Cheyenne-Marie, Hollywood & les quotas

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Cheyenne-Marie, Hollywood & les quotas

Il y a dans cet amalgame chaotique quelque chose qui est une marque fondamentale de notre temps, celui des Derniers Temps et de la GCES. L’“amalgame chaotique” est entre :
• la cinéaste française indépendante de 44 ans Cheyenne-Marie Carron ; d’origine kabyle, abandonnée à l’âge de trois mois, recueillie par une famille française et catholique, selon une adoption de facto et légalisée à l’âge de vingt ans en raison des conditions de son abandon initial ; baptisée catholique (ajoutant son prénom de Marie à celui de Cheyenne) en 2014 ;
• Hollywood dès l’origine et ce que cette chose est devenue, et devient encore et encore ;
• les quotas, parce que cette trouvaille typiquement américaniste et qui s’impose évidemment en France, et qui actuellement secoue Hollywood, prétend rationaliser, “raciser”, “regender”, reclasser, et finalement liquider à jamais toute inégalité, iniquité et injustice dans la nature du monde radicalement modifiée par la modernité de l’homme/femme  (ou plutôt la.e femme/homme).

On s’en doute à méditer ses origines, sa personnalité et la forme de son travail, enfin son œuvre, Cheyenne Carron est un Objet Féminin Totalement Non-Identifiable. Effectivement, la structure institutionnelle de notre époque rejette cette sorte d’inclassabilité hors des normes du Politiquement-Correct (PC). Un critique, surpris et étonné, reconnaît l’extrême étrangeté non-conformiste de ce personnage : « La réalisatrice Cheyenne Carron poursuit son œuvre étonnante, en dehors de tous les circuits traditionnels, financiers comme artistiques. Il y a quelque chose d’insaisissable dans chacune de ses productions, comme une irrépressible envie de liberté et une absence – parfois – de rigueur, autant sur le plan technique que du propos. »

Du Corps sauvage, l’un des derniers films de la réalisatrice, le critique décrit son inclassabilité, mais cette fois sur un ton plus inquiet :

« Les hommes comme les animaux naissent, vivent et meurent. Diane rapporte ainsi une phrase de son grand-père, qu’elle sait mourant bien qu’il ne le lui a jamais dit : “Les hommes devraient se cacher pour mourir, comme les bêtes, car la mort comme l’amour ne se font pas à la face des hommes, mais à la face des dieux.” Il y a ainsi un nivellement de l’homme et de l’animal dans deux actes fondamentaux, deux mystères indicibles : l’amour et la mort. [...]
» Si l’affectivité salue l’harmonie de cette conclusion, la raison a également son mot à dire : nous ne pouvons évidemment pas souscrire au fait que l’amour et la mort se font à la face des dieux, et non des hommes. Au contraire, ils sont le lieu de la plus intime communion entre les êtres, et c’est pourquoi ils ne se font pas à la face de tous les hommes. »

Nous recommandons fortement d’aller explorer son site CheyenneCaron.com. Par exemple, s’arrêter à ce qui est consacré au film L’Apôtre (2014), – qui raconte la conversion d’un musulman à la foi catholique, – c’est-à-dire un ensemble comprenant une suite de questions auxquelles Caron répond dans un sens qui éclaire le caractère exceptionnel de sa carrière, de son travail, de ses points de vue ; et cela, surmonté d’une vidéo où les deux acteurs principaux du film, Fayçal Safi et Brahim Tefka, présentent leurs personnages. Cet ensemble, parmi d’autres sur le site, répond de l’exceptionnalité de la rencontre

La cinéaste est rarement interrogée, et la presseSystème s’intéresse aussi rarement à elle, – bien que femme et d’origine kabyle, diraient certains, ignorant les traditions des conformismes dans une époque qui s’est littéralement ‘encivilisée’ [contraire d’“ensauvager”, disons] dans le sublime simulacre de libération dans la moraline porté par le conformisme, – car si l’on est femme et d’origine kabyle, encore faut-il marcher au pas.

Il est vrai que Cheyenne Carron a une sorte de sainte-horreur des quotas pour ce qui concerne le domaine de l’artiste, actrices et acteurs en l’occurrence. « Personnellement, celui qui m’imposera un quota chez mes comédiens n'est pas né », dit-elle en commentaire de l’affaire des quotas à Hollywood, dans une interview qu’on retrouve ci-dessous, suivie d’un texte sur Hollywood et les quotas. Les deux textes font le tour de la question et permettent d’écouter une réalisatrice absolument hors-PC, hors-Système jusqu’au point évidemment d’être antiSystème, – et enfin de mieux affiner son jugement sur les quotas, le racisme, la crise de l’américanisme et la GCES.

L’exploration de la question des quotas et tout ce qui lui est lié nous invite à chercher d’autres jugements, et à décrire d’autres situations. Également pour Spoutnik-français, qui s’investit beaucoup sur ce sujet (“La Main de Moscou”, cela va de soi), Momar Dieng rapportait, en juin dernier, un point de vue activiste africain sur le comportement d’Hollywood dans la question raciale, c’est-à-dire le comportement des progressistes-sociétaux avec les mesures pour “lutter contre le racisme”, dont les quotas font évidemment partie. Les jugements d’Adjimael Ibrahim Halidi sont sévères et méritent d’être entendus parce qu’ils nous sortent du schéma qui arrange si bien, en plus de son portefeuille d’actions qui peut rapporter gros, la pensée progressiste-postmoderne qui triomphe dans le Politiquement-Correct (PC), envoyant au bagne et aux camps d’extermination les infâmes racistes, blancs, hommes, pauvres et populistes, – qualifiés avec un sens aigu du comique sinistre, de “suprémacistes blancs”. Il est, ce jugement, absolument d’actualité, essentiellement dans la narrative progressiste-sociétale.

De même qu’elle dénonce rétrospectivement le “bon Noir” soumis des temps racistes de l’esclavage et adoube le “bon Africain-Américain” d’aujourd’hui, – notamment, les Africains-Américains devenus riches, très-riches et intégrés au Système et à ses 0,1%,  – la narrative antiraciste/progressiste-sociétale a désormais ses “bons Blancs” (majuscule acceptée), exemplaire dans le stéréotype de la personnalité en vogue à Hollywood et dans sa Californie, directeur de studio ou petit génie d’un des GAFAM en vogue, partie des 0,1% et même absolument ‘zillionnaire’, – et bien entendu, complètement progressiste-sociétal.

Ainsi soit-il pour renforcer ce dossier : les jugements d’Adjimael Ibrahim Halidi...

« “L’assassinat de Gorges Floyd, comme de tant d’autres Africains-Américains auparavant, n’est qu’un rappel à respecter la hiérarchie sociale en vigueur aux États-Unis. Quand on parvient à déceler la fiction et la réalité qui s’imbriquent dans le rêve américain, on voit bien que le système étatique – dont les policiers sont une composante – oppresse et soumet l’Africain-Américain, afin de l’inviter à rester à sa place originelle de citoyen de seconde zone”, s’insurge le militant panafricaniste Adjimael Ibrahim Halidi, poète et sociologue comorien, joint par Spoutnik à Nairobi, où il est en transit.
» Le rêve perdu d’une Amérique juste, Adjimael Ibrahim Halidi tente d’en décortiquer les soubassements en le reliant au ‘mythe’ d’Hollywood et à ses ‘avatars’. Il fait aussi le lien avec l’égoïsme d’une certaine ‘élite noire’ installée dans le confort et peu encline à regarder dans le rétroviseur.
» “Hollywood et son système capitaliste, à travers les médias, puisent dans les rêves et actions de leaders comme Martin Luther King, James Baldwin ou Malcom X pour fabriquer des avatars ou figurants partout dans la société américaine. ‘Vous voulez des noirs, des femmes ou des gays libres, beaux intelligents, forts, puissants? En voilà dans ce film, dans ce magazine, dans ce championnat de basket, dans ce parti politique…’ Figurant, tel est le rôle de l’avatar. Le ‘colonialisme interne’ fait partie de la genèse de ce pays”, analyse-t-il.
» “La minorité d’Africains-Américains bourgeois et de la classe moyenne cache mal les millions d’autres Noirs qui végètent dans la pauvreté. Sous cet angle, Hollywood nous ment depuis des années, de même que la NBA [le puissant et médiatique championnat professionnel de basket américain], Vogue Magazine, MTV !
» “La reconnaissance et la gloire des Africains-Américains dans le divertissement et le spectacle – et presque jamais au-delà – sont une ombre qui donne bonne conscience à l’élite blanche, une réalité du nègre comique et bon danseur qui divertit le maître et les siens comme durant l’esclavage”. »

La technique des quotas, qui ‘scientise’ et statistique d'une façon comptable les comportements racistes revus et modifiés par le PC-Système, est aujourd’hui en mode-turbo à Hollywood et aboutit à une terreur raciste du type McCarthyste dans le sens de l’inversion par rapport au classique du genre, puisqu’anti-blanche. Il est inutile de discuter cet aspect des choses, puisqu’on ne discute pas l’évidence corroborée par des faits scientifiques, – et la ‘doctrine des quotas’ en est un, sans le moindre doute, à peu près aussi efficace que le port du masque pour vaincre le grand fléau anti-moderne qu’est le phénomène de l’épidémie-pandémie de toutes les sortes et couleurs possibles.

Par conséquent, un autre diviseur est en train de s’auto-créer au cœur de l’usine à propagande de l’américanisme que les cheiks-nababs de Ryad se sont curieusement mis en tête de ‘conquérir’. En réalité, l’affaire des quotas dans sa phase actuelle ne fait qu’accélérer la désintégration de l’américanisme et des Etats-Unis, et espérons-le, par rebond ou par pandémie-sans-masque, le bloc-BAO lui-même. Il est difficile d’envisager qu’un tel traitement appliqué à une ‘industrie’ (cinéma et entertainment) dépendant si complètement du public, c’est-à-dire du peuple, alors que ce peuple est si profondément divisé, permette que cette ‘industrie’ puisse continuer à prospérer et à faire les profits colossaux qu’elle a faits jusqu’ici. Hollywood a été (est toujours pour le court temps-courant) une usine à propagande de l’américanisme ; notre thèse est que l’américanisme est en train de se désintégrer ; alors se pose la question : comment faire la propagande triomphante et plein d’entrain structuré d’une idée, d’une idéologie, d’une perversion en train de se désintégrer ? Cette question dont on a la réponse du fait même de la poser, c’est au moins un beau sujet de film sans nécessité de Happy End ; disons, pourquoi pas une co-production transatlantique ?

Bref, cela vaut un rapide coup d’œil pas vraiment PC sur la situation des ‘blancs’ (majuscule interdite pour cause de McCarthysme agréé) quotas-racisés de Hollywood, selon les confidences de ‘professionnels’ des professions du cinéma, recueillies par le Daily Mail.

« Selon eux, un “homme blanc d’âge moyen dans le show business” peut déjà considérer que sa carrière est “pratiquement terminée”. “Nous n'embauchons que des personnes de couleur, des femmes ou des LGBT pour écrire, jouer le rôle principal, produire, faire fonctionner les caméras, travailler dans les services d'artisanat. Si vous êtes Blanc, vous ne pouvez pas vous exprimer parce que vous serez instantanément qualifié de ‘raciste’ ou condamné pour ‘privilège blanc’”, ont-ils confié.
» Un acteur blanc d’une cinquantaine d’années, fort d’une expérience de vingt ans principalement à la télévision, a raconté sa récente audition. Le directeur de casting lui a assuré qu’il était «parfait pour le rôle» mais qu’il avait reçu l’ordre d’engager «une personne de couleur».
» “Je comprends qu'Hollywood a encore un long chemin à parcourir avant que les personnes de couleur soient correctement représentées à l'écran, mais comment suis-je censé payer mon hypothèque, mettre de la nourriture sur la table? Tout le monde est terrifié. Et vous ne pouvez rien dire parce qu’alors vous vous exposez à la crucifixion publique», a-t-il déploré.
» Autre exemple, celui d’une cadre blanche renommée qui a été envoyée pour superviser une production composée exclusivement de Noirs, une équipe jeune, brillante, mais inexpérimentée. Ceux-ci lui ont bien fait comprendre qu’elle n’aurait pas son nom au générique. “Les gens ne veulent pas l’admettre, mais le racisme inversé est bel et bien présent”, a confié une source proche du projet. »

Ci-après, on trouve donc, pour documenter et alimenter un si vaste sujet, une interview de Cheyenne-Marie Carron (du 12 septembre 2020) et un texte (du 10 septembre 2020) sur Hollywood et ses quotas, comme si l’Enfer de Dante était un paradis.

dedefensa.org

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Interview de Cheyenne-Marie Carron

Plus d’“inclusivité” au cinéma : voici l’objectif affiché par l’Académie des Oscars. Dès 2024, des quotas de minorités seront nécessaires dans les productions cinématographiques pour prétendre au prestigieux Oscar du meilleur film. Une mesure en demi-teinte, selon la réalisatrice indépendante française Cheyenne-Marie Carron. Entretien.

Un « changement essentiel et pérenne de notre industrie » : l’Académie des Oscars se veut désormais plus inclusive. Aussi, celle-ci a-t-elle dévoilé son projet de réforme : à partir de 2024, pour être sélectionnée à l’Oscar du meilleur film, une production devra soit avoir comme acteur principal ou secondaire une personne issue d'une minorité ethnique sous-représentée, soit avoir un casting composé à 30% de personnes issues de groupes sous-représentés (femmes, minorités ethniques, personnes LGBTQ+, personnes souffrant de handicaps), soit avoir au centre de son histoire une personne issue de groupes sous-représentés. Ces critères s’appliqueront également pour l’équipe créative du film (techniciens, distributeurs, producteurs, etc.).

À la suite de l’article Des quotas pour les Oscars: « Le monde se racialise et se radicalise. Pas de raison que le cinéma y échappe », publié le 10 septembre, nous publions l’intégralité de l’entretien avec Cheyenne-Marie Carron qui a, entre autres, réalisé ‘L’Apôtre’ en 2014 et ‘Jeunesse au cœur ardent’ en 2018.

 

Spoutnik France : Cheyenne-Marie Carron, vous êtes réalisatrice. La mesure envisagée par l’Académie des Oscars ne risque-t-elle pas de restreindre les libertés créatives des artistes?

Cheyenne-Marie Carron : Imposer dans les équipes techniques des handicapés, des non-genrés, des personnes issues de la minorité, me semble vraiment une très bonne chose. Moi, j'ai un petit frère handicapé qui est sourd. Il a un emploi, car les entreprises ont des allégements pour embaucher des personnes atteintes de handicapes. Cela a permis à mon frère d'avoir un travail et l'indépendance financière qui va avec. Ouvrir cela au monde du cinéma est une très belle idée que je soutiens.

En revanche, mettre à l'image des quotas de handicapés, de Noirs, d'Arabes, de Blancs, de non-genrés etc. est une intrusion délirante dans le travail du cinéaste. Personnellement, celui qui m’imposera un quota chez mes comédiens n'est pas né.

Spoutnik France : L’Académie des Oscars est-elle rattrapée par la «woke culture» progressiste et par les polémiques lancées depuis cinq ans autour des dénonciations « Oscars So White »?

Cheyenne-Marie Carron : Je n'ai ni télévision ni radio depuis plus de 20 ans, et je n'ai suivi tout cela que de très loin. Le monde se racialise et se radicalise, tout cela est la conséquence logique d'un monde qui a remis la race au cœur de ses problématiques. Il n'y a pas de raison que le monde du cinéma y échappe.

Par ailleurs, moi je suis marron clair de peau, mais je ne revendiquerai jamais un quota de ‘marron clair’ de peau au cinéma. En revanche, je dirai aux gens issus des minorités, “travaillez dur et un jour, votre talent sera reconnu”. Voilà c’est simple. Le reste ne m’intéresse pas.

Spoutnik France : Le cinéma a-t-il vocation à ménager toutes les sensibilités et à imposer des quotas de représentativité à l’écran?

Cheyenne-Marie Carron : Le cinéma a pour vocation de donner la liberté de parole aux cinéastes, car le cinéma c'est la liberté. Cette liberté est l'opposé du concept de quotas.

Pour ma part, je viens de faire un film en hommage aux épouses de soldats. Mes comédiennes sont des femmes en grande majorité. Un jour, je ferai un film de guerre intitulé "Theatrum Belli", mon film ne sera tourné qu'avec des hommes. C'est l'histoire qui impose naturellement les profils des acteurs que l'on choisit, et pas l'inverse. Les quotas modifieront le choix des scénarios, des acteurs etc. et finalement cela donnera un quota en images animées, mais ça ne sera pas du cinéma.

Après tout qu'ils le fassent s'ils le veulent, mais qu'ils laissent la liberté aux cinéastes qui ont le désir de choisir la liberté.

Spoutnik France : Cette « ouverture à la diversité » ne peut-elle pas avoir de bons côtés, comme par exemple la nomination du film sud-coréen Parasite pour l’Oscar du meilleur film l’an dernier?

Cheyenne-Marie Carron : Parasite est un excellent film, mais je ne suis pas certaine que les festivals de premières catégories aient attendu l'obligation de quota pour célébrer les films venus d’ailleurs. Vous savez le cinéma sans quotas, c’est ça la vraie égalité, car lorsqu’un film est bon, il est célébré peu importe son identité et sa provenance.

Interview de Victor Lefebvre, Spoutnik-français

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Hollywood et les quotas

L’Académie des Oscars a annoncé une série de mesures afin d’encourager ‘l’inclusivité’ des films présentés en compétition. À partir de 2024, pour être éligible à l’Oscar du meilleur film, un long-métrage devra ainsi remplir un certain nombre de critères de représentativité des minorités. Quel impact sur la création artistique aux USA et en France?

Dans un communiqué publié le 8 septembre, l’Academy of Motion Picture Arts and Sciences (AMPAS), qui remet chaque année les prestigieux Oscars du cinéma, a dévoilé son projet de réforme intitulé ‘Academy Aperture 2025’. L’objectif annoncé de cette initiative est « d’encourager une représentation égale, aussi bien à l’écran que derrière les caméras, afin de refléter plus fidèlement la diversité des spectateurs qui se rendent au cinéma. [...] L’Académie s’engage à jouer un rôle vital dans la manière de refléter cette réalité. Nous croyons que ces standards d’inclusivité seront un catalyseur pour ce changement essentiel et pérenne de notre industrie ».

Qu’est-ce que cela signifie concrètement? L’Académie a annoncé qu’à compter de 2024, pour être éligible à l'Oscar du meilleur film, un long-métrage devra soit avoir comme acteur principal ou second rôle une personne issue d’une minorité ethnique sous-représentée; soit avoir un casting composé à 30% de personnes issues de groupes sous-représentés (femmes, minorités ethniques, personnes LGBTQ+, personnes souffrant de handicaps); soit avoir au centre de son histoire une personne issue de groupes sous-représentés. Ces critères peuvent également s’appliquer derrière la caméra: un film pourra ainsi concourir pour l’Oscar du meilleur film si son équipe de production remplit deux des quatre critères établis par l’Académie.

Cette annonce, qui s’inscrit dans une politique d’ouverture à la diversité engagée depuis 2016 par l’Académie –dans la foulée des polémiques autour du hashtag #OscarsSoWhite–, pose naturellement la question de la liberté des auteurs. Interrogé par Spoutnik, Sami Biasoni, professeur chargé de cours à l’ESSEC et coauteur du livre ‘Français malgré eux: racialistes, décolonialistes, indigénistes : ceux qui veulent déconstruire la France’ (Éd. L’Artilleur), analyse les implications de cette nouvelle donne pour le cinéma américain:

« On est ici face à quelque chose d’assez intersectionnel: il y a soit des conditions de “race”, soit des conditions de “genre”, soit des conditions de représentation ethnique, soit des considérations de “validisme”, liées à l’état physique des individus. On voit alors une forme d’idéologie un peu globale à l’œuvre […] Le message est ici assez fort: l’art est politique et politisé et les réalisateurs vont devoir intégrer cette nouvelle donne dans leur pratique quotidienne. »

Une «nouvelle donne» qui risque de ne pas d’être acceptée par tous les réalisateurs. Les cinéastes français et européens devront-ils à leur tour imposer des quotas sur leurs tournages pour que leurs films aient une chance d’être éligibles aux Oscars, récompense ultime du cinéma? Cheyenne Carron, qui a notamment réalisé le film ‘L’Apôtre’ en 2014 –qui raconte la conversion d’un jeune musulman au catholicisme–, s’indigne au micro de Spoutnik de cette mesure:

« Mettre à l’image des quotas de handicapés, de Noirs, d’Arabes, de Blancs ou encore de non-genrés est une intrusion délirante dans le travail du cinéaste. Personnellement, celui qui imposera un quota chez mes comédiens n’est pas né. »

On se souvient par ailleurs des différentes controverses au moment de la sortie du film ‘J’accuse’, de Roman Polanski, déprogrammé dans certains cinémas français à la suite d’actions de militantes féministes. Point d’orgue de cette bronca: la sortie théâtrale (« La honte, la honte ! », avait-elle lancé) de l’actrice Adèle Haenel au moment de la remise du César du meilleur réalisateur au cinéaste franco-polonais.

Cette dernière avait également estimé dans une interview donnée au New York Times le 24 février dernier que « distinguer Polanski, c’est cracher au visage de toutes les victimes ». Ceci avant de pointer du doigt ce qu’elle appelle l’emprise de « l’homme blanc, riche et hétérosexuel » sur l’industrie du cinéma : « La vraie censure dans le cinéma français, c’est l’invisibilisation. Où sont les gens racisés dans le cinéma? Les réalisateurs racisés? Il y a des exceptions, comme Ladj Ly [le réalisateur des Misérables, ndlr] ou Mati Diop [réalisatrice d’Atlantique, ndlr], mais ça n’illustre pas du tout la réalité du milieu du cinéma. Cela reste minoritaire. Pour l’instant, on a majoritairement des récits classiques, fondés sur une vision “androcentrée”, blanche, hétérosexuelle. »

L’actrice française a justement été invitée à rejoindre l’Académie des Oscars, dans un effort consenti par cette dernière pour augmenter la proportion de femmes et de personnalités « issues des minorités » dans ses effectifs. L’AMPAS a ainsi publié en juin dernier la liste des 819 nouveaux membres conviés à intégrer ses rangs cette année. Un groupe composé à 45% de femmes et à 36% de minorités ethniques «sous-représentées dans l’organisation». D’après les chiffres communiqués, leur nombre a triplé pour passer de 554 en 2015 à 1.787 cette année, soit 19% des effectifs dans leur ensemble.

Pour autant, ce problème de « représentativité » des minorités peut-il être résolu par une politique de discrimination positive? Pas pour Cheyenne Carron:

«Le monde se racialise et se radicalise, ce sont les conséquences logiques d’un monde qui a remis la race au cœur de ses problématiques. Il n’y a pas de raison que le monde du cinéma y échappe. Moi, je suis marron clair de peau, mais je ne revendiquerai jamais un “quota de marron clair de peau” au cinéma. En revanche, je dirais aux gens issus des minorités : travaillez dur et un jour votre talent sera reconnu. C’est simple », lance-t-elle au micro de Spoutnik.

Le cinéma sera-t-il prisonnier d’une forme de néo-puritanisme typiquement américain? Sami Biasoni estime que le monde des arts est progressivement pris entre deux feux. Si notre interlocuteur juge que la liberté de création est encore « globalement » préservée aux États-Unis, les pressions qu’il dénonce ont de quoi inquiéter.

 « Il y a aujourd’hui une véritable tenaille militante [aux États-Unis, ndlr] », qui s’inscrit dans ce qu’on appelle désormais la “woke culture”, c’est-à-dire la prise de conscience et la lutte contre toutes les formes d’oppression : racisme, sexisme, homophobie ou encore transphobie. Avec le risque que cela implique, à savoir un certain repli identitaire ou communautaire et une tendance à la victimisation permanente. D’après Sami Biasoni, « c’est une culture de l’excuse. »

De manière peut-être plus symptomatique encore, cette politique de quotas pourrait aboutir à « une forme de retour à un autoritarisme qui ne dit pas son nom », car « paré de tous les atours du bien commun », si l’on en croit Sami Biasoni. Le cinéma français a-t-il une chance d’échapper à ce phénomène?

« Je ne suis pas sûr que “l’exception française” dure très longtemps. La France n’a pas la “woke culture” américaine, mais a une culture progressiste qui a accepté tous les diktats de la postmodernité. Il n’y a aucune raison qu’elle n’accepte pas le prochain, à savoir de mettre des quotas partout, comme aux États-Unis. »

Un premier élément de réponse sera peut-être donné en février prochain, lors de la traditionnelle cérémonie des César du cinéma français.

Victor Lefebvre