Chirac, une fois de plus sur la Marne

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Chirac, une fois de plus sur la Marne


15 juillet 2005 — Comme tout bon cavalier (dans l’armée), Chirac connaît la maxime si célèbre qu’on hésite parfois sur son auteur (c’est Foch, ç’aurait pu être Napoléon ou Patton), et sur son énoncé, — en gros: “mon centre recule, ma droite est enfoncée, ma gauche est menacée, — j’attaque”. D’où sa conférence de presse d’hier 14 juillet, qui représente le coup de clairon d’une riposte évidente, et dont le président français est coutumier (voyez ce qu’il valait dans les sondages en décembre 1994, face à un Delors hésitant puis renonçant et un Balladur déjà-élu, cinq mois avant l’élection de Chirac).

Chirac étant ce qu’il est, l’estime d’une vertu morale qu’il n’a sans doute pas n’est pas nécessaire pour reconnaître le trait principal de sa personnalité: sa capacité de réaction en forme de riposte et de contre-attaque. C’est un trait très français (la Marne en 1914 en est l’exemple le plus stupéfiant), qui n’est pas nécessairement une marque d’intelligence, ni d’exclusion de l'intelligence d’ailleurs, dans le sens où il est assez indifférent à l’intelligence.

(La Marne est toute entière mise au crédit d’un homme à l’intelligence paresseuse, le général Joffre, alors qu’y devrait tenir le rôle principal celui qui eut la vision napoléonienne de la victoire possible, le gouverneur de Paris à l’esprit brillant, le général Galliéni, qui parvint à convaincre Joffre le 3-4 septembre 1914 de contre-attaquer l’Allemand qui offrait soudain son flanc droit à l’armée de Paris. A partir de là, la volte-face victorieuse d’une armée française décimée et en déroute de la Belgique à la Marne pendant trois semaines autorise pleinement l’emploi du mot “miracle” qui lui est accolé. Dans la bataille de la Marne, archétype de la victoire de réaction miraculeuse jusqu’à pouvoir être jugée par certains d’un point de vue mystique plus que stratégique, archétype de la victoire française par conséquent, se mêlent le meilleur et le médiocre du point de vue de l’esprit. Qu’importe, et autant pour la dévotion que le système qui nous gouverne accorde à l’esprit ; puisqu’après tout, l’esprit seul, l’esprit sans conscience et sans âme, nous a conduit aux catastrophes que le système nous offre aujourd’hui comme seules gâteries de notre avenir...)

Cette capacité de réaction chiraquienne, et française, est d’autant plus efficace que l’attaque, si elle très puissante et quasi-universelle, repose essentiellement sur le mensonge général dont se nourrissent le système et les élites qui le représentent, ce mensonge qui représente même la substance générale de ce système. Par conséquent, on doit de se foutre comme de l’an quarante de cette sorte de jugement … « In one of the harshest comments to date, Claude Bébéar, a senior French business figure who now heads the supervisory board of the insurer Axa, said in the newspaper L'Equipe on Wednesday that there was “a strong rejection of Jacques Chirac in France and in the world.” The president, Bébéar added, “has no credibility left.” »

Voici quelques extraits de la présentation par The International Herald Tribune du 15 juillet, de cette intervention de Chirac, traditionnelle pour le 14 juillet, et dont certains pensaient qu’il se dispenserait de la faire, — “par pudeur” ajoutait-il, la bouche serrée et tournée en cul de poule:


« ”I don't think that the British model is the model that we should envy or copy,” he said, sitting in a private corner of the Élysée Palace's gardens. “If you take the major elements in society - health policy, the fight on poverty - we are clearly better off than the British.”

» When the two French interviewers pointed out that Britain's economic growth was faster than France's, and its jobless toll half that of France, the president promptly reeled off a list of statistics that appeared to have been prepared for this purpose.

» Chirac, who only 10 days ago made snide remarks about the quality of British food, now cited France's higher birth rate and longevity. In France, he added, only 7 percent of children lived below the poverty line, compared with 17 percent in Britain, and 2.2 percent of gross domestic product is spent on scientific research, more than the 1.8 percent used for this purpose in Britain.

(…)

» But Thursday, Chirac showed no signs of humility. He said that the no vote in the referendum had not been about him, but about the anxieties of the French people concerning the future.

»  “I did not feel humiliated,” he said. “On May 29, the French expressed fears and expectations about a world that sometimes changes very quickly” and about “a process of globalization against which they don't really feel protected.”

» In fact, he felt sure enough of himself that he did not rule out running for a third presidential term in 2007. “You'll know when the time comes,” he said. »


Tous les critiques rationnels ont raison: il n’y a rien de nouveau dans ce que dit Chirac. Mais à l’heure où les journaux officiels du système sont farcis de l’hagiographie de la faribole en question, rappeler que le ‘modèle anglais’ n’est qu’une faribole blairiste n’est pas plus mauvais que d’avoir un instant de détente ironique en entendant un patron au salaire pharamineux susceptible d’être viré dans les mois qui viennent nous parler de “crédibilité” ; et entendre cette explication du vote du 29 mai qui tient de l’évidence, à l’heure où l’évidence est étouffée au profit du mensonge sophistiqué des commentateurs du système n’est pas plus mauvais non plus. (Voilà qui est assez juste, effectivement: « On May 29, the French expressed fears and expectations about a world that sometimes changes very quickly and about a process of globalization against which they don't really feel protected. »)

Voir Chirac en pleine forme et le tenir pour calamiteux, de la part de ceux qui, depuis trente ans, participe à la calamité sans en prendre la responsabilité mais en en tirant avantages et privilèges qui importent, relève plus de la trouille que du jugement sagace. (Idem pour la nervosité de Sarko.) Chirac s’apprête à être un roc comme il sait être, au côté de quelques autres, dont le Luxembourgeois Jean-Claude Jüncker, sur la route de Tony Blair, l’illusionniste qui commence à être pris à son propre jeu, qui est celui de l’absence de sens érigée en système. S’il le fait bien, Chirac deviendra enfin le leader de la France qui a dit ‘non’ le 29 mai. Il sera enfin dans son rôle, et il devrait y être bon car il n’est nul besoin d’être vertueux pour le tenir. Chirac se sera révélé, sur le tard, plus utile qu’on aurait pu penser (on s’en doutait depuis sa campagne onusienne anti-US de 2002-2003). Du coup, 2007 (réélection pour la seconde fois) ne relève plus de la fiction surréaliste. Avis aux commentateurs qui ont déjà bouclé leur édito de mai 2007 saluant le départ de Jacques Chirac.