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28 octobre 2002 — Les temps sont durs. Le Times de Londres, dont on ne peut soupçonner les sentiments mais qui a aussi des attentions pour le libre commentaire, titre froidement et cruellement, ce matin : « US-British strategy on Iraq close to collapse ».
Le week-end a été très pénible pour GW, un vrai chemin de croix. Sa visite au Mexique, samedi, a été un désastre. Avec Fox, il est tombé sur un roc aimable, qui n'a pas bougé d'un pouce à propos de la résolution sur l'Irak. Le Mexique est proche de la France, point final. Avec les deux énigmatiques Asiatiques, Japonais et Sud-Coréens, il n'a pas obtenu la condamnation de la Corée du Nord. (Question : les deux honorables Asiatiques se seraient-ils permis une telle insolence si l'Amérique n'était pas baladée comme elle l'est aujourd'hui au Conseil de sécurité ? On commence à mesurer les dégâts.)
Le Washington Post, pourtant d'habitude aimable avec GW, ne s'est pas privé de décrire ses déboires, y compris durant la conférence de presse avec Fox. Le président américain est d'une humeur exécrable, et il le montre un peu trop en vitupérant l'un ou l'autre qui se permet de téléphoner dans un portable. On s'affole, GW interrompt le traducteur avant qu'il ait pu traduire une réponse de Fox aux journalistes américains (explication : « Answered in Spanish »). Séquence :
« Bush has little patience with ceremony and has always kept his visits to international gatherings as brief as possible. With other leaders not rushing to embrace his plans, he did not conceal his testiness today. The only time he spoke to reporters was during a photo session with Fox, and he glowered during Fox's windup and looked annoyed at the unruliness of the camera crews. The last straw was when a cell phone went off, which infuriates Bush, even when the violator is a member of his staff. In a breach of protocol, Bush cut off the translator before Fox's answers could be rendered in English, and the White House transcript ignored Fox's words, saying simply, “Answered in Spanish.” In addition to his comments about the U.N. resolution, Fox criticized U.S. restrictions on Mexican agricultural imports as well as subsidies to U.S. farmers. »
Les Américains peuvent-ils être battus à l'ONU ? (Et encore faut-il mesurer les termes : “battus”, ce serait que leur résolution ne soit pas adoptée, ce qui veut dire qu'une “victoire” serait l'adoption d'une résolution qui comprend déjà des concessions qu'eux-mêmes, les Américains, jugent substantielles.) Oui, les Américains peuvent être battus. Les Français s'exclament : il ne faut pas parler en termes de “victoire” ou de “défaite” (ce qui semble une tactique universellement admise : Fox l'emploie à qui mieux mieux).
Les Français ont choisi comme tactique de se proclamer les meilleurs amis des Américains (sorte de special relationships ?) et spécialistes de la recherche d'un compromis au Conseil de Sécurité, alors qu'ils organisent une résistance farouche contre les Américains et que leur formule à deux résolutions, supprimant l'“automaticité” de l'attaque en cas d'insatisfaction du côté des inspecteurs, représentent la pire attaque possible contre les Américains. La tactique est excellente parce que personne n'a ainsi l'impression de s'opposer au buffle déchaîné qu'est Washington. Cela rassure.
Une semaine capitale s'ouvre à New York, plus qu'à Washington. Le pire, c'est effectivement une rupture entre Washington (avec Blair dans la poche-arrière) et le Conseil de Sécurité, pour une raison ou l'autre. Les USA sont alors placés devant la perspective de devoir agir seuls (avec Blair ...), ou, dans tous les cas, sans soutien de la “communauté internationale”. Dans les pires conditions :
• Ils sont moralement et, surtout, psychologiquement affaiblis.
• L'opposition à la guerre se trouve renforcée; aussi bien aux USA que dans le monde, et notamment dans la région.
• Il n'est pas dit qu'une telle défaite à l'ONU ne donnerait pas une victoire inespérée aux démocrates, dans les élections de la semaine prochaine. (Un Congrès démocrate, remonté contre GW ? Il ne manquerait plus que cela.)
• Blair risque tout simplement de perdre son poste, et si cet événement survenait il déclencherait une révision dramatique de la politique transatlantique du Royaume Uni.
Répétons-le, c'est le pire des scénarios. Il n'empêche : comment les Américains se sont-ils mis dans ce cas ? L'habile manoeuvre tactique du 12 septembre applaudie partout et universellement (GW devant l'ONU, passant la patate chaude irakienne au Conseil de Sécurité en le mettant au défi de faire quelque chose) est un désastre stratégique. (Étrange, on rejoint le schéma proposé pour d'autres circonstances par le “Dr. Werther” dans son texte sur le «Nuclear Schlieffen Plan», estimant que la stratégie de l'administration GW Bush revient à retrouver le schéma du Plan Schlieffen : de succès tactiques en succès tactiques pour aboutir à un désastre stratégique.)
Les USA ont choisi depuis le 11 septembre 2001 une stratégie unilatéraliste. On aime ou on n'aime pas, mais on doit la tenir. On ne change pas de stratégie au bord du gué (l'attaque contre l'Irak) pour plaire aux deux pelés et aux trois tondus du Conseil de Sécurité (interprétation neo-cons). Et toujours ce même défaut de la suffisance et de l'arrogance, cette certitude américaine qu'on ne ferait qu'une bouchée du Rest Of the World ; vendredi encore, Negroponte, l'habile ambassadeur US à l'ONU venu d'Amérique Centrale où il a laissé de si bons souvenirs, confiait que les USA ne feraient qu'une bouchée de Fox, qui devrait donc se rallier le lendemain face aux pressions de GW-Powell. Fox a du apprécier. Il n'a pas cédé. A bon entendeur (mais les Américains sont-ils capables d'entendre quoi que ce soit ?).