu’il faut attribuer à 9/11, qui reste en tant qu’événement (quelles que soient ses modalités et les responsabilités) comme la borne initiale et originelle de la période.

Avec l’arrivée d’Obama et la mise en évidence des caractères de sa présidence marquée par la paralysie et l’impuissance, et, parallèlement, et ceci lié avec cela, la mise en évidence de la situation intérieure US comme un mélange de désordre et de paralysie, il y a un changement complet de la perception dont nous sommes en train de prendre conscience. (C’est même le cas de milieux bureaucratiques européens, les derniers à mesurer ces changements.) La situation US, jaugée à l’aune de cette borne originelle de la séquence qu’est 9/11, apparaît à la fois de plus en plus grave, de plus en plus génératrice d’une structure crisique générale dépassant évidemment les USA puisque cette structure affecte le système ; à la fois de plus en plus approfondie dans le chaos pour les USA eux-mêmes et de plus en plus élargie au reste du bloc américaniste-occidentaliste. Cette évolution fait que 9/11, comme événement métahistorique, apparaît de plus en plus, dans cette perspective nouvelle, non plus comme une date fondamentale de l’Amérique (triomphe faussaire puis chute), mais comme une date fondamentale pour le système dans son entièreté et dans sa globalité. En d’autres mots, la chute des USA en train de se faire entraîne derrière elle, avec plus ou moins de tension et de pression, celle du système ; par conséquent, tout ce qui en dépend (notamment nous-mêmes) en est et en sera bouleversé.

C’est de cette façon que l’introduction sur 9/11 du point de vue purement américaniste nous conduit à la description de la situation présente, beaucoup plus large, perçue désormais, dans la très courte perspective des 2-3 dernières années (depuis fin 2006), comme une période nouvelle. Et 9/11, à la fois détonateur et symbole de la crise, dépasse désormais largement le cadre des USA seuls, du système de l’américanisme réduit aux USA, pour embrasser une période accélératrice de l’effondrement du système de “la matière déchaînée” qui régit, contrôle et “structure” notre civilisation. (Paradoxalement mais d’une façon bien compréhensible, ce système “structurant” effectivement notre civilisation en une “structure de déstructuration”, – c’est-à-dire, pour déstructurer notre civilisation, ou se déstructurer lui-même.) Il y a donc des aspects très contrastés dans cette crise d’effondrement ; s’il y a beaucoup, s’il y a énormément à en craindre, il y a aussi l’évidence que la seule possibilité de libération de ce système maléfique passe justement par cette crise sortie du seul cadre US, devenue structure crisique, devenue processus d’effondrement d’un système général, cette crise du système alimentée par le système lui-même…

C’est de ce point de vue que nous disons souvent que la “vérité” sur 9/11 ne nous importe pas vraiment (non plus que la “vérité” sur la récente affaire Assange/Wikileaks, dont parle également notre lecteur). L’essentiel aujourd’hui, la vérité nécessaire qui domine et règle tout le reste, est que tous ces événements dont la “réalité” s’impose d’elle-même quelle que soit leur “vérité”, confirment le caractère monstrueux et maléfique de ce système général, donc ils confirment la nécessité de le mettre en état de déstabilisation, pour accentuer ses contradictions internes, – car c’est effectivement la seule façon où sa puissance peut se trouver décisivement contrariée, en étant conduite à se retourner contre elle-même. Toute apparition d’une “vérité” fixée, proclamée et reconnue, même favorable aux thèses des critiques du système mais nécessairement officielle et incluse dans la logique du système, impliquerait une “re-stabilisation” temporaire du système, dommageable pour la cause antisystème. (Ainsi en fut-il du Watergate, qui, au prix de l’un ou l’autre lampiste, dont un président des USA qui n’était pas le pire, réussit finalement une opération de réhabilitation temporaire du système. Il en serait de même pour une mise à jour officielle de ce que pourrait être la “vérité” de l'attentat 9/11, impliquant des interférences du gouvernement ou de la bureaucratie US d'alors.)

L’alternative est ailleurs

Nous écrivons beaucoup sous le coup de ces intuitions intellectuelles qui colorent le langage avant d’en arriver à des explications plus structurées, dans le cadre de la raison comme outil utile à ce point. Ainsi, l’agacement dont parle notre lecteur («On sent toutefois un agacement de plus en plus important vis-à-vis du système de l'américaniste, proche de l'exaspération…»), s’expliquerait-il de notre point de vue, de cette façon. En effet, la remarque n’est pas fausse en partie, même si elle demande à être explicitée et précisée. Elle rencontre un sentiment encore diffus chez nous, et elle sert ainsi à le mettre en évidence pour qu’on puisse tenter de le définir mieux, et effectivement rechercher “une explication plus structurée”, – ce que nous sommes en train de faire.

Cet “agacement”, cette “exaspération”, – quoique ces mots désignent sans doute un sentiment plus d’humeur qu’il n’est en réalité, – expriment un certain jugement inconscient de notre part que le système de l’américanisme en tant qu’artefact purement US occupe une position d’imposture (involontaire, pour une fois) en se trouvant toujours dans une situation où l’on pourrait croire que la crise est réduite pour l’essentiel à lui-même. Mais disons la chose plus justement, en expliquant la nuance mise entre parenthèses d’“involontaire pour une fois”, en observant qu’en vérité notre agacement et notre exaspération sont peut-être contre nous-mêmes, qui viendraient de ce que nous-mêmes percevons encore, ou percevions encore il y a peu, les choses de cette façon. Il y a une capacité des USA à figurer au centre de la scène, en “vedette” (non-américaine, pour le coup), même si c’est la scène de l’effondrement de notre système, qui suscite justement, cette fois contre nous-mêmes et notre perception, agacement et exaspération. En d’autres termes et pour caricaturer, tout se passe comme si nous disions aux USA : “Allez, il est temps que vous vous effondriez, qu’enfin l’on puisse voir et comprendre la tragédie que nous vivons pour ce qu’elle est, c’est-à-dire l’effondrement d’un système et d’une civilisation en leur entièreté et non d’un seul de ses composants, fût-il le plus glorieux…”

S’il s’agissait de suivre les évènements aux USA en considérant ce qu’ils signifient pour les USA eux-mêmes, dans le cours de leur effondrement, en les séparant du reste, la réaction naturelle serait alors d’observer que cette puissance s’affaiblit très rapidement, que d’autres vont prendre sa place, que les relations internationales vont se réaménager sans le poids étouffant du diktat de l’américanisme. Mais, en un sens, et certainement dans le sens le plus fort, il faut aussitôt réaliser combien cet espoir est fallacieux, combien cette perspective est trompeuse, combien même la formulation de cette situation hypothétique est erronée, combien cette erreur est dommageable. D’abord parce que le mal fondamental, c’est le système, et que c’est le système qui est en phase d’effondrement, et que nous faisons tous partie du système, de même que les relations internationales en font aussi partie ; ensuite, parce qu’il est nécessaire qu’il en soit ainsi, parce que le mal fondamental de cette civilisation est le système de l’“idéal de puissance”, ou de la “matière déchaînée”, et que cela ne se réduit certainement pas à l’Amérique, aux USA, même si les USA en furent et en restent jusqu’au bout, dans une course suicidaire, les plus zélés dévots.

…Enfin, parce qu’on observe que nous en sommes au point où, effectivement, il faut également réaliser que le système n’est plus vraiment un ennemi dynamique et actif qui nous contraint à une bataille manichéenne mais une prison délabrée dans laquelle la raison humaine toute entière s’est laissée volontairement emprisonner. Il faut donc aussi bien observer la crise de l’effondrement en lui trouvant des aspects positifs malgré le terrible poids qu’elle nous impose, que s’activer à s’évader psychologiquement de cette prison qu’est le système de la modernité (autre nom, pour fixer les idées). Nous l’écrivions le 26 août 2010, dans un texte qui suivait les mêmes observations, mais essentiellement pour le seul domaine de l’information :

«Le système n’est plus vraiment un ennemi, dans le sens dynamique du terme. Il devient de plus en plus une énorme prison qui emprisonne et écrase tout le monde, à commencer par les serviteurs du système. Cette prison, qui est obèse, statique, épuisée, est percée de divers orifices qu’il faut savoir utiliser pour observer la vérité du monde hors de cette insupportable pression.»

Il faut donc éventuellement attendre avec une certaine ferveur l’effondrement des USA, – disons, l’éclatement des USA, pour effectivement rompre le maléfice fascinatoire de l’American Dream. D’autre part, cela en ayant d’ores et déjà à l’esprit que la rupture de ce maléfice mettra en pleine lumière la situation du système comme prison centrale de notre civilisation, dont les USA ne furent que le plus brillant geôlier, ou, pour mieux dire encore, le kapo le plus efficace. Par conséquent, il y a la nécessité de préparer la “grande évasion” du système (pour poursuivre l’image ci-dessus) à l’occasion de l’effondrement de la chose. Il s’agit certainement d’une situation type-TINA, certes – “There Is No Alternative”, – mais seulement dans le domaine historique et économique où évolue ce système, qui est un domaine devenu ainsi substance du mal comme “source de tous les maux”. Il est de plus en plus évident que l’alternative ne pourra être trouvée qu’ailleurs, hors des cadres existant aujourd’hui. Tout ce qui nous en fait prendre conscience est une bonne chose, et la réalisation que notre crise ne s’arrête certainement pas à celle des USA fait partie de ce processus.

Pour terminer, on observera que certains pourraient se faire l’avocat des craintes évidentes, devant cette terrible crise, en s'exclamant à propos de notre démarche, – pourquoi la souhaiter, cette terrible crise de l’effondrement, alors qu’elle est porteuse de tant de désordre et de tant de misère ? Mais nous dirions alors qu’il importe peu que nous la souhaitions parce qu’elle est là et bien là, déjà en cours et en marche, parmi nous, devant nos yeux, avec son désordre et ses misères. Nous sommes les spectateurs de notre propre effondrement en cours, et la seule chose qu’il faut souhaiter est d’en être les spectateurs lucides.