Cheney et le tir au pigeon

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Cheney et le tir au pigeon


16 février 2006 — L’accident de chasse du vice-président Dick Cheney, tirant par mégarde sur un de ses amis (Harry Whittington, un avocat de 78 ans, décrit comme très riche), a déclenché une tempête médiatique aux USA. Cette remarque du gestionnaire d’un blog américain, Davenetics.com, reflète une réaction de bon sens qu’on peut avoir devant ce torrent médiatique, en s’en tenant aux faits et en écartant naturellement l’éventuelle antipathie qu’on peut avoir pour Dick Cheney et pour son comportement: « So I am that animal-loving, vegan faux-leather wallet carrying left winger you’ve been hearing about.

» That said, the coverage of the Cheney hunting accident has been beyond absurd and provides a perfect example of why so many people hate politics, the media and political media. Is it my imagination, or is the media being more hard-hitting and aggressive about this story than they were in the lead-up to the war? »

C’est la réaction assez logique, si l’on considère les faits bruts, du “Much Ado for Nothing” de Shakespeare. Bien entendu, puisque nous sommes aux USA et que nous sommes dans le temps historique du virtualisme, tout n’est pas aussi simple, surtout lorsqu’il s’agit des prétendus “faits bruts”.

Effectivement, — pourquoi cette colère, ce torrent de sarcasmes et de critiques ? (On peut, par exemple, lire les réactions et commentaires divers dans le Washington Post ou dans le New York Times pour avoir l’un ou l’autre rapport sur les réactions.) Comment justifier ce constat de CBS, rapporté le 15 février sur le site du Wall Street Journal : « According to CBS News, the source said the issue was no longer Cheney's view of press management but rather about Iraq, Hurricane Katrina and a range of other issues that play into the public's view of the administration's arrogance. »? Comment justifier de n’avoir rien dit ou presque de cette arrogance à propos de l’Irak, affaire essentielle du point de vue de la sécurité nationale, alors qu’on la dénonce dans le cas assez mineur pour le bien collectif de l’accident de chasse de Cheney? (Katrina nous donnant un autre exemple intéressant pour cet aspect des choses.)

Notre appréciation est que la réaction est d’autant plus vive sur cette matière où le conformisme patriotard n’est pas engagé du côté du pouvoir, que l’auto-censure est forte en temps patriotard normal et sur les matières classiques du domaine. Les médias et autres commentateurs institutionnalisés, type-soviétisé où s’abîme aujourd’hui la “grande presse”, se sont défoulés en cette circonstance. Ils font payer pendant un instant à l’horrible Cheney ce que Cheney-statue du Commandeur leur impose indirectement d’infâmie conformiste et d’auto-censure bien-pensante, simplement par sa présence et la politique qu’il fait et qu’il faut soutenir, en temps normal (Irak) et dans les circonstances normales post-9/11. On avait vécu un phénomène semblable au moment de Katrina, au point où nous-mêmes avions cru pendant quelques jours que la presse conformiste US s’était effectivement libérée du carcan de conformisme qu’elle s’impose d’une façon forcenée depuis quatre ans.

Cette fois, Cheney est pris la main dans le sac en état presque d’illégalité, ou d’arrogance, ou d’autoritarisme, dans une cause qui n’a pas l’onction du conformisme américaniste. Quand on est vice président, on n’est pas maladroit à ce point ; on peut faire bombarder Falloujah jusqu’à plus soif mais on ne peut tirer par inadvertance sur un ami, sans avoir payé sa licence ($7) en sus. Ceux que Cheney oblige en temps normal à s’auto-censurer le lui font payer au centuple pendant quelques jours.

(Curieusement, il se trouve que c’est dans son interview-confession que l’horrible Cheney apparaît le plus humain et presque pathétique, comme s’il vivait vraiment un drame personnel, au moment où il est devenu un punching-ball national. Ces temps sont sans pitié. Ayant dit cela et décidant aussitôt que vous êtes bien naïf, vous pouvez aussitôt aller à l’autre extrême et considérer qu’effectivement, en cette circonstance, Cheney joue la comédie, qu'il s’est conduit comme une crapule et qu’il a dissimulé une vérité hautement dommageable, comme WSWS.org joue (à peine) à le suggérer. Ces temps sont sans pitié, — mais à qui la faute?)

Comme dans toute bonne histoire washingtonienne, il y a tout de même un aspect politique/politicien.

• Bien entendu, GW (c’est-à-dire Karl Rove) est furieux de la façon dont Cheney a “géré” cette affaire au point de vue des relations publiques. (Selon le même article de Dow Jones, « A source described as close to the Bush administration said people inside the White House are “livid” about the way Vice President Dick Cheney's office has handled the hunting accident he was involved in over the weekend ».) C’est le premier écho d’un conflit entre GW (Rove) et Cheney qui est sérieux (même si, officiellement, GW fait savoir que tout va bien). Est-ce ce durable? Peut-être bien parce que dans cette Maison-Blanche, on pardonne ou on ignore les fautes politiques, stratégiques, étiques, mais certainement pas les fautes de relations publiques.

• Pour cette même raison, Cheney est affaiblie dans sa position. La presse continuera (recommencera) à le traiter avec déférence sur des matières de sécurité nationale parce que la couardise de la presse “officielle” est sans fin. Mais il est possible que le pouvoir judiciaire prenne moins de gants dans certaines de ses investigations, notamment pour l’interroger dans des matières délicates, comme le procès de son chef de cabinet Libby.