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559912 décembre 2022 (13H40) – J’ai hésité pour le titre : fallait-il mettre cet ordre-là “Désespérément, obstinément”, ou bien l’autre finalement choisi (“Désespérément, obstinément”)... On comprend la nuance : l’un dit : “décidément, il n’y a plus rien à attendre”, et l’autre : “il n’y a plus rien à attendre, mais il faut néanmoins en attendre”. L’un fixe paradoxalement le triomphe de l’homme inutile : “J’ai beau m’acharner, je sais que je ne sais rien” ; l’autre parle de l’homme inutile qui admet ses limites, “je sais que je ne sais rien mais suis conduit à croire que d’autres forces se chargent de la chose”. Ce sont les limites de l’immanence et la sauvegarde par la transcendance. C’est un acte de foi diront certains, mais il n’est pas sans raison, – ni contraire à la raison, après tout...
Sainte-Beuve disait ce que je cite ci-après pour saluer Tocqueville qui venait de mourir... Mais ce qui m’importe dans cette citation concerne strictement le mot sur Pascal, en écartant le “enrageant” qui est mouvement d’humeur et imaginant pour mon compte que Sainte-Beuve a voulu penser à la religion en parlant de “la croix” mais qu’au fond, et inconsciemment, il nous a suggérés qu’il était aussi question de la foi inévitable et nécessaire :
« Tocqueville m'a tout l'air de s'attacher à la démocratie comme Pascal à la Croix : en enrageant. C'est bien pour le talent, qui n'est qu'une belle lutte ; mais pour la vérité et la plénitude de conviction cela donne à penser. »
Ignorons cette « plénitude de conviction » que Pascal n’avait ou n’avait pas, – là aussi, il est question de conviction, – et restons attachés à la seule question de “la vérité”. Si « cela donne à penser », c’est encore sur la question de l’humeur bassement humaine, tandis que “la vérité” est une autre affaire, – je ne lui mets pas d’italiques, indiquons que je détache le concept de la citation. Ce n’est pas l’humeur de Pascal qui compte, – malgré l’immense et affectueux respect que je lui voue, – mais “la vérité” qui reste, presque quatre siècles plus tard et pour l’éternité après tout, une question toujours aussi vive, aussi considérable, aussi énergique, une question qui est le propre de notre vie elle-même. L’homme n’a accumulé que des échecs depuis Pascal, mais “la vérité demeure” comme l’énigme indépassable.
Aujourd’hui, comme Pascal et comme Sainte-Beuve jugeant Pascal “en passant”, la question de “la vérité” est encore là ; non, elle est encore là bien plus et bien pure, elle est plus que jamais là, avec la Vérité soumise à des assauts d’une effroyable et diabolique puissante ; martyrisée, torturée, violentée comme jamais ! La question de la vérité est plus que jamais présente et écrasante, angoissante, sans cesse renouvelée, posée comme un ultime mirage, un horizon sans fin, comme un dernier souffle d’une raison de vivre.
Nous l’affrontons comme on se heurte à un Sphinx maléfique et ricanant, chaque jour plus effrayant et insultant, ce Sphinx monstrueux dans une époque-devenue-folle en se perdant comme dans un labyrinthe semé d’indications trompeuses et déguisées, dans une succession de périodes de transition dont la dernière, celle que nous vivons, est conduite à un train d’enfer par des contrôleurs-poinçonneurs (nos élitesSystème) promis conducteurs par une direction où règne la folie tourbillonnante. (Maffesoli fait la différence entre “époque” qu’il décompte en quatre-cinq siècles, et “périodes” [une ou plusieurs] qui se comptent en décennies, qui caractérisent le passage d’une époque à l’autre.)
Ainsi en sommes-nous là, dans le tourbillon crisique de la communication qui est comme un vertige, comme une ivresse de connaissances allant et venant comme des rafales de ces armes qui rythment la guerre sur notre Est, des rafales de Kalachnikov (l’arme des révolutionnaires). On admettra que ce vertige-ivresse n’est pas le meilleur état de l’esprit pour juger des choses jusqu’à la question de la vérité. Pourtant, me dis-je, jamais la Vérité n’a été plus proche de nous sous forme de vérité-de-situation, alors qu’elle ne nous a jamais été aussi étrangère.
Si je fais ces considérations intemporelles tout en les orientant vers notre période, c’est parce que nous traversons une portion de temps marquée par l’incertitude., – je parle de l’Ukraine, au niveau opérationnel, que j’essaie un peu plus loin de prolonger au niveau de la politique, voire de la psychologie au plus haut niveau.
Pour ce qui est de cette incertitude, aujourd’hui, on parle de ces rumeurs d’une grande offensive russe, alors que l’armée ukrainienne est manifestement très éprouvée. Tout le monde attend et annonce cette offensive, et cette offensive tend à se manifester. En quelques jours, voire quelques heures, les commentaires prennent des allures sceptiques, confuses, essentiellement au sein des commentateurs habituels et habituellement pro-russes. Ainsi, par instants, les événements se révèlent métahistoriques et nous laissent avec des interrogations dont chacun tente de réduire l’importance.
Ainsi ceci, d’Andrei Martyanov :
« Beaucoup d'entre nous : Larry, moi, Bernhard et d'autres parlent de la possibilité (50/50) que la Russie ne passe PAS à l'offensive en décembre, comme l'a prédit, par exemple, Douglas Macgregor. Attention : il n'y a pas de contradiction ici, – l’offensive aura lieu, c’est sûr à 100%, c’est une simple question de chronologie, pour savoir QUAND. Gardez à l'esprit que nous ne connaissons pas la dynamique des jeux de coulisse et que nous n'avons pas une image complète de la diplomatie secrète, sans parler des renseignements. La Russie est, en effet, en pleine démilitarisation de l'OTAN, à tel point qu'un général français au nom russe, – Yakovlef, – parlant sur la chaîne de télévision française LCI, a proposé de bombarder la parade du 9 mai sur la Place Rouge. Cela montre la rage impuissante de beaucoup de gens en Occident et ce facteur, – l’impuissance aboutit souvent à des décisions totalement irrationnelles, – devrait également être pris en compte au Kremlin. Je suis sûr qu’ils le savent et qu’ils en tiennent compte.
» Donc, l'offensive peut commencer en décembre, en février ou en mars. Nous verrons bien.... »
... Mais je tendrais à donner une importance plus grande, et différente, dans un autre domaine, dans ce que je perçois comme un instant assez fugitif mais marqué, de vide événementiel et prospectif. Je fais alors intervenir d’autres facteurs, et j’en (re)viens à parler de Poutine et de Merkel.
Je crois intuitivement que Poutine a été fortement marqué par l’affaire Merkel (“la trahison Merkel”). Je crois qu’il avait mis beaucoup, depuis longtemps, sur cette entente personnelle, cette intimité qu’il croyait avoir de bonne foi avec Merkel. On a à l’esprit ce que notait Korybko :
« Ils parlent tous deux couramment la langue de l'autre, ont passé leurs années de formation professionnelle dans l'ancienne Allemagne de l'Est, ont été ou sont à la tête de grandes puissances historiques, et leurs économies respectives sont clairement complémentaires, raison pour laquelle ils ont étroitement coopéré sur un large éventail de questions. Au fil du temps, le président Poutine a commencé à se projeter sur elle et à lui présenter sa grande vision stratégique d'une “Europe de Lisbonne à Vladivostok”, ce qu'elle a accueilli en s’y intéressant de manière rhétorique, laissant ainsi indirectement croire à son adhésion au concept. »
Poutine avait fini par croire que Merkel représentait effectivement une tendance allemande fondamentale, et comme il croyait en Merkel, il était amené à penser que cette tendance, si bien préparée par elle, lui survivrait. Il était un peu avec cette même erreur qu’avait commise de Gaulle avec Adenauer, en jugeant presque affectivement que l’entente entre Adenauer et lui signifiait l’entente de l’Allemagne avec la France selon ses propres conceptions d’une Europe indépendante. Même si de façons différentes, les deux se sont trompés sur les sentiments allemands, ils ont sous-estimé l’extraordinaire soumission allemande aux USA (car même les projets d’hégémonie allemande sur l’Europe rappelés par Korybko passent par le feu vert américaniste).
Alors, je poursuis mon hypothèse en forme d’intuition symbolique et affective, et je me dis que l’affaire Merkel a profondément affecté Poutine qui ne le montre pas vraiment ni ne dit mot trop révélateur à cet égard mais voit, au fond de lui-même, son jugement général bouleversé. On a déjà vu que Poutine semble un homme plus complexe qu’on ne croit, et cette complexité peut aussi s’exercer dans le sens où un sentiment longuement entretenu et soudain brutalement démenti influencerait son caractère dans un sens.
Dans ce cens, cela signifie que sa politique, qui était fortement axée sur l’entente avec l’Allemagne, ne tient plus guère compte de ce facteur. Ainsi, pour mon compte, je serais conduit à croire que Poutine en vient à rencontrer une vérité-de-situation essentielle, – enfin la Vérité ? – qui est la dégradation jusqu’à l’annihilation de la référence allemande comme ultime espoir de retrouver des liens acceptables avec l’Europe. La conséquence d’un tel constat chez Poutine ne pourrait être que le durcissement de sa politique, et celui de la guerre par conséquent, vis-à-vis de l’Ukraine, c’est-à-dire vis-à-vis de l’OTAN, c’est-à-dire vis-à-vis de l’Allemagne bien autant que des États-Unis.
L’Allemagne redevenant clairement l’un des grands dangers de la Russie sur son Ouest... Je croirais également que Poutine, en plus d’être touché, devrait être pressé par les différentes forces de la direction russe, dont certaines n’ont suivi sa direction pro-allemande qu’avec irritation. Celles-là pourraient demander des comptes à Poutine, lui reprochant d’avoir trop fait confiance à une chancelière qui a montré son infamie et, sans doute, elle aussi comme ses compagnons de la direction allemande, sa soumission aux ordres des officines américanistes.
C’est une bien triste histoire. C’est aussi une façon de se débarrasser d’illusions et de dissimulations, pour ne pas parler de “complots” courants, comme ont l’habitude d’en faire ceux qui dénoncent avec une conviction touchante le complotisme ; une façon de comprendre mieux qui nous sommes nous-mêmes, avec des messages autres que ceux de nos bombes et de nos obus de 155mm pour défendre les veuves et les opprimés. Une façon de se rapprocher de la réalité et de comprendre la vérité-de-situation.
La Vérité est bien lourde à porter mais il faut s’y mettre. Le degré de corruption, de soumission, d’asservissement psychologique de l’Europe, est une succession d’abysses sans fond et sans fin. C’est une immense tragédie-bouffe que ce phare de la civilisation soit en charge de faire la leçon de morale au monde, – morale et moraline pour faire nietzschéen...
Enfin, comment pouvons-nous nous supporter nous-mêmes ? Est-ce que les petites mains d’untel ou d’unetelle, par exemple de la ravissante nième vice-présidente du Parlement Européen, la Grecque Ava Kaili, ne peinent pas trop à porter les valises pleines de billets (€600 000, ont calculé les pandores belges) que les Qataris font distribuer lorsque l’on entend clamer à la tribune les vertus démocratiques de l’organisateur de la Coupe du Monde du Football ? Qui est le plus à mettre à l’index, le Parlement Européen ou le Qatar ? C’est bien nous qui sommes les héritiers des grandes civilisations grecque et romaine venues de l’Antiquité ? Combien de temps nous supporterons-nous encore nous-mêmes ?
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