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286019 novembre 2014 ... Je dis “demi-honte” comme on dit demi-mondaine, avec un “demi” sans e, parce que vraiment cette bande, le président-poire et le reste, son équipe et son opposition, toute la meute piaillant et caquetant des élites-Système dans leurs salons et sur leurs show-TV, ils ne méritent absolument pas une honte complète. Ils sont tellement détachés de la vérité française, qui est une chose qui s’embrasse sur la longue histoire de la Grande Nation, dont ils sont totalement ignorants et qu’ils sont à mille et mille lieux de seulement oser être capables d’en imaginer là-dessus, qui dépasse leur souffle et leur regard, ils sont tellement tout ça que la honte qu’ils dispensent aux autres par leur seule existence ne peut être que la moitié du sentiment ; une honte à demi-honteuse, à demi-française, à demi-tout-ce-qu’on-veut. Ils sont tellement si peu qu’ils ne parviennent à être que la moitié d’eux-mêmes ; tout ce qu’ils disent, tout ce qu’ils font, tout ce qu’ils suscitent, est aussitôt réduit au moins de moitié...
L’état de cette direction politique française, en place dans cette année du centenaire de la Grande Guerre, est étrange et sidérant à la fois, selon l’humeur où l’on est ; comme une sorte d’événement flottant non identifiable, une chose venue de nulle part et promise à disparaître on ne sait où comme si elle avait existé pour n’en rien paraître, ayant semé le rien de sa politique dans une sorte de trou noir qui fut leur géniteur et qui sera leur tombeau. Il est vrai que l’histoire seule, le déclin, la corruption, le nivellement vers le dessous du bas-ventre du monde, rien de tout cela ni tout cela additionné ne suffisent à expliquer ce fantastique effondrement des structures mentales, cette formidable dissolution de la psychologie dont ces gens qui ne sont pas vraiment méchants sont l’illustration à grands traits. Ces gens, ces êtres, ils sont comme les montres de Dali, mous, caoutchouteux, glaireux et collant à la première aspérité venue parce qu’ils sont prêts à prendre n’importe quelle forme pour faire oublier qu’ils sont informes, flottant dans l’éther des incertitudes, – est-ce dans l’air ? Est-ce dans l’eau ? – un peu comme feraient des méduses en panne de décharges électriques because factures impayées. A les regarder, on ne peut s’empêcher de rire, un peu nerveusement certes, à découvrir quel talent surhumain ils ont déployé à n’en point avoir, à n’en rien connaître, à n’en jamais distinguer ... Il y a comme une sorte de panique chez eux, de paraître un instant, un instant seulement, valoir quelque chose de plus que le néant auquel ils sont redevables de tout.
Il faut entendre le président-poire, Bouvard de son prénom et Pécuchet de son nom, ou bien l’inverse, répondre à son interlocuteur que “moi aussi je suis pour le dialogue, à condition qu’il débouche sur quelque chose”, un peu comme Bouvard-Pécuchet dirait à Pécuchet-Bouvard, “moi aussi je suis pour la pluie, à condition qu’elle mouille”. (A propos, l’interlocuteur, c’était Poutine, mais cela importe-t-il vraiment ? Le président-poire s’est-il aperçu de quelque chose ?) Je reconnais avoir connu une réelle, grande et belle jubilation, en entendant Emmanuel Todd, l’autre jour (1), répondre à la question “pourquoi méprisez-vous François Hollande ?”, ou quelque chose de ce genre ...
«85% des Français méprisent Hollande, je suis depuis peu un de ces Français ... Je crois que c’est sa tranquillité ... De mon point de vue, Sarkozy est ignoble et j’appréhende avec horreur son retour ... Mais Sarkozy était tout de même agité, il avait l’air malade, il avait l’air de souffrir, un peu comme le pays ... [Hollande, lui], il est là, il ne fait rien, avec sa petite voix... Je crois qu’il y a quelque chose d’exaspérant pour un pays qui souffre de voir ce type, tranquille, et qui a l’air de s’en foutre...»
Il est très étonnant et remarquable de voir (il s’agit du DVD d’une émission de radio [1]) cet intellectuel habitué aux discours précis et contenu utiliser pour qualifier l’homme qui dirige la France des mots et des expressions comme “ce type” et “s’en foutre”, comme l’on parlerait d’un n’importe qui sans importance, un petit employé de bureau, un glandeur planqué dans une petite place bien pépère. Hollande attire de ces jugements qui sont totalement irrespectueux, effectivement méprisants comme en éprouvent 85% des Français à son encontre. Il attire cela parce que l’on sent qu’on peut effectivement pousser, invectiver, apostropher, et que rien de solide ne viendra vous contenir et vous convaincre de n’en plus rien faire. (Et cette absence de résistance, presque de contenance, attise encore l’exaspération, je crois...) On fait parce que cela se peut, et même que la matière y invite, – je parle de la mollesse.
Ce qui le caractérise c’est bien la mollesse et l’informe, cette façon de s’arranger assez bien de ne pas exister, de glisser entre les mains, d’être intouchable parce que sa substance est celle de l’insaisissabilité par inexistence... (Ou bien, est-ce le dogme selon lequel l’inexistence précède la non-essence, pour caractériser une philosophie qu’on baptiserait alors, pour faire un clin d’œil à Sartre, du mot peut-être néologique d’“inexistentialisme” ?) Cette situation est justement exaspérante et insupportable parce qu’il y a autour de lui, face à lui, au-dessus de lui, des souffrances terribles, des désespoirs profonds, des événements d’une dureté de métal hurlant, des folies incompréhensibles, les traces innombrables d’un Mal qui n’épargne rien ni personne, tout un univers caractérisé par un mouvement d’une force inouïe et par la brutalité d’une substance qui est faite pour écraser, pour niveler, et qu’il ne reste rien ; parce qu’il y a autour de lui, qui n’est que mollesse, un formidable désordre fait de choses et d’événements d’une dureté à ne pas croire ; parce qu’il y a autour de lui une crise qui paraît presque, de plus en plus, être celle de la Fin des Temps et que, ma foi, cela vous inquiète un peu... “Tout cela a-t-il un sens ?” s’écrit-on presque avec l’énergie du désespoir, en pensant dedans-soi “mais va-t-il donc répondre ?” ... Nullement, certes, nous dit la réponse, – sans savoir si ce “nullement” concerne le sens ou l’existence d’une réponse, – et alors l’on songe à rompre la cavalcade pour s’accorder quelque repos.
Ainsi y a-t-il d’habitude et désormais d’une façon courante, et témoignant d’une agitation profonde, ces flots et ces flots d’anathèmes et d’exclamation de cette exaspération justement signalée plus haut ; pour ma part venus d’un Français qui croit ne plus pouvoir supporter la France à cause du président qu’elle s’est donnée ; d’un Français qui croit cela, finalement, comme tant de Français l’éprouvent eux-mêmes sans doute, jusqu’à nous faire, nous tous, nous interroger sur le processus étrange qui a conduit une majorité de Français à l’élire. Cette exaspération sans fin, je l’avoue, finit par épuiser au bout du compte, d’une certaine façon, par s’exaspérer elle-même... Ainsi y a-t-il, au bout puis au-delà d’une longue bordée d’apostrophes et d’exclamations, un besoin d’apaisement, et ainsi y a-t-il, par nécessité, comme une aire d’apaisement se découvrant à vous, à mesure de la progression des mots et des phrases qui finissent par faire naître des interrogations sur la nécessité et la finalité de ces anathèmes et de ces exclamations ... (Je dis cela au fil de la plume, comme l’on dit qu’on “pense tout haut”.) C’est un peu comme le phénomène de l’œil du cyclone, au centre de la tempête qui tourbillonne, là où l’on trouve une zone d'un calme extraordinairement et surhumainement paradoxal après avoir subi les assauts furieux du monde déchaîné pour y parvenir.
Effectivement, à force de déclamer furieusement à propos de ce président et de son absence d’existence, vous vient la pensée qu’au fond cela n’a pas vraiment d’importance parce qu’il n’a, lui, aucune importance. Ainsi, insensiblement, dans votre esprit et dans la représentation que votre esprit se fait de cette situation, le président Hollande se sépare-t-il de la France, ou bien est-il séparé de la France parce que la France le repousse hors d’elle. Ainsi la France arrive-t-elle au bout de sa propre crise, pour figurer comme quelque chose d’autre, comme une représentation de la crise générale du monde dont elle serait finalement une sorte d’avant-garde. (La France a toujours été comme ça, en avance sur les autres, on n’y peut rien elle est ainsi faite ; en avance sur les autres pour les catastrophes épouvantables comme pour les choses les plus sublimes.) Ainsi fait-on d’un geste deux coups, – “Passez muscade !” et “Passez outre !”, – et le président-poire, inexistant et insignifiant comme lui seul sait être, disparaît-il de notre vision pour s’abîmer dans l’oubli d’un présent qui a perdu toute signification...
... Et là, justement ! Je sais de quoi il s’agit, de quoi il est question et de quoi nous parlons. Il s’agit du présent de ce monde en suspension, entre l’horreur de sa géniture et la catastrophe de son crépuscule ; si l’on veut, ce ne serait pas notre fameux Big Now comme l’on vit dans un article récent mais le contraire ; ce serait, enfin, une sorte de “présent-vide” avec son “président-creux” (ou bien une sorte de “présent-creux” avec son “président-vide” ?), suspendu dans le temps, dans cette pose gracieuse de l’immobilité en équilibre déséquilibré, en attendant quelque verdict suprême qui décide de notre destin. Le “présent-rien”, entre poire et fromage comme on est entre l’être et le néant...
Ainsi ai-je peu à peu découvert comme vivre avec Hollande-sans-la-France, c’est-à-dire avec une France séparée de son destin d’apparence et d’apparat puisque son représentant s’est si complètement identifié à un “présent-rien”. Il s’agit de concevoir que, sans doute, sans nul doute même (la pensée acquiert de l’entrain), la France est ailleurs, dans l’attente des Temps Différents qui nous sont nécessairement promis. Le président-poire n’est là que de passage, en remplacement si l’on veut, comme un stagiaire ou un engagé-à-l’essai. Tout cela n’est que temporaire, il faut prendre le temps de la Grande Patience car ce ne sera plus très long.
Voilà pourquoi, je crois, il est extrêmement difficile d’envisager une analyse sérieuse de la situation française sous cette présidence ; je veux dire, simplement parce que, bien qu’il s’agisse de la “situation française” sous cette présidence, il s’avère qu’il n’y a rien sous cette présidence.
Bref, la France est ailleurs, – en réparation, en attente, en retrait, – bref, en attendant.
Philippe Grasset
1). Emmanuel Todd au Club de la Presse d’Europe n°1, le 10 novembre 2014. Il est vrai que Todd s’était dit partisan d’un “hollandisme révolutionnaire” avant l’élection, lorsqu’il annonça qu’il allait voter Hollande. On le lui a rappelé. Il a tenu à s’expliquer qu’il avait dit que Hollande serait “révolutionnaire” parce que, arrivé au pouvoir, constatant qu’il ne pourrait rien faire dans les structures européennes actuelles, il se trouverait contraint de sortir de ces structures pour s’en sortir comme président. Todd n’avait pas prévu l’extraordinaire capacité d’indifférence, ou l'extraordinaire incapacité d'intérêt du président-poire.
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