Chavez leur prépare un nouvel Irak

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Chavez leur prépare un nouvel Irak


5 mars 2006 — L’on pense et l’on dit ce que l’on veut à propos de l’Irakien Saddam Hussein, — situé actuellement quelque part entre l’Antechrist et Hitler sur l’échelle du décervelage propagandiste de américanisme, — il reste à lui reconnaître, d’une façon assez surprenante, un certain génie de stratège. Lui qui semblait si inepte dans le domaine de la pensée militaire en 1991 (défaite dans “la mère de toutes les batailles”) comme en avril 2003 (prise de Bagdad), il se révèle aujourd’hui, a posteriori, comme un remarquable organisateur d’une stratégie de guerre de guérilla très élaborée, — si c’est effectivement lui qui a mis en place les structures en action contre les Américains depuis ce même avril 2003. La formule fait des émules ; pas de surprise, d’ailleurs, puisqu’il s’agit de l’application d’une simple appréciation de bon sens des forces et faiblesses en présence.

C’est de cette façon que nous interprétons la nouvelle, développée hier par The Guardian, de la mise en place au Venezuela d’une structure paramilitaire dont le but est ouvertement de résister à une invasion militaire américaine dans le style de ce qu’on voit aujourd’hui en Irak. La chose est explicitement présentée de la sorte: « General Alberto Muller Rojas, one of the members of the army high command who helped to devise the new thinking in military strategy being adopted by Venezuela's leftwing government, said: “If for example the United States were to invade Venezuela one day, and that's what many people are expecting, the only way we could repel such an attack would be a full scale guerrilla war against the foreign aggressors. Our professional army only numbers 80,000 soldiers, so we would need to use civilians like in Iraq to fight the Yankee forces.” »

Cette nouvelle suit des tensions nouvelles développées entre les USA et le Venezuela, évidemment à l’initiative des USA. Ces tensions ont été l’occasion pour Chavez de signaler son intention de renforcer lui aussi sa position. Le même Guardian signalait la chose le 17 février : « Venezuela's president, Hugo Chávez, said he would resist an “imperialist attack” after Washington announced it would pursue an “inoculation strategy” against his government by creating a united front against its policies. The rhetoric reflected a rapid deterioration in relations between the two countries after Venezuelan espionage allegations against the US and tit-for-tat expulsions of diplomats.

» The US secretary of state, Condoleezza Rice, used her harshest language to date in testimony to Congress on Thursday in which she called Venezuela and Cuba “sidekicks” of Iran, and launched a campaign to rally international opposition to the Chávez government.

» Ms Rice said the campaign amounted to “an inoculation strategy” against Venezuela, which she accused of “attempting to influence neighbours away from democratic processes”. She said: “We're working with others to try to make certain that there is a kind of united front against some of the kinds of things that Venezuela gets involved in.” »

Cette nouvelle aggravation de la situation des relations (?) USA-Venezuela explique l’évolution actuelle au Venezuela, où l’on observe une transformation structurelle du pays vers une situation de mobilisation populaire permanente, — une mobilisation de type passif mais qui peut être activée très rapidement lorsque la structure sera en place. Le régime Chavez, qui semble trouver une base intellectuelle avec l’apparition d’une “nouvelle pensée stratégique” et d’hommes pour l’élaborer et l’appliquer, met en place une structure considérable de réservistes. La réserve prend les allures d’une puissance paramilitaire destinée à “doubler” pour les renforcer (ou les suppléer selon leur solidité et leur loyauté) les forces armées. Elle devrait compter jusqu’à 2 millions de soldats immédiatement disponible en cas de mobilisation générale : « Around 500,000 Venezuelans will start a four-month military training programme today to turn them into members of the country's territorial guard. They are the first group of a total of 2m Venezuelan civilians who have so far signed up to become armed reservists. By the summer of 2007, Venezuela is likely to have the largest military reserve in the Americas, which is expected to be almost double the size of that in the United States. »

Il s’agit d’une exploitation à fond du principe de la “guerre de la quatrième génération” chère à William S. Lind et face à laquelle les USA sont si impuissants, avec la variante d’appuyer cette forme de guerre sur un très fort sentiment national. Il semblerait qu’on se trouve, à l’exemple initial de l’Irak, devant un mouvement général dans les zones du tiers-monde anti-américanistes. S’il s’agit d’un mouvement défensif logique, on peut également l’interpréter comme une stratégie de contre-offensive non élaborée mais finalement réalisable par la force de l’évolution des situations.

Dans ce cas, l’interprétation est qu’il s’agit de créer des “centres de provocation” pour attirer l’Amérique dans des aventures extrêmement coûteuses, dont les effets peuvent entraîner un collapsus américaniste intérieur. C’est la formule du Che (créer “cent Viet-nams”) revue et adaptée aux conditions postmodernes (créer “cent Iraks”). Les conditions actuelles sont telles qu’il devrait s’avérer très rapidement que l’Irak est beaucoup plus coûteux et beaucoup plus dangereux pour l’équilibre interne des US que ne le fut le Viet-nam. Devant de telles perspectives, il serait temps que les dirigeants européens s’aperçoivent que le reste du monde (hors du moule transatlantique) existe et qu’il pourrait créer une situation dramatiquement nouvelle.

La formule développée par le Venezuela est, comme la “guerre de la quatrième génération” elle-même, définissable également comme une simple réaction classique d’un pays militairement faible contre la menace d’un pays fort, à l’exemple également des structures dont se dota Cuba dans les années 1960 (Chavez est un proche de Fidel Castro), ou le Viet-nâm lui-même. (Ou encore, c’est une extrapolation du “modèle suisse” de défense civile, si en vogue dans certains milieux militaires occidentaux à la recherche de structures alternatives dans les années 1960 et 1970.) C’est une affirmation claire du Venezuela du refus de se battre sur le même terrain que les USA (armées conventionnelles, armes hautement sophistiquées).

A la différence des conditions des années 1960 (le Viet-nâm et les ambitions du Che), on ne se trouve pas devant un affrontement d’idéologies à prétention universaliste. Il s’agit au contraire d’une situation diplomatique et politique marquée par un déséquilibre des situations et des intentions, — entre, d’une part, une force agressive, avec des effets déstructurants dévastateurs, au nom d’une idéologie dont les éventuelles vertus (s’il y en a) sont étouffées par un rythme de radicalisation permanente, d’une façon très surprenante et paradoxale : radicalisation malgré un épuisement évident des outils militaires de cette force ; — d’autre part, un ensemble de forces fractionnées, n’ayant aucune ambition collective, universaliste, aucune idéologie collective de caractère organisée, etc., mais en cours d’organisation selon une doctrine défensive dont l’efficacité est chaque jour démontrée en Irak.

Le fait majeur de ces dernières années est incontestablement la mise en évidence des limites dramatiques de la puissance militaire américaine. L’autre fait majeur est le refus de cette puissance de tenir compte de la mise en évidence de cette faiblesse. Les événements ont démontré que cette faiblesse était la conséquence des choix d’équipements d’une puissance considérable mais inutile pour les conflits encours, et finalement contre-productifs ; de tactiques complètement inadaptées au type d’adversaires rencontrés ; de la lenteur et de la lourdeur d’une organisation logistique titanesque et pléthorique, incapable d’alimenter les forces selon leurs besoins immédiats et impératifs ; d’une inadaptation psychologique énorme de ces forces pour les terrains où elles sont engagées. Le refus de cette puissance de prendre en compte la mise en évidence de sa faiblesse pour tenter d’y remédier est l’effet d’une perversion de la psychologie marquant toute sa structure bureaucratique, qui est essentiellement un véritable refus de la réalité (virtualisme).

C’est ce que Greg Grant explique de cette façon, dans Defense News du 13 février 2006, en commentant la QDR 2005: « Critics believe Rumsfeld’s Pentagon failed to make any real organizational or weapon changes because the military views the “war on terror” as a largely intelligence and law enforcement challenge, and that widely dispersed terrorist networks do not warrant a major reorganization of the armed forces.

» “The words are there, but in terms of the money going to anything, they don’t take it that seriously,” said Lawrence Korb, former assistant secretary of defense in the Reagan administration.

» Human intelligence, not high-tech gadgetry, is what is needed to root out terrorist cells, according to military analysts. But officers in the U.S. military yearn to command tank battalions, fly fighter planes or skipper a ship, not meet with an informant in a back alley to trade money for secrets.

»  “The services look at the terrorists and say, ‘This is just not my idea of a world-class threat, so if the politicians are going to go crazy over it, I’ll take the money, but I’m going to find out some way of maintaining a coherent defense posture,’” said defense analyst Loren Thompson of Washington’s Lexington Institute think tank. »

Chavez entend tirer profit de cette attitude. Le Venezuela est en train d’être transformé en un terrain idéal pour le développement d’une nouvelle “guerre de la quatrième génération”, un nouvel Irak. Les Vénézuéliens semblent également persuadés de la valeur dissuasive de leur formule, ce qui reste à voir en présence d’un adversaire qui a montré plus d’une fois sa déraison dans son action dans le monde réel, à cause de cette attitude virtualiste amplement démontrée. Le Guardian écrit encore: « Top military officials are confident that a reserve force of 2m, or one in five adults, would be sufficient to dissuade any country from invading Venezuela, the world's fifth biggest oil exporter and fifth biggest supplier of crude oil to the US.

» Many of Venezuela's state-owned companies, such as the oil giant PDVSA, have started their own territorial guard units. However, they are being asked to join the formal training programme offered by the armed forces.

» Richard Arrais, 40, a marketing executive who works at PDVSA's headquarters in Caracas, has his own office and works in a nine-to-five job Mondays to Fridays. But once a week he and his friends meet up as reservists. He said: “Since January we've been holding informal meetings to discuss military tactics and to receive courses such as first aid. But the training starting this Saturday will be tougher. There will be drill, weapons training and assault courses, as well as a military exercise in the countryside.”

» Mr Arrais and others like him say they are happy to give up every Saturday in defence of their fatherland and the values of President Chávez's socialist revolution. They believe internal opposition forces and the United States could strike at any moment. »