Chavez est diablement sérieux

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Chavez est diablement sérieux


6 octobre 2005 — L’annonce par le président vénézuélien Hugo de sa décision de transférer les placements à l’étranger du Venezuela des USA en Europe est passée inaperçue. (Cette annonce publique date du 1er octobre.) Ces réserves sont estimées à $25-$30 milliards, en constante augmentation à cause des revenus des ventes de pétrole. Le but ultime de Chavez est un transfert d’une importante partie de ces investissements vers l’Amérique Latine, en même temps qu’on constituerait une banque centrale continentale dont l’objet serait de fournir des fonds de développement aux pays de la région.

Voici le développement de cette information :

« Venezuela’s President Chavez announced yesterday [30 September], during his trip to Brazil, that Venezuela has sold its foreign currency reserves, which were held in U.S. treasury bonds, and deposited them in banks in Europe. “We have had to withdraw our international reserves from U.S. banks, due to the threats we have,” said Chavez, according to the Associated Press.

» Chavez went on to say that his government is interested in depositing a part of its reserves in Latin America. “Just as we moved them to Europe, we can move them to a South American bank. By god, don’t tell me that’s impossible,” said Chavez. Chavez made the comments in the context of a summit of South American leaders, which took place in the Brazil’s capital of Brasilia.

» In the course of the meeting, which leaders from Chile, Bolivia, Peru, Paraguay, Ecuador, Venezuela, Brazil and Argentina attended, Chavez proposed that they should all consider depositing a part of their foreign currency reserves in a newly created South American development bank. Venezuela would be willing to launch such a bank with an initial deposit of $5 billion. According to Chavez, such a South American development bank could eventually include countries from Asia and Africa, to become a world bank. “It is a stupidity that a majority of our international reserves are in banks of the North,” said Chavez to the gathered leaders.

» Recently, Venezuela’s National Assembly changed the country’s central bank law, so that “excess” foreign reserves can be used for repayment of Venezuela’s foreign debt or for purchases abroad. The Central Bank is to calculate how much foreign reserves Venezuela ought to have and reserves in excess of this amount would be transferred to a special development fund. Until recently, the Venezuelan Central Bank held $32 billion, of which $2 billion have already been transferred to the development fund. Chavez says that the ideal foreign reserve level is $25 billion, which means that the government could have access to another $5 billion. »


Il importe moins ici de discuter de la validité financière des projets de Chavez, — dans tous les cas, de tous les projets financiers de Chavez : certains sont immédiatement possibles, d’autres beaucoup moins. L’essentiel est l’intention et ce que signifie cette intention.

Chavez attaque l’Amérique là où l’Amérique est la plus sensible. L’Amérique aujourd’hui est un océan de dettes à la merci d’un mouvement de contagion de retrait des investisseurs étrangers. La seule logique qui interdit ces retraits est celle, implicite et non manipulée, du chantage paradoxal, et elle vaut parce que nombre d’investisseurs sont des entités publiques de pays étrangers (cas du Venezuela, cas de la Chine, etc.) : c’est la crainte qu’un retrait brutal porte un coup fatal à l’Amérique et conduise à son effondrement économique, avec des conséquences internationales colossales. C’est, notamment, le calcul que font les Chinois, — mais pas Chavez, comme on le voit.

L’important dans l’acte de Chavez n’est ni le montant retiré (assez maigre en comparaison du volume général), ni les orientations qu’il désigne pour les avoirs vénézuéliens. L’important est d’abord l’acte lui-même : une décision politique de retrait de ses investissements. C’est une décision politique hostile aux USA (lorsqu’il fait passer l’argent des USA à l’Europe), même si la finalité est constructive (constitution d’institutions financières continentales en Amérique Latine, éventuellement pour l’Afrique en plus). Chavez pose un acte de guerre économique et de guerre financière contre les USA dans le domaine le plus sensible qui soit. Cela représente une innovation audacieuse, qui peut effectivement mettre en cause le tabou du “chantage paradoxal” (effet d’entraînement de sa décision?).

D’autre part, la chronologie de cette décision, après l’ouragan Katrina, n’est pas innocente. Cela sera compris par certains de cette façon. L’ouragan Katrina et ses suites ont montré l’état réel de la puissance américaine et contribué fortement à la dégradation de l’appréciation de la puissance américaine. L’annonce fin septembre de la décision de retrait, après un retrait effectué courant septembre (quelle que soit la chronologie de l’origine de la décision), représente une marque de défiance justifiée à cette lumière de la puissance US et de la capacité américaine à assurer une bonne rente aux investisseurs. La décision de Chavez sera acceptée comme quelque chose de cohérent et de défendable par nombre d’investisseurs ; elle ne sera pas considérée seulement comme un acte de guerre économique selon des motifs idéologiques, mais comme une décision financière qui a sa justification.

Ces différents facteurs font que l’effet d’entraînement de la décision de Chavez est possible. On mesurera sa réalité d’abord du côté des autres pays d’Amérique Latine, s’ils suivent. On la verra aussi dans une éventuelle accélération du mouvement de passage du dollar à l’euro pour le règlement de certaines transactions importantes. Dans tous les cas, Chavez s’avère comme un adversaire avisé et coriace des USA, surtout par la dimension internationale qu’il veut donner à sa lutte anti-américaine. (Son habileté se mesure aussi à sa capacité de distinguer entre le système américaniste et les Américains : on l’a vu, fin août lorsqu’il accueille Jesse Jackson pour fêter l’anniversaire du discours de Martin Luther King de 1963 ou début septembre, lorsque le Venezuela propose de livrer du pétrole et une aide financière aux victimes de Katrina.)