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24 décembre 2002 — On se permettra d'avancer, un peu par goût du paradoxe, un peu par goût de l'effet, beaucoup par goût de la provocation, que cet article de Paul Wolfowitz dans l'International Herald Tribune du 24 décembre n'a à première lecture aucun intérêt. Cela dit, il est très intéressant qu'il soit là, publié où il est, etc, ce qui implique une signification secondaire intéressante et, par conséquent, on peut avancer que cet article a beaucoup d'intérêt dans la seconde lecture qu'on sera amené à en faire.
Cet article n'a aucun intérêt parce qu'il n'est là que pour tenter d'effacer l'effet désastreux d'un texte précédemment publié, qui nous annonçait le désaccord de deux chefs militaires avec les plans de guerre du Pentagone. (L'article cité par Wolfowitz, publié dans le Herald Tribune, est une reprise de l'article du Washington Post cité dans “Nos Choix”.)
« A recent article, “2 generals dispute Pentagon plan” (IHT, Dec. 19), attempted to describe a split that simply does not exist between the senior civilian and military leadership over planning for potential war in Iraq.
» The Washington Post's reporter attributed variously to me, to the “Wolfowitz school” and to the “Wolfowitz view” the contention that Saddam Hussein's government would fall almost immediately upon being attacked. That has never been my view, nor is it the view of the senior civilian leadership in the Department of Defense. »
Intéressant, très intéressant article de Wolfowitz, au contraire, parce que la situation causée par l'article initial a été jugée assez grave pour justifier de publier une sorte de mise au point qui lui est directement liée 5 jours plus tard.
On peut même être encore plus affirmatif à propos du caractère préoccupant de la situation au Pentagone, parce qu'il est extrêmement rare qu'un haut fonctionnaire prenne la peine de faire une mise au point de cette sorte, qu'il est encore plus rare que Wolfowitz lui-même agisse de cette façon, que tout cela est infiniment rare dans une situation d'“avant-guerre” comme celle que nous connaissons, où l'on se prépare à la guerre contre l'Irak et où il est impératif de ne laisser paraître aucun signe d'hésitation, de division, etc. Nous raisonnons par logique renversée : cet effort de Wolfowitz, son aspect exceptionnel à cause de la personnalité de l'homme, dans les circonstances exceptionnelles que nous connaissons, tout cela mesure a contrario la gravité de la situation au Pentagone.
D'autre part, le fait que tout le monde soit conduit à exposer ces divisions de façon publique, sur des sujets désormais très secrets puisque concernant les tactiques d'un combat désormais assez proche, finit par alimenter la thèse que nous exposons par ailleurs, dans notre F&C du 23 décembre, notamment à partir de l'article de Brandon O'Neill auquel nous nous référons dans ce F&C : l'espèce de paralysie, soit subie, soit même inconsciemment provoquée, dont semble très proche la direction américaine, à la fois quasi-hystérique dans sa volonté de guerre et, pourtant, agissant comme si elle favorisait et multipliait les actes de prudence, de pusillanimité, les situations de division impliquant un ralentissement de la dynamique des décisions à prendre, etc.
Cette dernière idée sera très largement alimentée par des aspects de l'article de Wolfowitz qui prend, à cette lumière, un éclairage très particulier. Lui qui est réputé comme étant l'hyper-faucon du Pentagone nous présente une plaidoirie très mesurée, très modérée, soigneusement débarrassée de tout soupçon d'hystérie ou d'exaltation. (« President George W. Bush has not made any decision about the use of force to achieve the goal of disarmament of Iraq's arsenal of terror. We still are trying to achieve that goal by peaceful means precisely because we understand the risks involved in any use of force. ») Les alarmes sur l'après-Saddam sont elles-mêmes soigneusement présentées sous un jour apaisant et harmonieux : « One risk that is often exaggerated is the risk of what might happen in Iraq after the removal of the Saddam Hussein regime. It is hard to believe that the liberation of the talented people of one of the most important Arab countries in the world from the grip of one of the world's worst tyrants will not be an opportunity for Americans and Arabs and other people of goodwill to begin to move forward on the task that the president has described as “building a just and peaceful world beyond the war on terror.” »
Un dernier mot, enfin, plutôt pour sourire, et qui nous montre combien les hyper-faucons accusés de n'avoir jamais servi au combat et d'envisager encore plus aisément de déclencher de nouvelles guerres, sont finalement sensibles à cette critique. On désigne cette catégorie d'hyper-faucons assoifés de guerre et sans expérience guerrière (Wolfowitz, Perle, Cheney notamment en font partie) sous le sobriquet de chickenhawks (disons, quelque chose comme “faucon poule mùouillée”). A ceux qui le traitent de chickenhawks qui n'a jamais vu le sang des hommes dans la bataille, Wolfowitz répond qu'il a la peinture d'une bataille dans son bureau. (« War is brutal, risky and unpredictable; anyone who does not understand that should not be involved in military planning. In my office I hung a painting depicting the Civil War battlefield of Antietam on the day after what was the bloodiest single day in U.S. history. It is a reminder of what it means for Americans to risk their lives in combat for their country. ») Il n'est pas sûr que ce détail, qui n'est pas vraiment du meilleur goût ni extrêmement heureux, n'attirera pas quelques sarcasmes supplémentaires au malheureux Paul Wolfowitz.
Après ce dernier mot, un post-scriptum : on peut être sûr que la bagarre au Pentagone se poursuivra. Après tout, on ne lit nulle part dans le texte de Wolfowitz quoi que ce soit pour démentir que les deux chefs militaires (les chefs d'état-major de l'U.S. Army et des Marines) n'aient pas effectivement pris la position qu'on décrit dans l'article incriminé. Wolfowitz ne fait que proclamer sa propre vertu, mais pas du tout que les choses vont bien au Pentagone.