Chirac et les paradoxaux bienfaits de l’électoralisme

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Chirac et les paradoxaux bienfaits de l’électoralisme


7 janvier 2007 — La campagne présidentielle française réserve-t-elle des surprises ? “Oui”, tonitrue sur un ton enjôleur Dominique de Villepin ; “oui”, mugit entre les lignes le président actuel, sortant-pas sortant, Jacques Chirac. A droite, du côté du pouvoir en place, la candidature assurée par avance et incontestable de Nicolas Sarkozy a l’effet peut-être inattendu mais pas illogique de faire naître la contestation. L’avantage général de la chose est que cela se fait, pour l’argument, essentiellement sur le terrain des principes fondamentaux et implicitement dans le domaine de la politique extérieure. L’avantage accessoire est un durcissement notable de la France, par président de la République interposé, face à l’Amérique. Les voies de la sagesse et de la fermeté sont impénétrables.

…L’avantage pratique, prospectif et essentiel de la chose est que cette campagne pourrait conduire à un débat de polémique et d’éclaircissement du plus grand intérêt pour la France, sur la politique extérieure et sur les relations de ce pays avec les USA. Enfin, on pourrait s’expliquer sur le fondement d’une politique qu’on expédie en général par l’étiquette infamante d’“antiaméricaine”, — qui l’est effectivement, sans le savoir, mais qui pourrait avancer quelques explications pour montrer qu’il n’est pas infâme d’être anti-américaniste (l’expression est plus adéquate). Si l’on imagine là-dessus, — mais sans grand effort d’imagination en vérité, — une crise extérieure venant dramatiser les choses, comme par exemple une attaque US contre l’Iran ou une crise institutionnelle aux USA, le “plus grand intérêt” devient de l’exceptionnel intérêt.

La faiblesse de Sarkozy sourd de sa trop grande habileté à vouloir concilier des domaines difficilement conciliables pour son intérêt électoral. Elle se trouve principalement dans la contradiction de sa politique des rapports avec le monde anglo-saxon. Le candidat s’affirme-t-il plus souverainiste après avoir joué à l’hyper-libéral? Fort bien, mais comment lier cela avec son penchant pro-américaniste et son admiration de la politique blairiste, tout cela d’ailleurs plus émotionnel que bien pensé et en général assez mal pesé. Le vrai est que le camp sarkozyste a dans les mains, depuis la poignée de mains Sarko-GW de septembre dernier sous les conseils tonitruants de Pierre Lelouche (qu’on voit moins, il faut dire), une patate brûlante dont personne d’autre ne veut. Au contraire, tout le monde s’exclame à propos du tubercule en question, qui ricanant, qui s’indignant.

Chirac, stratège nul mais maître-tacticien des empoignades électorales, nous la joue en père vertueux de la Nation, — mais Père quelque peu tonnant de constater ce qu’on se prépare à faire de son “héritage”. Bientôt, il nous parlera des mânes du Général, et personne ne pourra lui reprocher cette énormité parce que, en la matière, nul (à droite, pour ce qu’il reste de droite en France, sans aucun doute) n’est capable d’en faire autant dans ces temps de basses eaux politiques. D’où, depuis le Jour de l’An, un Chirac plein d’alacrité, dénonçant les erreurs et les sottises américanistes, jouant le refrain du “I told you so” à propos de l’Irak, par conséquent se payant tous ceux qui, sur la scène politique française, s’attendrissent au nom de l’Amérique. Dito Sarko…

Signe des temps : la presse anglo-saxonne s’intéresse de nouveau à Chirac.

• La gentille Elaine Sciolino, dans l’International Herald Tribune du 5 janvier, centre son article sur le “je vous l’avais bien dit” adressé par Chirac à Washington («On Iraq, Chirac reminds U.S. - told you so»)

«In a scathing attack on the American-led war in Iraq, President Jacques Chirac of France said Friday that his predictions that the war would spread chaos and more terrorism had come true.

»“As France had foreseen and feared, the war in Iraq has sparked upheavals that have yet to show their full effects,” Chirac said in his New Year's address at the Élysée Palace to the foreign diplomatic corps.

»“This adventure has worsened the divisions among communities and threatened the very integrity of Iraq,” he said. “It has undermined the stability of the entire region, where every country now fears for its security and its independence. It has offered terrorism a new field for expansion.”

»As President George W. Bush prepares to unveil a new military strategy in Iraq, Chirac added, “the priority, more than ever, is to restore full sovereignty to the Iraqi people.”

»The single paragraph on Iraq in a speech that addressed many crises and problems around the world was one of Chirac's most pointed justifications for France's decision to oppose the American-led invasion of Iraq in 2003.»

• L’Independent de Londres (le 6 janvier) s’attache plus directement à la question de la candidature de Chirac : «Will he or won't he?» (En d’autres mots : osera-t-il?) Cet aspect presque sportif de la situation du patriarche de 74 ans face à son jeune ex-“fils spirituel” de 51 ans a l’aspect d’une performance qui pourrait soulever un intérêt inédit dans cette campagne. Dans ce cas, l’impopularité statistique (les sondages) de Chirac n’a guère d’importance. Chirac apparaît comme une sorte de référence du régime né du gaullisme, qui impose un examen sévère et plein de périls au candidat qui en fait un peu trop.

«After a series of combative new year speeches and policy announcements by the unpopular President, politicians and commentators were struggling to make sense of his strategy.

»During his week of new year declarations or voeux – with several more still to come — M. Chirac has sounded anything but a politician who plans to slide quietly into retirement after the two-round presidential election in April and May. The president has gone out of his way to undermine — even humiliate — his former protégé, Nicolas Sarkozy, the man who expects to replace him as standard-bearer of the centre-right next week and as President of the Republic in May.

»Some commentators believe that M. Chirac might — against all electoral logic — be preparing for another presidential campaign (his fifth). Others suggest that he is merely trying to de-rail M. Sarkozy as part of a 12-year enmity between two men once regarded as political father and son.

»Either way, M. Chirac risks splitting the centre-right to the advantage of the veteran far-right leader, Jean-Marie Le Pen and, most of all, the Socialist candidate, Segolénè Royal.

»The newspaper Le Républicain Lorrain said yesterday that the President was “emptying out daily” M. Sarkozy's campaign message, meaning that “Chirac is clearly voting Royal”.»

Des bienfaits de la haine politicienne recuite

Notre étrange époque nous oblige à jouer des choses selon leurs effets indirects ou leurs reflets, dans tous les cas selon la perception qu’on en a plutôt que selon la réalité. (C’est d’ailleurs mieux ainsi, et sans doute inévitable, puisqu’il est devenu presque impossible de cerner et d’apprécier la réalité.) Est-il important que Chirac soit candidat pour le résultat de l’élection présidentielle? On réservera notre réponse et l’on devinera de quel côté elle penche.

Ce qui est important, voire essentiel, par contre, c’est que le même Chirac semble avoir décidé d’entrer dans le débat de la campagne. Le motif n’est pas glorieux : une vieille haine politicienne, recuite au feu des coups fourrés dont ce monde est coutumier ; tout cela, assorti des sentiments, également coutumiers dans ce monde où l’on s’investit vite d’une mission paternelle et spirituelle, où l’on se fait vite des “fils spirituels” dont on espère qu’ils ne seront jamais des dauphins aux dents longues. Le “tu quoque, fili” semble être la seule tradition romaine que la démocratie occidentale et décadente ait conservée de ces temps glorieux.

Par contre, le résultat peut être foudroyant. Si Chirac conserve son allant, il va exposer sur la place publique les principes de la grande politique française dont il se juge le garant et va interpeller les candidats à ce propos. Alors, on se comptera.

Il est possible également que nous ayons des interférences américanistes, Washington s’étant aperçu de quelque chose (voir Sciolino). Dans ce cas de reproches ou de récriminations américanistes, Sarko serait également en position délicate, conduit à la fois à déplorer ce raidissement des relations franco-US à cause des humeurs de Chirac, mais risquant alors d’en rajouter à ce fardeau de pro-américanisme dont il s’est lui-même chargé.

La situation évolue comme si les événements, au travers des voies tortueuses des rancoeurs personnelles, et en prenant le moyen de leur activation jusqu’à l’outrance, prenaient en main la direction des opérations pour imposer les thèmes de la campagne et, au-delà, les prises de position inévitables. De Gaulle aurait parlé de “la force des choses” pour désigner un théâtre où les acteurs vont devoir peut-être exprimer leurs convictions derrière le rôle de composition.